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Billet de blog 6 février 2011

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Forces de l’ordre : Quand les CRS se rebellent…

Grève de la faim ou encore arrêts maladie à répétition, ces derniers jours, les CRS ont multiplié les actions "coups de poing" en signe de protestation contre le gouvernement qui souhaitait la suppression de deux compagnies de CRS.

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Grève de la faim ou encore arrêts maladie à répétition, ces derniers jours, les CRS ont multiplié les actions "coups de poing" en signe de protestation contre le gouvernement qui souhaitait la suppression de deux compagnies de CRS. Une méthode payante puisque Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, a annoncé lundi 31 janvier 2011 le maintien des 280 postes concernés. Pour tenter de comprendre le quotidien de ces agents de police insondables et mystérieux que sont les CRS, dijOnscOpe est allé à la rencontre de Jean-Marie Philips, secrétaire régional du syndicat Alliance police nationale et CRS au sein de la compagnie CRS 40 à Dijon...

Jean-Marie Philips, bonjour. Vous êtes CRS au sein de la CRS 40 à Dijon depuis maintenant quinze ans. Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce métier ?
"Il m’a fallu un an d’adaptation pour passer de policier à CRS, car il y a des règles à respecter en CRS bien plus que dans la police. La hiérarchie est beaucoup plus présente. Il est clair que lorsque nous devenons CRS, nous nous inscrivons dans un schéma quasi militaire ! Au commissariat, les gardiens de la paix ont une latitude opérationnelle que nous n’avons pas en tant que CRS. Mais c’est l’emploi qui veut ça puisque l’essence même d’un bon maintien de l’ordre, c’est lorsque les CRS obéissent au doigt et à l’œil. Nous devons obéir à une autorité qui réfléchit et pense, alors que nous, CRS qui faisons barrage, sommes les exécutants. Mais c’est aussi une grande famille, une véritable fratrie. Vous pouvez compter sur la personne qui est à vos côté autant qu’elle peut compter sur vous. Et c’est très important !
A quoi ressemble le quotidien d’un CRS ?
Le premier principe que doit accepter un fonctionnaire de police travaillant chez les CRS, c’est la disponibilité de battre des rappels à tout heure, de jour comme de nuit, sans pour autant qu’ils soient rémunérés... Il arrive parfois que nous devions repartir travailler alors que ça ne fait qu’une petite heure que nous avons terminé notre journée. Nous travaillons parfois jusqu’à quinze jours de suite, sans jours de repos ! Nous sommes formés pour intervenir sur toutes sortes de missions comme un crash d’avion, une manifestation ou encore une fête nationale dont nous sommes les primo-intervenants.
Avez-vous déjà remis en question un ordre qui vous avait été transmis ?
Au niveau légal, la question ne se pose pas puisque tous les commandements que j’ai pu recevoir étaient légaux. Nos supérieurs sont des gens professionnels et techniques. Nous ne laissons pas la part à l’émotion. La loi prévoit telle ou telle chose et nous agissons en fonction. Tout ça est finalement très binaire. Nous sommes les exécutants de l’État et avons pour mission de faire rétablir la loi. Nous pouvons bien-sûr nous interroger sur le bien fondé de certaines actions mais uniquement lorsque la mission est terminée et a été exécutée. A l’instant où l’action a lieu, elle est faite sous commandement d’une autorité légitime et à partir du moment où l’ordre est donné, il doit être exécuté. Il n’y a pas à tergiverser. Mais certaines actions n’ont rien de plaisant pour les CRS. Il faut voir aussi ce que nous devons parfois supporter en termes d’insultes et de violence. Nous sommes quand même beaucoup plus souvent confrontés à la violence des autres qu’à la violence policière. Il faut sortir de ce stéréotype du policier violent et alcoolique !

Quel est le moment dans votre carrière qui vous a le plus marqué ?
Les émeutes de Villiers-le-Bel de novembre 2007 (Lire ici l'article de Libération.fr). La primo-intervenant était la CRS 40 de Plombières-les-Dijon. Ce soir là, en l’espace d’une demie-heure, vingt de mes collègues étaient blessés dont plus d’une douzaine à coup de fusil de chasse. Mes collègues étaient armés. Ils étaient en maintien de l’ordre et l’usage du feu leur avait été retiré. Le débordement auquel tout le monde peut s’attendre et la vrai question est : comment se fait-il que les CRS armés, lorsqu’ils ont vu s’agenouiller cette personne les mettant en joue avec un fusil de chasse, n’ont pas sorti leurs armes et pourquoi n’ont-ils pas tiré ? Tout simplement parce que les règles élémentaires du maintien de l’ordre interdisent, dans la réaction, l’usage de l’arme personnelle.

Ce jour-là, alors que cet homme avait tiré au moins six fois, il n’y a eu aucune réaction alors que les collègues tombaient les uns après les autres. C’est la preuve que le maintien de l’ordre français est le meilleur outil au monde ! Aujourd’hui, tous les spécialistes mondiaux n’ont qu’une référence : les CRS français. Ce jour-là, ce qui a fait notre force, c’est notre solidarité. Ce qui n’est pas forcément le cas partout... J’ai pu le constater en voyant "certaines personnes" fuir devant cette épreuve... et ce n’était pas des autorités CRS.
Quelles sont, selon-vous, les qualités que doit impérativement posséder un CRS ?
Nous sommes parfois confrontés à des choses très dures, telles que le crash de l’avion au Mont Saint Odile, le 20 janvier 1992. Lorsque vous découvrez des corps brûlés et mutilés, vous avez intérêt à être solide ! Nous devons nous endurcir et adopter une carapace pour nous préserver. Il arrive un moment où il faut savoir se protéger pour que le travail ne ressurgisse pas dans la vie de famille. Un CRS doit donc être équilibré. Et l’épouse du CRS est très importante également. Elle est la garante de ce juste équilibre ! Nous passons également des tests psychologiques comme tous les policiers. Mais il est clair qu’aujourd’hui, les moyens ne sont plus en adéquation avec ce que l’on vit. Nous souhaiterions avoir une visière de protection et des boucliers anti-balles, ce qui n’est pas le cas. Combien faudra-t-il de Villiers-le-Bel, combien d’émeutes lyonnaises, grenobloises, marseillaises, toulousaines ? Faudra-t-il des morts pour que nous puissions accéder à ces moyens ?
Il a récemment été question de la fermeture de deux numéros de compagnie, la CRS 46 et la CRS 54, décision sur laquelle est revenu le ministre de l’Intérieur. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Le problème, c’est que la suppression de ces deux compagnies ne signifiait pas pour autant des suppressions de postes (Lire ici l'article de Marianne2.fr). Il aurait fallut opérer un redéploiement des CRS concernés sur d’autres postes. Et qui dit redéploiement, dit vente de la maison familiale ou de l’appartement, aller se reconstruire ailleurs et donc déraciner les enfants, obligation de démissionner pour l’épouse et trouver un autre emploi, ce qui est loin d’être évident actuellement. Et si les épouses ne démissionnent pas pour suivre leurs compagnons, pour des raisons clairement financières, cela signifie un éclatement de la famille ! Je pense que le CRS souffre assez au quotidien de l’éloignement familiale, car il faut savoir qu’un CRS est absent de son foyer, et donc en déplacement, plus de 220 jours par an.

Sans compter que ce n’est pas parce que deux compagnies sont supprimées que l’emploi permanent des CRS est lui aussi supprimé, alors que l’insécurité est de plus en plus présente. Il y aura toujours autant de violences urbaines. C’est comme ça que nous accumulons des jours de repos compensateurs sans pouvoir les prendre... Si le Général De Gaulle a créé 61 compagnies, ce n’est pas par hasard. C’était, déjà à l’époque, pour répondre à l’emploi et aussi pour respecter un temps nécessaire de repos pour chaque CRS. Pas pour son bien-être, le ministère ne réfléchit pas comme ça, mais simplement pour que le CRS soit le plus efficient possible ! Pour manifester leur soutien aux collègues, dimanche dernier [ndlr : dimanche 29 janvier 2011], "certains CRS" de l’Est de la France ont voulu offrir leur plateau repas à une association humanitaire en signe de protestation. Mais cette action a été vivement réprouvée par les autorités supérieures qui ont interdit de manière stricte cette action..."

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