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Billet de blog 9 avril 2010

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Bénévoles vs salariés: la guerre dans l'humanitaire?

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Les conflits professionnels et sociaux existent dans toutes les entreprises. Dans le monde associatif, une particularité de taille est à souligner : certains sont salariés et d'autres sont bénévoles. Alors comment faire travailler ensemble ceux qui sont rémunérés pour leur engagement et ceux qui offrent tout leur temps libre ? Éléments de réponse avec des professionnels du secteur, à l'occasion du passage du Tour de France Humanitaire* à Dijon du 7 au 9 avril 2010...

Pas de temps à vendre


"Quand j'ai commencé dans l'humanitaire, je voulais faire du droit international afin d'être salariée d'une association en tant que juriste", raconte Sandrine, 27 ans. Treize ans plus tard, cette militante a renoncé à son projet : "Je n'ai jamais réussi à me détacher du bénévolat car dans mon association, ce sont les bénévoles qui ont le pouvoir décisionnaire ; ce sont eux qui établissent la stratégie. Les salariés sont là pour exécuter les déclinaisons opérationnelles, pour la tactique. Ce n'est pas le genre d'engagement que je souhaitais : moi je ne voulais pas être payée pour le temps que je donnais ; je souhaitais l'offrir librement."

Jaloux les bénévoles?...


La notion d'engagement est au cœur de la question : le salarié est-il réellement engagé puisqu'après tout, il est bel et bien payé pour travailler ? Et d'ailleurs, les bénévoles ne manquent souvent pas de le leur faire remarquer : "Ils en veulent aux salariés parce qu'ils prennent leurs vacances, qu'ils ont des RTT, qu'ils ne travaillent "que" 35 heures, relate Thierry, bénévole associatif à Dijon. Les bénévoles disent : "Nous sommes là pendant notre temps libre nous", et ils ne comprennent pas que le salarié ne vienne pas bosser le dimanche alors qu'eux le font. Mais les salariés, ils ont des mômes à aller chercher à l'école et des courses à faire comme tout le monde ; ils ont peut-être envie de s'engager ailleurs aussi...".


Pour Sandrine, ces reproches cachent quelque chose : "C'est de la jalousie. Les salariés bossent 35 heures et donc ils ont une meilleure maîtrise des dossiers que les bénévoles, en dehors de ceux qui peuvent y consacrer également tout leur temps comme les retraités par exemple. Les salariés sont souvent de meilleurs experts". Des experts qui se multiplient d'année en année... En 2007, une étude du CNRS comptabilisait 40.500 équivalents temps pleins dans le secteur de la solidarité pour 40.800 associations à vocation humanitaire (voir le lien ci-dessous). "En 2008, le secteur a même créé 77.000 emplois en France, tous types de contrats confondus", précise Richard Diot, responsable du pôle information chez Bioforce, l'Institut de formation aux métiers de l'humanitaire à Dijon. Le secteur penche donc définitivement vers la professionnalisation pour plusieurs raisons.

Amateurisme vs compétences


La première, évidente, est celle des compétences : "Les bénévoles ne travaillent pas pour l'argent mais par passion et à ce titre, n'importe qui peut faire partie d'une association. Il suffit de demander d'en être membre ; aucun responsable des ressources humaines ne vient nous recruter...", relève Sandrine. Le secteur, forcément en lien avec des populations fragilisées, ne peut pourtant pas laisser la place à l'amateurisme...


"A la Société dijonnaise de l'assistance par le travail (SDAT), nous travaillons avec les grands exclus : certains ont vingt ans de rue derrière eux. Il faut énormément de patience et d'expérience pour les accompagner et donc, ce sont des travailleurs sociaux qui s'en chargent. Mais les bénévoles, eux, ils ont envie de s'engager aussi. Ils ne sont pas là uniquement pour entendre des bilans financiers au conseil d'administration ! Du coup nous les faisons intervenir sur des actions ponctuelles comme le partage des repas, les sorties au cinéma, etc.


Mais dès que j'ai essayé d'augmenter ce rôle, les travailleurs sociaux sont intervenus en défendant leur territoire et en disant : "C'est notre job, ils ne sont pas capables de le faire" !", raconte Bernard Blettery, président de la SDATet responsable du diplôme universitaire d'action humanitaire (3ème cycle) à la faculté de médecine de Dijon.

Tâches ingrates ? On embauche !


De nombreux bénévoles sont néanmoins parfaitement compétents, leurs connaissances étant basées sur l'expérience du terrain ou de leur propre métier. Mais pour les plus jeunes qui pensent être capables, la chute est parfois dure... "Je me souviens d'une association d'étudiants qui menait une action au Sénégal de distribution de conteneurs pour les poubelles, les déchets dans la rue représentant un gros souci là-bas. Et bien ils n'avaient pas pensé au fait qu'il n'y ait pas de ramassage des poubelles et donc les conteneurs se sont remplis et le sont restés !", raconte Bernard Blettery. De même, une action manquée comme celle de l'Arche de Zoé** en 2007 serait catastrophique en terme de répercussions sur les dons...


Outre la question des compétences, les salariés sont également souvent nécessaires pour réaliser des taches dont les bénévoles ne veulent pas. "Nous devions remplacer notre comptable, un bénévole, et nous ne pensions pas embaucher, explique Thierry. Mais nous ne trouvons personne pour faire ce travail : les comptables, lorsqu'ils arrivent à la retraite, veulent décharger des camions, pas faire de la comptabilité !". "Le salarié est un peu la personne à tout faire ; les emplois sont d'ailleurs créés pour réaliser des choses que les bénévoles ne veulent pas faire... C'est-à-dire souvent les taches administratives", relève également Richard Diot chez Bioforce.

Vers une perte des valeurs...


Si les salariés sont indispensables dans les associations, ils ne doivent néanmoins pas devenir majoritaires. "Je trouve que la professionnalisation à outrance amène une certaine perte des valeurs et de sens, avance Thierry. Les salariés peuvent avoir envie de s'engager sur des missions qui ne sont pas les missions premières de l'association, juste parce qu'il y a des financements à la clé et qu'ils souhaitent pérenniser l'association et donc leur emploi".


A force, même les bénévoles commencent à y voir leur propre intérêt... "Un bénévole avait estimé avoir tellement travaillé pour nous qu'il souhaitait se faire embaucher par l'association, relate Sandrine. Bien sûr, le bureau exécutif a refusé et il a voulu nous attaquer aux Prud'hommes! Là, on atteint vraiment une certaine limite, non?"...

* Du 7 au 9 avril 2010 à la salle Devosge à Dijon, le Tour de France Humanitaire (à l'initiative de l'Institut Bioforce développement) permet de rencontrer et échanger avec des acteurs de la solidarité en France, comprendre les réalités et la professionnalisation de l’action humanitaire et sociale, clarifier la diversité des statuts et des engagements solidaires, trouver des pistes concrètes pour agir en France et à l’international. A Dijon, plusieurs associations de solidarité internationale locales sont également présentes afin de promouvoir et développer cette initiative (l'intégralité du programme en lien ci-dessous).


** En 2007, l’association humanitaire l'Arche de Zoé avait un projet : faire prendre en charge des "orphelins" par des familles d’accueil. Le 25 octobre de la même année, six membres de l'association sont arrêtés au Tchad, près de la frontière avec le Soudan. Avec eux, 103 enfants qu’ils s’apprêtaient à rapatrier en avion en France. Sont également interpellés sept Espagnols et un Belge qui composent l’équipage de l’avion. La France assure avoir tout fait pour dissuader les membres de cette organisation d’aller au bout de leur projet. Les Français arrêtés sont inculpés pour "enlèvement de mineurs" et "escroquerie", l’équipage de l’avion pour "complicité". Un rapport du Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU indique que la plupart des enfants que l’Arche de Zoé voulait prendre en charge ne sont pas des orphelins. Les six Français sont condamnés à huit ans de prison assortis de travaux forcés mais ils sont rapatriés en France. En mars 2008, le président du Tchad, Idriss Déby, décide finalement de gracier les membres de l’Arche de Zoé. Reste en suspens la question des indemnités dues aux familles des enfants que les six condamnés disent ne pas pouvoir payer et que la France ne veut pas prendre en charge.

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