
La ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, sera-t-elle soutenue ou éjectée du gouvernement ? Les rumeurs affirment que le président de la République pourrait s'exprimer sur l'affaire MAM - la ministre est accusée d'avoir profité du jet privé d'un riche homme d'affaires tunisien lié à la famille du président déchu Ben Ali, lors de vacances privées en décembre 2010 - en conseil des ministres, mercredi 09 février 2011. Mais a-t-elle vraiment du souci à se faire ? Pas sûr... En France, le conflit d'intérêts semble rarement préjudiciable, les derniers scandales en date du type Woerth-Bettencourt et Médiator le démontrant. Après s'être fait remettre un rapport sur le sujet fin janvier, Nicolas Sarkozy a promis un projet de loi sur les conflits d'intérêts dans le courant de l'année 2011. L'occasion pour dijOnscOpe de livrer l'intervention - à laquelle nous avions assisté en novembre 2010 - de Jean-Pierre Roux, président de l'association de lutte contre la corruption Anticor*, invité à s'exprimer sur les conflits d'intérêts par le mouvement Cap21 Bourgogne lors d'un café citoyen à Dijon...
Démissionner ? Quelle idée !
Dans un entretien accordé au Parisien.fr lundi 07 février 2011, Michèle Alliot-Marie affirme qu'il n'est pas question pour elle de démissionner (Lire ici). "Comme si c'était à elle de décider puisqu'elle n'a pas eu la décence de quitter son poste spontanément", note pour sa part Marianne2.fr (Lire ici le billet). Il faut dire que la démission des hommes - ou des femmes - politiques, même après scandale, n'est pas très répandue en France. Selon Jean-Pierre Roux, président de l'association Anticor, cette mauvaise habitude serait même particulièrement française : "Le concept du conflit d'intérêts nous vient des anglo-saxons, qui ont beaucoup plus d'avance sur le sujet que nous. Ce concept est arrivé en France sans que nous en fassions la même analyse : dans les pays anglo-saxons, le conflit d'intérêts donne naissance à des poursuites alors qu'en France, on peut très bien se trouver dans un conflit d'intérêts sans être poursuivi car du point de vue français, ce n'est pas forcément une malversation".
"On peut, par exemple, être un grand entrepreneur qui doit passer des marchés avec l'État et avoir un lien familial avec la personne qui dirige le service concerné... mais tant que la collusion n'est pas démontrée, tant qu'il n'est pas prouvé que le lien de parenté a fait que l'entreprise a obtenu le marché, il n'y a pas de malversation avérée. En France, celle-ci intervient en cas de prise illégale d'intérêts. Dans les pays anglo-saxons, ce type de situation est forcément punissable et les personnes concernées sont poursuivies par la loi. N'empêche, c'est pour cela que certains ont pu qualifier parfois la France, de manière excessive, de République bananière...". Transparence internationale, ONG luttant pour la transparence et l'intégrité dans la vie publique, souligne d'ailleurs que de nombreux pays sanctionnent "le simple fait de se retrouver en position de conflit"...
Trouver les bons mots...
Pour être "punissable", encore faudrait-il que le conflit d'intérêts soit défini par la législation française. Or ce n'est pas le cas selon la commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique créée par Nicolas Sarkozy en septembre 2010, qui a remis son rapport au président de la République le 26 janvier 2011 (Consulter ici le rapport). "Qu'est ce que le conflit d'intérêt ?", interroge Jean-Pierre Roux. "C'est quand des intérêts privés se mélangent avec des intérêts publics alors qu'il existe des contradictions évidentes".
Pour le Conseil de l'europe, dont la définition serait fondatrice, "un conflit d'intérêts naît d'une situation dans laquelle un agent public a un intérêt personnel de nature à influer ou paraître influer sur l'exercice impartial et objectif de ses fonctions officielles. L'intérêt personnel de l'agent public englobe tout avantage pour lui-même ou elle-même ou en faveur de sa famille, de parents, d'amis ou de personnes proches, ou de personnes ou organisations avec lesquelles il ou elle a ou a eu des relations d'affaires ou politiques. Il englobe également toute obligation financière ou civile à laquelle l'agent public est assujetti" (recommandation n° R (2000)10 du Comité des ministres sur les codes de conduite pour les agents publics, 11 mai 2000). De son côté, l’OCDE note qu'un "conflit d’intérêts implique un conflit entre la mission publique et les intérêts privés d’un agent public, dans lequel l’agent public possède à titre privé des intérêts qui pourraient influencer indûment la façon dont il s’acquitte de ses obligations et de ses responsabilités" (lignes directrices de 2005).
"Ca vous pose un problème ? "
Lors de son intervention, Jean-Pierre Roux a illustré le conflit d'intérêts dans les différentes formes qu'il revêt... Petit abécédaire du genre (ndlr : à ne pas reproduire) :
- "C" comme... cadeaux
"Le népotisme ou favoritisme peuvent être considérés comme des dérivés des conflits d'intérêts", de même que "l'acceptation de cadeaux peut se révéler être un conflit d'intérêts". Le célèbre procureur de Nice, Éric de Montgolfier, donnait d'ailleurs ce conseil : "À la première gorgée de champagne offerte, quelqu'un peut se compromettre. Moi, je n'accepte jamais rien : ni de coupe de champagne ni même un stylo"...
- ou "C" comme... cumulards !
"Des règles de prévention s'appliquent plus ou moins bien en France : l'incompatibilité de fonctions par exemple, au niveau des parlementaires. Les cumulards - le maire de Dijon par exemple (ndlr : François Rebsamen), maire de Dijon et sénateur - peuvent être amenés à un conflit d'intérêts. Cela ne se traduit pas toujours aux yeux de la loi française par des malversations bien évidement mais il s'agit d'un exemple d'incompatibilité."
- "D" comme... délit d'initié
"Dans les conflits d'intérêts comptent notamment les délits d'initiés. Un en particulier a fait couler beaucoup d'encre dans les médias, c'est le délit d'initié d'EADS (En savoir plus ici). Certains des grands dirigeants de l'entreprise ont vendu leurs actions à un moment donné, sachant qu'il y avait des retards dans les livraisons et que forcément, l'action allait chuter. Ils n'ont rien trouvé de mieux que de vendre un gros paquet d'actions en gagnant des millions d'euros. Mais ces dirigeants ont juré ne rien savoir : soit c'est de l'incompétence pure, soit il s'agit d'un délit d'initié. Bien que certains aient été poursuivis, la justice n'a jamais tranché et les dirigeants les plus importants - tel qu'Arnaud Lagardère - sont passés à travers les mailles du filet..."
- "J" comme... jetons de présence
"Le cas de Jean-François Copé pose le problème de la profession d'avocat. En général, il faut faire des études pour sauf lorsqu'on est député ! Au bout d'un certain temps, les députés ont en effet le droit de devenir avocat. Ainsi, monsieur Copé fait partie de l'un des plus grands cabinets d'affaires international (ndlr : le cabinet Gide Loyrette-Nouel). Il travaille trois demies-journées par semaine pour 20.000 par mois. Nous pourrions donc poser la question de pourquoi un cabinet florissant embauche quelqu'une comme Jean-François Copé : est-ce pour ses compétences juridiques - on peut en douter - ou est-ce pour son carnet d'adresses ? Même Patrick Devedjian, étant un vrai avocat, a déclaré que la seconde réponse était plus proche de la vérité... Ce grand cabinet d'affaires traite certainement des dossiers qui ont des incidences sur les grandes affaires de l'État. Mais monsieur Copé assure ne pas s'occuper de ce type de dossiers... Doit-on le croire sur parole ?"
- "P" comme... prise illégale d'intérêts
"Au sujet de la prise illégale d'intérêt, une affaire s'est révélée être un cas d'école : l'affaire Woerth/Bettancourt, qui est considérable. Voilà un ministre qui est en même temps ministre du Budget et trésorier de l'UMP. Entre parenthèses, cela faisait des années que c'était le cas et personne ne s'en offusquait ! Il a fallu qu'il y ait cette affaire pour qu'on s'en émeuve. En tant que trésorier, monsieur Woerth était collecteur de fonds dans des cercles plus ou moins rapprochés de gens qui pratiquaient l'évasion fiscale, en leur demandant de l'argent pour l'UMP alors que lui-même devait lutter contre cette dérive ! Son épouse se retrouve à gérer l'une des plus grandes fortunes de France, celle de madame Liliane Bettancourt, sans que cela le choque vraiment. Lorsqu'on lit les interviews d'Éric Woerth, il ne trouve pas cela aberrant, il ne se rend même plus compte de l'aberration...".
- "R" comme... renvoi d'ascenseur !
"Un autre conflit d'intérêts pas mal du tout : le cas Hariri-Chirac. Avec sa femme Bernadette, Jacques Chirac se fait prêter un appartement sur les quais de Seine par la famille de Rafiq Ariri (Lire ici l'article de Libération.fr sur le sujet). Qui est-il ? L'ex-premier ministre du Liban, issu d'une famille extrêmement riche dont les liens avec la société financière et industrielle libanaise sont très forts. Cela devrait déjà poser quelques questions... Surtout que Jacques Chirac n'est pas à la retraite, il fait partie de la plus haute juridiction française : le Conseil constitutionnel... Disons qu'il a le droit d'avoir des amis qui lui prêtent un appartement. Mais derrière cette histoire, il y a l'affaire CGM-CMA (Lire ici l'article de Libanvision.com sur le sujet). Il y a eu un appel d'offres pour cette compagnie française que l'on voulait privatiser et finalement, elle a été vendue pour une bouchée de pain en 1996 à une compagnie libanaise, dont monsieur Hariri était très proche... L'appartement à Paris serait-il un retour d'ascenseur ?"
* "Anticor a été créée, et ce n'est pas par hasard, en 2002, explique Jean-Pierre Roux. Cette année-là, tout le monde peut se souvenir du choc du premier tour : Jean-Marie Le Pen arrivait alors en seconde position à l'élection présidentielle, derrière Jacques Chirac. A partir de là, une poignée d'élus a considéré qu'il se passait quelque chose... Une réflexion a été menée qui les a amenés a créer Anticor, avec pour objectifs de faire de la politique autrement. Car cette poignée d'élus pensait que si on en était arrivé là, c'était à cause de la multiplication des affaires en France, qui créait un divorce entre la classe politique et la grande majorité de la population. Le risque étant que les Français finissent par penser que tous les hommes politiques sont des pourris". Depuis 2006, élus et citoyens peuvent adhérer à Anticor.