
Comme beaucoup de préfectures françaises, celle de Chalon-sur-Saône en Bourgogne organisait ce jeudi 5 novembre une cérémonie d’accueil dans la citoyenneté française, remettant un décret de naturalisation à de nouveaux citoyens français d’origine étrangère. Antonio vit en Bourgogne. Portugais, il a choisi la naturalisation française il y a 10 ans. Pour dijOnscOpe, il livre son parcours... et son regard contestataire sur le débat actuel.
« La France faisait rêver beaucoup de Portugais »
"Je suis né au Portugal. En 1969 j’avais 18 ans et j’ai décidé de fuir mon pays. Alors que la plupart de mes compatriotes venaient en France pour des raisons socio-économiques, je suis parti pour ne pas faire la guerre [De 1932 à 1968, António de Oliveira Salazar dirige le Portugal. Il s'agit d'un régime autoritaire et conservateur. Dans les années 1960, il tente de conserver les colonies portugaises. De nombreux soldats perdent la vie pour les défendre]. J’étais imprégné de culture française. A l’époque tout était à la gloire du Portugal mais il y avait de petites bibliothèques itinérantes. Grâce à elles, j’ai découvert la littérature étrangère dont mon premier livre étranger : « Le Comte de Monte-Cristo ». La France faisait rêver beaucoup de Portugais.
Une liberté française relative : retour au pays
Je suis arrivé en France au mois d’octobre, il faisait terriblement froid : -20°C! Un ami du Portugal avait une connaissance dans la ville du Creusot qui recherchait des mécaniciens. J’ai mis trois jours pour arriver en France par monts et par vaux. Alors a débuté ma nouvelle vie. Ca a plutôt mal commencé : j’étais payé deux fois moins que les autres alors que je faisais le même travail. Ce fut ma première douche froide. Je n’ai pas trouvé la liberté que je venais chercher. Je n’avais pas assez d’argent pour vivre, même au Portugal, j’étais mieux payé ! Je suis donc reparti au pays en août 1970. Mais la milice m’a « retrouvé » : j’ai dû promettre de m’engager dans l’armée. Avec mon frère, nous avons décidé de revenir en France pour échapper à l’armée.
Se battre pour l’égalité des droits
En septembre, je suis retourné travailler au même endroit. Mais la donne avait changé ; désormais je me battais pour de meilleures conditions. Et j’ai aussi commencé à aider les étrangers. J’ai créé une fédération solidaire avec les travailleurs émigrés (la Fédération des Associations de Solidarité avec les Travailleurs Immigrés). Pendant les années 1970, il y avait une certaine répression par rapport aux étrangers. C’est à partir de cette époque que j’ai commencé à avoir peur d’être expulsé. Notre association se battait pour les droits des étrangers, or ce n’était pas autorisé ! Les renseignements généraux nous surveillaient. Je me suis souvent fait fouiller et contrôler.
Français par nécessité
Lorsque je me suis marié en 1976, on m’a proposé la nationalité française, j’ai refusé : pour moi c’était "bidon". Je ne voyais pas ce que ça pouvait m’apporter. En 1999, on a réellement senti un durcissement des lois envers les étrangers. Je voyais de plus en plus de familles se faire expulser. C’est à ce moment là que j’ai demandé la nationalité française. J’ai mis de l’eau dans mon vin par peur d’être expulsé. De plus, il y avait mes filles : elles n’étaient pas entièrement françaises et j’ai eu peur qu’elles aient des problèmes. Je suis devenu français mais ce n’était pas « la fête ».
Je me considère comme un citoyen du monde. Je n’ai que faire des drapeaux et des hymnes. Je pense que le monde nous appartient. Je suis d’accord avec le proverbe qui dit : « où on est bien, là est la patrie ». A l’approche de chaque élection, on nous sort les questions de droit du sol etc, c’est un spectacle désolant.
« 30 % de la population française est d’origine étrangère »
Le débat sur l’identité serait intéressant si on partait du principe qu’on vit dans une société cosmopolite. On nous sort le problème de l’émigration mais il n’y a pas de réelle volonté de vivre ensemble. L’émigration choisie est une honte pour le pays des droits de l’homme. Il n’y a jamais eu de reconnaissance pour les étrangers qui venaient construire le pays. Pourtant, ils font partie de la nation à part entière eux aussi. N’oublions pas que 30 % de la population française est d’origine étrangère ! Pour moi, ce débat n’a donc pas beaucoup de sens. Qu’est ce qu’une nationalité ? Au cours, de l’histoire les frontières n’ont cessé d’être modifiées en raison de l’avidité de l’homme. Tenez, la naissance du Portugal par exemple est due à Henri de Bourgogne !
Citoyen du monde avant tout
Dès qu’il ya un problème d’ordre économique, on se replie sur nous même. Or, Il faudrait que tout le monde se rende compte que nous sommes dans la même galère ! Actuellement on demande aux étrangers d’imiter une société, on ne peut pas être nous même. Je suis pour des valeurs universelles. Je ne me considère pas comme Français ou Portugais mais comme citoyen du monde ! On entend beaucoup de discours, mais les actions ne suivent pas, il y a toujours un intérêt financier quelque soit l’action.
Tant que l’Homme sera considéré comme un objet exploitable, le problème de la nationalité n’évoluera pas. Moi-même, je remercie la France de m’avoir accueilli. Mais la question de l’accueil des étrangers se pose aujourd’hui. On constate de plus en plus une « politique du chiffre ». On n’a pas le droit de chasser les étrangers.
Quel homme ne pourrait prétendre à une vie libre, saine et avec suffisamment de quoi manger ? Est-ce normal que des Africains qui n’ont pas de quoi manger cultivent des céréales pour nourrir les vaches occidentales ? Les occidentaux ont un double jeu en Afrique : nous pillons et envoyons quelques gouttes pour aider la population. C’est le serpent qui se mort la queue !
« Ce débat sur l’identité nationale, c’est l’arbre qui cache la forêt. »
J’ai le grand espoir que les générations qui arrivent auront des valeurs de solidarité et de partage et non de haine. Les citoyens de demain ce sont les petits d’aujourd’hui. Je pense qu’il faudrait commencer par ne pas leur apprendre la Marseillaise. Ses paroles sont un appel à la haine, ce n’est pas ça qu’on doit leur inculquer, mais d’autres valeurs.
Il faudrait que l’éducation civique parle de l’ouverture aux autres avec toujours un mot à l’esprit : partager ! Son savoir, sa culture, son temps libre... J’aimerais que chacun ait sa chance, qu’il y ait des systèmes de partage. On est de plus en plus dans une société du mérite. Quand on voit que certains se tuent car ils ne parviennent pas à gérer les soucis, on peut se dire que c’est vraiment grave : l’Homme est passé après la performance financière. Il est mis en avant en tant qu’outil et non plus en tant qu’individu.
Ce débat sur l’identité nationale c’est l’arbre qui cache la forêt. Il faudrait qu’il débouche sur quelque chose de plus profond. Il demande de la réflexion et ce constamment ! Néanmoins, j’avoue que c’est déjà magnifique qu’on puisse discuter de cela. Les idées des uns et des autres sont importantes pour un monde plus solidaire. Je crois à la démocratie participative. En ce moment beaucoup de monde dort, j’espère que les gens finiront par se réveiller..."
