
Cinquième partie de nos rendez-vous pour les élections régionales des 14 et 21 mars prochain avec François Deseille et Joël Mekhantar. L'un est tête de liste pour le MoDem, l'autre pour la Bourgogne Citoyenne. Petit jeu des questions/réponses...
* François Deseille, tête de liste pour le MoDem
Après six ans sous l'ère Patriat, quel bilan tracez-vous de son action?
"François Patriat a pris la tête d'une région qui était très peu dynamique. J'ai toujours en tête la campagne de communication de Jean-Pierre Soisson dans le métro parisien, avec un escargot géant pour représenter la Bourgogne. Comme image du dynamisme d'une région, il y a quand même mieux!... On ne pouvait donc pas faire pire et François Patriat ne pouvait faire que mieux. C'est ce qu'il a fait, c'est indéniable, on ne peut pas le renier. Au niveau des infrastructures, du dynamisme, du TER mais encore de façon insuffisante à mon goût.
Je dirais aussi qu'il y a un manque de vigilance dans la maîtrise des finances et, quoi que l'on puisse dire, il y a encore mieux à faire dans la gestion des deniers publics, ce qui est une chose essentielle pour notre parti, la "MoDem touch" de la campagne ! Je m'étonne qu'une personne comme celle que vous allez interviewer demain [ndlr : l'entretien ayant été réalisé le vendredi 26 février 2010, François Deseille fait référence à François Sauvadet] puisse critiquer les finances de la région et en même temps soutenir à fond la politique nationale, qui fait exploser la dette de matière complètement catastrophique et abyssale.
Je regrette aussi un manque de pilotage des dossiers, notamment dans la sphère économique : 26 millions d'euros d'aide ne sont selon moi pas suffisant. Il aurait fallu des aides supplémentaires pour les PME, TPE. Bref, pas mal mais peut mieux faire !
On vous sait en conflit avec François Sauvadet. Fallait-il constituer une liste alors que le ralliement à François Patriat au second tour est déjà annoncé ?
Faux ! Il ne faut pas dire ça. Si je fais plus de 10 %, je ne me rallierai pas avec François Patriat. Après, que les gens pensent que je puisse me rallier avec lui parce que je travaille à la ville de Dijon avec François Rebsamen... Déjà, François Patriat n'est pas François Rebsamen. Ce dernier n'est pas avec des PC à la ville de Dijon mais avec des dissidents PC. Jusqu'à preuve du contraire, François Patriat s'est rallié avec ceux qui ont fait une liste contre nous à Dijon. Je n'ai donc rien à faire avec ce genre de personnes. Posez-leur donc déjà la question car le souci vient de chez eux.
Dans votre programme, vous avez fait de l'emploi et de la formation une priorité, en proposant notamment de revoir globalement le schéma de formation...
En effet, il faut d'abord écouter les entreprises, les professionnels de l'emploi, qui sont capables de comprendre les attentes des entreprises. Depuis le début de la campagne, j'ai eu l'occasion de visiter une dizaine d'entreprises avec, à chaque fois, le même problème : le manque de personnel qualifié. On marche sur la tête car on n'interroge par les entreprises sur leurs réels besoins. On emmène les jeunes vers des formations qui ne débouchent sur aucun emploi alors qu'il manque par exemple près de 1.000 chaudronniers en Bourgogne. Il est complètement anormal de voir une entreprise de Saône-et-Loire engager pendant un an près de 50 personnes pour n'en garder à terme que cinq, formées par leurs soins. Il faut remettre un lien entre l'entreprise et la formation avec notamment, une meilleure concordance et une meilleure liaison entre ces deux entités.
Faudra-t-il alors passer par la création ou la revalorisation de certaines filières, ou bien l'attribution de subventions comme cela a pu être le cas avec la confirmation du choix de Dijon par Teletech ?
Exactement. Quand une entreprise demande la création d'une filière, faisons-là. Dans les professions du développement durable, arrêtons d'envoyer des gens dans des formations qui ne débouchent sur aucun emploi. Combien de fois j'ai rencontré des jeunes qui sont partis en psycho et une fois arrivés en quatrième année, année à laquelle la sélection s'effectue, ils se retrouvent avec des petits boulots et un bac +4 qui ne sert absolument à rien et qui n'a aucune équivalence ! Il y a un malaise en France sur ce sujet ; il faut donc mettre des professionnels, des gens compétents dans ce domaine et c'est pour cela que nous avons fait de l'emploi et de la formation un enjeu primordial de notre candidature.
Il faut développer les aides aux entreprises, aux TPE, aux PME qui représentent 80 % de l'emploi en Bourgogne. C'est bien beau de donner aux grosses boîtes mais ces petites entreprises ne sont pas délocalisables ; il faut donc les aider. Quant à Teletech, nous étions en concurrence avec Lille... Il faut instaurer le même système d'attractivité que celui dont peut se targuer le grand Dijon mais à l'échelle bourguignonne : une politique agressive pour attirer et pérenniser les entreprises sur notre territoire, valoriser le transfert de technologie,... Battons-nous pour ça.
Alors toujours dans ce domaine de l'économie, vous proposez la création d'une "green vallée", une allusion non dissimulée à la Silicon Valley?
En effet, vous avez la Silicon Valley, une zone de compétitivité aux États-Unis correspondant à l'informatique (Google,...) ; vous avez une petite "métal vallée" à Montbard avec différentes entreprises qui tournent autour du domaine de la métallurgie et nous, nous voulons que l'emploi de demain soit tourné vers le développement durable, vers les métiers de l'environnement. Cela signifie qu'il faut réunir, mutualiser les moyens pour permettre aux entreprises qui tournent dans le développement durable de créer des emplois. En Bourgogne, nous avons des entreprises qui fabriquent des éoliennes, des panneaux photovoltaïques : ils sont assemblés en Saône-et-Loire depuis quelques semaines mais fabriqués en Allemagne.
Quant aux matériaux de construction pour le bâtiment, il n'y a rien en Bourgogne. Créons des entreprises dans ce domaine, aidons les gens à y passer, je suis sûr qu'il y a des emplois à la clé. Nous avons un patrimoine forestier qui est sous-exploité. Quant à la biomasse, il y a beaucoup de choses à dire sur ce sujet. Mais aujourd'hui, pourquoi Vitagora est-il géré par la ville de Dijon ? En plus, pourquoi le pôle environnement agroalimentaire de Bretenières est-il géré par le grand Dijon ? Soyons aussi attractifs, pugnaces que le grand Dijon et l'on verra ce qui se passe au niveau régional.
Sur le volet transport, qui est la principale compétence du conseil régional, vous adoptez une position originale puisque vous soutenez la LGV dans sa totalité. Pour quelles raisons ?
La ligne à grande vitesse, c'est l'avenir. Il ne faut pas rater l'étoile ferroviaire pour Dijon. Nous avons raté le coche de l'autoroute A6, ne faisons pas la même chose avec le train. Il doit passer par Dijon, qui pilote le centre de l'étoile ferroviaire Grand Est. La LGV, c'est l'avenir et on le voit bien avec les problèmes d'énergie qui vont arriver dans les années futures, que vous connaîtrez, vous et vos enfants. En parallèle, il faut aussi revoir le cadencement des TER vers la Nièvre et l'Yonne. Pour ça, il suffit d'écouter les utilisateurs qui disent la galère pour venir de Nevers à Dijon. Il faut aussi améliorer l'accessibilité des transports pour motiver notamment le tourisme.
Justement, question tourisme, quelle marque de la Bourgogne faut-il vendre ou exporter ?
Dans un premier temps, il faudrait faire un schéma global plus cohérent pour que la Bourgogne ne reste pas une terre de passage. J'ai vécu la moitié de ma vie à Lille ; voilà 20 ans que je suis à Dijon. La Bourgogne est un territoire de passage car malheureusement elle n'est pas connue. Faisons une campagne forte passant par la création de la maison de la Bourgogne à Dijon. Ce sera un lieu de mutualisation pour toutes les communes, tous les départements de la région Bourgogne pour donner les moyens aux collectivités d'avoir une identité de ressource pour faire connaître la Bourgogne encore mieux. Nous avons une région magnifique ; il ne faut pas oublier que dans la Bourgogne, il n'y a pas que la Bourgogne. Le vin est important mais nous sommes aussi une des premières régions de France en nombre de kilomètres de voies fluviales et avec un potentiel énorme aujourd'hui sous-exploité. Nous laisserons de côté "Passage bourgogne" pour travailler sur "Destination Bourgogne".
Vous l'avez abordé tout à l'heure et vous l'affirmez dans votre programme : "Nous serons les élus de la maîtrise budgétaire". La maîtrise du budget doit-elle passer par une restriction ?
Il faut être vigilant quant aux dépenses. Il y a des priorités et il faudra les développer, notamment en direction du développement économique et de l'emploi. Il faut recentrer la région sur ses compétences en sachant qu'avec la réforme des collectivités, il y aura des soucis et qu'il faudra serrer les boulons. Il faut une réorganisation au niveau des dépenses de fonctionnement sans forcément dépenser moins mais dépenser mieux : moins de saupoudrage, plus d'actions concrètes. Je ne parle pas en termes de montant global des dépenses de fonctionnement ou d'investissement mais plus d'une meilleure utilisation de cet argent. On peut louer le fait que le budget de la région ait presque doublé sous l'ère Patriat mais utilisons l'argent de façon correcte. 148 millions pour la formation ? Pourquoi pas. Mais formons vraiment les gens à des métiers qui débouchent sur des emplois réels.
Au soir du second tour, quelle sera donc la stratégie du MoDem, en Bourgogne ?
La priorité, c'est de se maintenir. Je n'ai pas dit que l'on fermerait la porte aux discussions. Si accord il y a, ce sera un accord de programme sur nos valeurs mais je ne partage pas du tout les mêmes que certaines personnes prônant le "A gauche toute". Pour l'instant nous sommes dans une logique de maintien pour le second tour et, en aucun cas, dans une logique de courir après des postes. Chacune des personnes sur la liste travaille et nous ne voulons pas nous enrichir grâce à la politique. Si l'on fait moins de 10%, on se retirera complètement à moins qu'un accord ne soit trouvé sur des valeurs humanistes."
* Joël Mekhantar, tête de liste Bourgogne Citoyenne
A quelques jours des échéances, si je vous demandais de tracer un bilan de la mandature, quel serait-il ?
"Tout n'est pas négatif, le bilan est assez contrasté. Parmi les choses positives, je retiendrais l'aide aux universités. En revanche, les grosses critiques que j'apporterais sont : d'une part, l'augmentation massive des impôts, une gestion inverse de celle de la ville de Dijon dont la hausse des impôts suit l'inflation ; et d'autre part, le faible taux d'investissement. La Bourgogne est à la queue des régions au niveau de l'investissement. Entre 2004 et 2008, selon le magazine La Tribune, la Bourgogne a investi 500 € par habitant, soit 30 € par an et par habitant alors qu'il faudrait au minimum être à 150 € pour être une région dynamique et relancer la machine.
De plus, je regrette l'absence de suivi de l'argent public, notamment dans le secteur des économies d'énergie où des sociétés, dont nous connaissons les noms [ndlr : nous non mais il n'a pas souhaité détailler...], ont utilisé des subventions publiques destinées aux particuliers. Il ne suffit pas de dire aux gens que l'on a dépensé tant de millions pour telle ou telle action si l'on ne contrôle pas cet argent. Il faut un droit de suivi sur les deniers publics, il faut rendre compte de l'utilisation de chaque euro aux citoyens.
Pourquoi avoir attendu le 1er mars pour publier votre programme ? [ndlr : l'entretien a été réalisé le 24 février 2010]. N'est-ce pas un peu trop tard alors que les plus grandes formations politiques communiquent déjà depuis plusieurs semaines?
Le début de la campagne officielle est fixé au 1er mars ; nous allons donc communiquer sur notre programme à partir du 26 février. En 2004, nous avions déjà une liste avec plein d'idées sur l'innovation et tous ces domaines-là... Mais nous avons retrouvé certaines d'entre elles, recyclées, sur le programme de François Patriat. Les gens peuvent avoir deux fois la même idée au même moment... C'est pour éviter ce genre de choses que nous n'avons pas voulu refaire la même erreur. Cependant, je suis allé voir très tôt François Patriat pour réunir les forces de gauche dès le premier tour. En 2004, nous avons réuni 17.000 voix, mais il n'a pas voulu. Tant pis, la gauche qui gagne, elle est ici, chez nous ; preuve en est avec les grands champions, au sens propre du terme, qui constituent notre liste.
Avant d'aborder votre programme, vous avez soulevé au cours de différentes réunions publiques le problème de l'amiante en Bourgogne. Qu'en est-il aujourd'hui ?
J'ai personnellement été touché par le problème de l'amiante. Pour tout vous dire, il s'agit de mon père qui est décédé alors qu'on l'a fait patauger toute sa vie dans l'amiante d'une usine. Depuis 1987, l'amiante est interdite mais aujourd'hui, en 2010, deux établissements (un collège et un lycée) sont amiantés [ndlr : il refuse de nous citer le nom des établissements]. Partout, je passe, je demande à avoir un débat avec François Patriat et François Sauvadet. On ne peut plus laisser aujourd'hui les élèves, les professeurs aller dans des endroits comme ceux-ci.
Vous avez défini dans notre programme trois priorités avec en premier lieu, et je vous cite, "l'emploi, l'emploi d'abord". Par quoi passe cette défense de l'emploi?
Par l'investissement. Nous ne sommes pas dans une logique de création d'emplois de fonctionnaires dans la région car notre objectif est de relancer l'économie et c'est cette relance qui créera des emplois. En augmentant de 14 % l'investissement, on devrait créer 2.000 emplois en plus. On part de 92.000 chômeurs, dont 30.000 qui sont arrivés en fin de droits. Il faut donc se concentrer sur cet objectif qui est l'emploi et pour relancer l'emploi, il est nécessaire d'investir avec plus de volontarisme.
Un investissement que vous voulez donc "volontariste" et qui sera essentiellement basé sur l'apprentissage ?
De nombreux chefs d'entreprises cherchent aujourd'hui des apprentis. Actuellement, on n'arrive pas à mettre en adéquation l'offre et la demande. Nous prévoyons donc la mise en place d'un guichet unique pour les offres d'emploi des apprentis. Voilà qui serait donner du travail à des jeunes qui n'ont pas forcément réussi leurs études et qui partent en apprentissage pour suivre leur passion. La région doit aussi être capable d'intervenir, par un fond spécifique d'investissement, pour aider les salariés à reprendre leur entreprise s'il y a menace de licenciement. Plus globalement, nous pensons qu'il faut développer les liens du CAP au doctorat : par exemple, le lycée Hippolyte Fontaine propose des formations de prothésiste dentaire reconnues dans toute la France. Il faudra aussi aider les Masters car la Bourgogne a cette capacité d'offrir des diplômes de qualité dans des domaines spécifiques.
Toujours sur cette question de l'emploi, vous souhaitez la mise en place d'un plan emploi régional pour l'installation paysanne... Qu'est-ce que c'est ?
Il y a autour des villes, comme dans l'agglomération dijonnaise, des terres du foncier qu'il faut préserver pour l'agriculture, notamment maraîchère, pour nourrir les villes. Beaucoup de ville se sont développées dans notre région grâce au maraîchage comme Chalon-sur-Saône. Là, on peut faire vivre des exploitations de petite taille : 4.000 ha de terres sur six ans pourraient ainsi être repris. Il faut travailler avec les SAFER, Société d'Aménagement Foncier et d'Établissement Rural, pour motiver l'installation des jeunes agriculteurs qui veulent faire du bio.
Abordons un autre domaine, celui des transports. Quelle politique structurelle pour la Bourgogne de demain ?
Renforcer la région passe par les transports de personnes, de marchandises mais aussi d'informations. La principale récrimination des Bourguignons aujourd'hui porte sur les retards du réseau TER : de 5 à 15 minutes quotidiennement et sans aucune information. À travers la délégation de service public, il faut obliger la SNCF, quitte à mettre des pénalités, à respecter la convention. Et pourquoi ne pas aller jusqu'à des sanctions financières ?
En matière de transport, la seconde idée est de développer la billettique unique, voire le tarif unique à l'image de ce que François Sauvadet a fait au conseil général avec le ticket Côte-d'Or. Ce n'est pas une promesse mais un objectif à atteindre, histoire de simplifier la vie des gens et de le rendre accessible à tous. Le premier frein à l'emploi est le déplacement : les transports en commun permettent d'accéder plus facilement à l'emploi.
Quant aux flux d'informations, il faut faire de la Bourgogne une région à très haut débit mais en privilégiant la solution fibre optique. Il y a quelques jours, nous avons obtenu d'Orange et de l'État qu'ils investissent pour couvrir Dijon de fibre optique. Dans toutes les agglomérations, dans toutes les industries, il faut développer le très haut débit pour recevoir et produire l'information rapidement ; ça sera une priorité.
Pour conclure, quelle stratégie pour le second tour ?
On va créer la surprise ! J'utilise le seul indicateur qui est à ma portée, à savoir la popularité du groupe Facebook. Nous avons rapidement dépassé François Patriat, nous avons François Sauvadet en ligne de mire ; c'est le signe qu'il se passe quelque chose. Le second tour, j'aimerais bien y être mais pour y être, il faut faire plus de 10 %. Ma présence au second tour obligerait la gauche à rééquilibrer ses valeurs ; sinon, on passe à la trappe dans la gauche Patriat. Aujourd'hui, bien malin est celui qui saura dire quelle sera la stratégie du MoDem en Bourgogne, même si François Deseille a annoncé dès le début de sa campagne qui se rallierait à François Patriat, ce qui à mon avis est maladroit."
* Têtes-à-têtes : La Rédaction entre dans le cœur des Régionales et organise un face-à-face entre chaque tête de liste régionale et deux journalistes de dijOnscOpe. Objectif ? Les confronter aux questions directes du journal sur les thèmes d’actualité et surtout, aux exemples concrets impliquant l’action du Conseil Régional.
