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Billet de blog 7 juin 2010

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dijOnscOpe vs Bien Public l Le procès des patrons, pas des journalistes

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Premier quotidien régional d'information à disposer du statut d’éditeur de presse en ligne (1*), le journal indépendant dijOnscOpe a été assigné en référé mardi 1er juin 2010 à 9h, par les SA Le Bien Public et Le Journal de Saône-et-Loire (propriétés du groupe Ebra), au tribunal de grande instance de Nancy. En ligne de mire, la revue de presse du site bourguignon... A la veille de cette comparution, la directrice de publication de dijOnscOpe, Sabine Torres, a organisé une conférence de presse (2*) à Dijon, accompagnée de son avocat, Maître Jean-Pierre Mignard, fondateur du cabinet parisien Lysias, et d'Edwy Plenel, président du journal en ligne Médiapart.fr. L'occasion d'expliquer le fond de l'affaire et de répondre, point par point, aux rumeurs de ces derniers jours, tout en soulignant des intérêts hautement économiques...

1er démenti : "Aucune prise de contact préalable"


Sabine Torres, fondatrice et directrice de dijOnscOpe, l'affirme haut et net: "Sans aucune prise de contact préalable pour essayer de discuter confraternellement de cette affaire", les SA Le Bien Public et Les Journaux de Saône-et-Loire, demandent 40.000 euros de dommages et intérêts à dijOnscOpe pour "contrefaçon" et "concurrence déloyale", assortis, si la direction n'obtempère pas, de 10.000 euros par jour et par article pour chaque article publié dans la rubrique "Revue du web" du pure player.


Sabine Torres soutient avec la plus grande fermeté que les directions des deux publications n'ont jamais cherché à la joindre, ni par lettre ni par téléphone, avant de lui envoyer la lettre de mise en demeure avec AR (reçue le 29/04/2010) puis l’assignation en référé (reçue le 19/05/2010). "Je réfute totalement les prises de position plus ou moins bien informées qui circulent ici et là, en me plaçant une fois encore sur la ligne éthique qui est la mienne tant sur le fond que la forme." (3*)


"Depuis quelques jours, ils nous accusent même sur le net de pillage et de vol d'informations (voir le communiqué), ce que nous réfutons bien évidemment, a souligné Sabine Torres. Nous n'avons aucune volonté de nuire à nos confrères. Au contraire, cette revue de presse est la preuve du respect que nous manifestons à leur égard. D'ailleurs, juste avant notre lancement le 1er septembre 2009, j'annonçais déjà mon intention de réaliser une revue de presse via notre groupe Facebook, dans le but de valoriser le travail de nos confrères, notamment locaux et régionaux".


Une ligne qu'elle n'entend pas quitter ni dans cette affaire, ni dans la mission de dijOnscOpe.

2ème démenti : "Aucune violation du droit d’auteur"


Me Jean-Pierre Mignard, du cabinet Lysias, a évoqué de son côté la question de droit qui était posée, d’abord et avant tout le droit de la liberté de la presse : "Il est reproché un délit de contrefaçon, d'appropriation sans autorisation d'écrits de tiers, de violation des droits d'auteur. Le Bien public se place donc sur le terrain du droit patrimonial. Nous, nous nous situons sur un autre plan : celui qui dit, depuis 1881, que la presse et l'édition sont libres". Se basant sur plusieurs textes de lois, internationales, européennes et françaises, l'avocat a ainsi rappelé la liberté d'expression de la presse, le pluralisme des médias, "condition de l'honnêteté de l'information" selon une jurisprudence datant de 1986 du conseil constitutionnel français.


"Devant le juge, gardien constitutionnel des libertés, nous dirons que l'assignation qui est lancée porte atteinte à des droits et des libertés fondamentales, d'information et de communication. Nous ne nous plaçons donc pas sur un terrain marchand, que je ne méprise pas d'ailleurs, mais nous sommes des journalistes et un quotidien d'informations en ligne opposé à la direction d'un autre quotidien d'informations ; c'est donc une question de presse et d'informations, et donc de libertés", a argué l'avocat, ajoutant qu'il ne doutait pas que "la rédaction et les journalistes du Bien Public sont également des défenseurs de la liberté de la presse".


Ainsi, dijOnscOpe accomplirait sa mission d'information via sa "revue du web" : "Devriez-vous vous interdire de faire état de ce que vos confrères disent, évoquent ? Non ! Peut-on imaginer la situation où la confraternité serait comprise comme l'organisation d'hostilités systématiques entre médias qui décideraient de ne jamais évoquer ce qu'un autre média peut dire, écrire, publier ? L'information présente un intérêt nécessaire pour la démocratie. Evidemment, on peut décider d'être mauvais joueur et de s'approprier indûment ce que d'autres journalistes ont fait, de prétendre avoir investigué ce que l'on n'a pas investigué soi-même. Mais ce n'est aucunement le cas de dijOnscOpe."

3ème démenti : "Aucun détournement de référencement"


Un des points de l'assignation porte plus exactement sur le bandeau de dijOnscOpe, en haut de page, qui prêterait à confusion. Documents à l'appui, Me Mignard a démontré que tout lecteur peut identifier clairement qu'il se trouve sur le site du Bien Public ou du Journal de Saône-et-Loire, cela même en présence du fameux bandeau : "En tant que lecteur, je vois même les publicités sur le site du Bien Public, et à mon avis, leurs annonceurs ne sont pas du tout mécontents de cette situation qui leur amène des lecteurs. Ceux-là ne s'en plaignent pas..." Sabine Torres précise que le bandeau est à considérer comme un onglet "Retour à la page précédente". D’ailleurs, ce "frame" n'appellerait aucune nouvelle statistique en faveur de dijOnscOpe : "Le frame n'est absolument pas comptabilisé dans nos statistiques et n'affiche pas de publicité!"


Autre reproche : dijOnscOpe "volerait" des lecteurs au Bien Public et au Journal de Saône-et-Loire. Sabine Torres dément catégoriquement. "Ils nous accusent de faire du détournement de référencement à notre profit mais il faut savoir que cette revue de presse représente à peine 2% de nos lecteurs le jour où elle est publiée. Donc s'il s'agissait d'augmenter le nombre de nos lecteurs, on voit bien que l'argument est sans fondement. Ce n'est pas avec cinq ou cinquante clicks supplémentaires par jour que nous allons augmenter le trafic global de dijOnscOpe [ndlr : le site affiche entre 2.800 et 3.200 visiteurs uniques par jour, plus de 5.000 pages vues]. Quant au reste de notre information, elle est 100% originale". Sabine Torres rappelle ensuite qu’en aucun cas elle ne vend les espaces commerciaux sur ces pages ; ils sont offerts par défaut aux annonceurs louant la Une, les rubriques Agenda ou Bonnes Adresses.


"Enfin, le Bien Public nous reproche que nos revues du web soient placées avant leurs articles dans le référencement. Mais cela s'appelle du référencement naturel et un nombre de visiteurs... Si nous en avons plus, nous nous trouvons automatiquement devant. Si nos articles sont mieux taggés et que le référencement naturel de notre site est mieux optimisé, c'est que nous faisons ce qu'il faut pour. A eux de faire la même chose de leur côté".

Me Jean-Pierre Mignard : "Où est le préjudice ?"


Et Me Mignard de renchérir : "Où est le préjudice ? Non seulement il apparaît que dijOnscOpe remplit sa mission d'information, qu'il le fait en conformité avec le droit international, qu'il fait preuve d'une évidente probité en citant ses sources. Il y a même une précaution qui est prise avec une inscription sur le bandeau : "La page ci-dessous ne fait pas partie de dijOnscOpe", accompagnée de l'adresse du lien externe. Si je suis lecteur du Bien Public, je me dis que j'ai bien raison puisqu'un autre média me dit que mon journal préféré est un bon journal. Et si je ne suis pas lecteur, il m'arrive, grâce à dijOnscOpe, d'aller sur le site du Bien Public.


Je trouve cette procédure assez étrange, où le droit d'auteur des journalistes n'est pas violé, où leur patronyme n'est bien évidemment pas effacé, où l'intégrité intellectuelle de leurs articles est respectée, où le Bien Public bénéficie gratuitement d'une publicité par l'intermédiaire d'un de ses confrères. C'est simplement parce qu'en haut, il reste le bandeau dijOnscOpe ? Je regardais LCI, BFM et I-télé ce matin et je voyais que durant la revue de presse, le logo des chaînes n'était pas effacé. C'est normal : on ne fait pas disparaître son logo parce que l'on présente la Une d'un confrère...


Je peux vous dire que pour être enseignant depuis une quinzaine d'années du droit des médias à l'Institut politique de l'école du journalisme, cette affaire est un cas d'école."

Edwy Plenel : "Un procès injuste et irresponsable"


Edwy Plenel avait également répondu présent au titre de fondateur et président de Médiapart, "partenaire de dijOnscOpe depuis sa naissance", et en tant que secrétaire général du Syndicat de la presse indépendante d'informations en ligne (Spiil), dont les deux titres font partie. Il a soulevé ce qui pourrait bien être le fond de l'affaire : "Il existe un enjeu national dans cette affaire qui concerne la révolution industrielle que vivent les métiers de l'information. C'est un bouleversement d'une ampleur sans précédent. Nous savons bien qu'avec le numérique, c'est l'invention d'une nouvelle presse quotidienne qui est créée".


"Aujourd'hui, le procès intenté à dijOnscOpe est un procès injuste et irresponsable. Injuste, parce que la revue de presse est au coeur du partage de l'information. Un journal circule, il passe de main en main. Un journaliste a envie d'être reconnu et d'être cité par ses confrères, à la condition d'être sourcé et référencé. Ce procès est si injuste qu'il en est ridicule : faudrait-il faire un procès aux portails Yahoo, Free ? Au NouvelObs.com, à Slate.fr, à Médiapart.fr, à Rue89.com qui ont tous leur revue de presse ?". Et de rappeler plus tard que le meilleur moteur en presse restait "la compétition et la concurrence".


Cependant, l'avocat de dijOnscOpe s'est déclaré ouvert à la discussion : "Si le tribunal nous proposait un médiateur, je pense que nous y serions tout à fait disposés. S'il faut trouver des aménagements, qui ne portent pas sur l'essentiel, nous sommes tout à fait prêts à en discuter. Il va bien falloir se parler à un moment donné. Voyez-vous, c'est cela le caractère un peu absurde de cette affaire. Mais il y a tout de même des mots qui ne sont pas acceptables. La direction du Bien Public parle de "pillage" : pour le criminaliste que je suis, ce mot a un sens. Il n'est utilisé dans le code pénal qu'à l'occasion de la description des faits qui sont commis lors de mouvements insurrectionnels. C'est donc un mot qui n'a strictement rien à voir avec dijOnscOpe, qui ne participe à aucune espèce d'insurrection sinon à celle de la liberté".


Bilan : "Le procès des patrons, pas des journalistes"


Et d'ajouter : "Si nous restons dans une attitude d'hostilités comme principe de relation entre médias et non pas de confraternité, alors évidemment, dijOnscOpe peut mourir. Si c'est cela l'objectif, si l'on veut faire disparaître un concurrent, qu'on le dise ! On demande deux fois 20.000 euros [ndlr : 4 fois le capital social du journal]. On n'oublie pas l'argent !... Cette action n'aidera certainement pas dijOnscOpe et elle n'aidera pas le Bien public non plus. Elle frappera sans doute de perplexité beaucoup de lecteurs. Cette dispute pourrait aboutir à la disparition de dijOnscOpe mais elle n'amènera pas pour autant plus de gloire ni de lecteurs au Bien Public. Je termine donc en m'adressant à la direction du Bien Public ainsi qu'à ses journalistes, essentiels dans une démocratie. Je leur dis : Parlez-vous, réconciliez-vous mais ne rentrez pas dans des disputes fratricides de cette nature qui porteront un coup à la démocratie."


Même requête du côté d'Edwy Plenel : "Ce qui m'alarme, c'est que derrière cette attaque contre dijOnscOpe, premier quotidien régional numérique, un petit prétexte est pris, qui aurait tout à fait pu s'ajuster à l'amiable, pour en fait faire la police et tuer le pluralisme naissant. Ce n'est pas un procès fait par des journalistes mais par des patrons qui s'approprient la richesse des journalistes de manière indue et injuste. On se place ici sur le terrain de la marchandisation et de l'appropriation privée. Aussi, j'en appelle à nos confrères et consœurs du Bien Public, de défendre le "bien public" dont ils sont les dépositaires.


J'en appelle aux rédactions concernées, qu’elles tentent de convaincre leurs directions qu'il y avait un chemin beaucoup plus simple : il aurait fallu contacter la rédaction de dijOnscOpe, discuter si besoin de la présentation de la revue de presse et non pas être dans cette situation d'affrontements. Il aurait dû y avoir discussion ; nous ne devrions pas être là. Jean Viansson-Ponté (directeur du Bien Public) aurait dû appeler Sabine Torres. Je le dis en ayant travaillé vingt-cinq ans dans un journal (Le Monde) où l'une des signatures, grand défenseur de la liberté et de la confraternité, était Pierre Viansson-Ponté..."

Plaidant sur une autre affaire mardi 1er juin, Me Mignard a demandé le renvoi du référé au mardi 29 juin 2010, à 9h, ce qui a été accepté par les SA Bien Public et Journal de Saône-de-Loire.

(1*) "Lancé le 1er septembre 2009, dijOnscOpe est l’un des premiers quotidiens régionaux en France à disposer du statut d’Editeur de presse en ligne. A ce titre, le journal s’est vu attribuer le 16 décembre 2009 un numéro de presse délivré par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), assorti de l’agrément "Presse politique et générale" pour 5 ans. Concrètement, ce statut fait de dijOnscOpe une publication de presse à part entière, au même titre que les éditions papier courantes de la presse quotidienne régionale (PQR). Le titre fait partie du Syndicat de la presse indépendante d'informations en ligne (Spiil) depuis sa création. En termes de ligne éditoriale, nous sommes clairement établi sur la région Bourgogne et principalement sur l'agglomération dijonnaise. Nous proposons à nos lecteurs une information 100% originale en terme d'actualité", a exposé Sabine Torres.


(2*) Médias présents : RCF, France 3, VooTV, agence de presse Traces Ecrites, NRJ/Chérie FM/Nostalgie, Journal du Palais, France Bleu Bourgogne, K6FM, Radio Shalom, Génération Campus, GazetteInfo.fr, MaCommune.info, L'Alsace, Dijon-Beaune Mag, Bourgogne Magazine.


(3*) A la question d’un confrère journaliste : "Pourquoi n’avez-vous pas répondu aux courriers précédents du Bien public et du Journal de Saône-et-Loire ?". Sabine Torres : "La première fois, lorsque j'ai reçu la mise en demeure le 29 avril 2010, j'ai appelé un avocat puisque c'est ce qu'ils m’invitaient à faire dans le courrier. Ils me menaçaient déjà de poursuite en dommages et intérêts donc il ne s'agissait pas d'une simple discussion. Je n’ai jamais été contactée auparavant par le Bien Public. [...] Que ce soit dans la mise en demeure ou dans l'assignation en référé reçue le 19 mai 2010, les deux courriers demandent "le retrait immédiat de tous les articles ou citations partielles ou complètes", sachant qu'il n'y a pas de citations complètes des articles sur dijOnscOpe. D'entrée de jeu, les conditions étaient donc posées, sans discussion possible. Par ailleurs, dans leur assignation en référé, ils font la demande de voir paraître un encadré sur dijonscope faisant état d'une éventuelle condamnation, un peu comme dans les magazines people...".

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