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Dijon / Bourgogne

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Billet de blog 9 avril 2010

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Comment McDonald's s'achète une respectabilité... Partie 1/2

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La mal-bouffe ? Ils assument mais ils s'améliorent aussi. La méchante enseigne mondialiste sans âme ? Ils répondent que leurs franchises sont déclarées dans les tribunaux de commerce de France. Bref, McDonald's deviendrait-il irréprochable ? C'est en tout cas ce qu'était venu dire Éric Gravier, vice-président de l'enseigne en France, de passage à Dijon jeudi 1er avril 2010, accompagné d'Olivier Burniaux, franchisé depuis treize ans et possédant quatre restaurants dans le Grand Dijon. Un peu perplexe, dijOnscOpe a découvert ensuite le nouveau scandale révélé par une enquête de Télérama*: un reportage peu à l'avantage de la chaîne d'hamburgers, que M6 a tenté de censurer. Il faut dire que les images compromettent le gage de qualité, que les dirigeants de l'enseigne avancent dans cette interview...

Éric Gravier, bonjour. En tant que vice-président de Mcdonald's en France, vous êtes chargé de gérer les situations de crise : quelle est la dernière en date qu'ait connue l'enseigne ?


Éric Gravier : "Cette marque a grandi dans les crises. Dans le fond, on peut même dire que nous sommes dans une crise latente permanente parce que nous avons une réputation qui a longtemps été sulfureuse. Nous ne laissons personne indifférent. Au bout du compte, nous avons toujours une certaine pression autour de nous. Aussi, nous sommes tous à titre individuel des ambassadeurs de la marque, que ce soit le soir, le week-end, avec nos amis... On ne peut qu'être attaché à cette marque quand on y travaille. On le vit avec beaucoup de passion.


Olivier Burniaux : Oui, il y a un côté fascinant dans cette enseigne. On vit très vite comme une injustice une attaque qui est un raccourci.


E.G : Et d'ailleurs, nous avons encore tendance à penser que nous sommes mal vus mais on se trompe. Je suis convaincu que nous sommes une entreprise normale aujourd'hui. La période d'installation est loin d'avoir été simple parce que nous n'avions pas la confiance des banques au début : elles ne croyaient pas en l'avenir de McDonald's en France. Ensuite, il a fallu trouver des franchisés de qualité et des équipes rapidement ; certaines années, on ouvrait plus de cent restaurants ! Après, il y a eu la phase d'intégration avec deux phénomènes accélérateurs. Le premier, la crise de la vache folle (déclenchée en 1996), a touché notre cœur de garde : 65% de nos sandwichs vendus sont au bœuf. A l'époque, nous nous sommes dit que puisque nous étions les seuls à avoir du steak haché tracé, nous allions défendre le bœuf. Nous avons alors même lancé le plus gros steak haché de toute notre histoire à travers un sandwich qui s'appelle le "280" !

Quelle est l'autre situation de crise qu'a dû essuyer l'enseigne ?


E.G : Le deuxième élément a été José Bové et le fait qu'il nous ait pris pour une tête de Turc dans la cour. Au départ, il luttait contre une surtaxation du Roquefort et il s'est servi de notre restaurant en construction à Millau (Aveyron) pour faire valoir ses idées. Il nous a totalement détruit le restaurant (*2) : ils ont coulé du béton dans les canalisations quand même ! Quelques semaines plus tard, c'était devenu comme un grand jeu : pour attirer les médias, il suffisait de casser du McDo. Cela jusqu'au jour où une poignée de fous furieux révolutionnaires bretons (*3) avaient installé une bombe à la porte d'un de nos restaurants qui était censée sauter la nuit mais qui a explosé alors qu'une jeune femme poussait la porte pour une livraison... Et là, ça nous a électrocutés : on a mis des pleines pages dans la presse quotidienne régionale en disant que ça suffisait. Nous venions de réaliser qu'on ne pouvait pas juste bien faire et laisser dire. Donc nous avons mis trente ans à nous intégrer mais je considère que nous le sommes désormais.


O.B : Quand on me dit : "Mais vous êtes l'horrible entreprise mondiale !". Moi je réponds que c'est tout l'inverse ! Contrairement à Nike par exemple, nous sommes une enseigne à marque mondiale mais multilocale : nous créons en France, nous travaillons essentiellement avec l'agriculture du pays, nous employons localement des milliers de personnes...

Vis-à-vis de la maison mère justement, quelle est votre marge de manœuvre ?


E.G : C'est très simple : McDo France est filiale de McDo Corp basée à Chicago. A ce titre, nous leur restitutions nos résultats. S'ils sont bons, cela nous laisse une liberté suffisante pour fonctionner un peu comme nous en avons envie. Chez McDo (*4), le système est pyramidal sauf que la pyramide est à l'envers. C'est-à-dire que ceux qui créent la richesse, le dynamisme et l'inventivité, ce sont ceux qui sont sur le terrain. Nous sommes donc sur une mécanique coopérative et mutualiste. Pour une boite américaine, c'est quand même pas mal ! Après, bien sûr que c'est une entreprise capitaliste qui attend de ses filiales qu'elles rapportent de l'argent. Et il se trouve que McDonald's France a les meilleurs résultats au monde après le marché américain, ce qui nous laisse une certaine liberté.


Il y a deux paradoxes spécifiques à la France : nous sommes le pays où la fréquentation est la plus faible au monde (sur 120 pays). Les Français vont en moyenne une fois par mois au McDo. En revanche, nous sommes le pays où le ticket moyen, pour deux personnes, est le plus élevé : environ douze euros. Cela traduit un usage local : les Français vont très peu au restaurant ; il n'y a que 15% d'entre nous qui mangent régulièrement en dehors de chez eux. En plus, le Français vient à l'heure des repas et non tout au long de la journée, donc notre chiffre d'affaire se fait à 70% au moment des repas. Tout cela constitue un paradoxe que les Américains ont cessé de comprendre, sans compter que nous avons des syndicats... On vit comme des entreprises françaises normales mais étant donné que les résultats sont là, nous nous permettons des choses que peut-être les autres pays ne se seraient pas permis.

Quel genre de liberté prenez-vous ?


O.B : Quand nous décidons de lancer le Big Mac au pain complet par exemple, que nous avons sorti l'an dernier, nous touchons à l'icône de l'enseigne ! Pour être honnête, nous avons été à la limite de la frontière de ce qui est toléré et tolérable. On a même failli se faire virer là ! N'empêche que nous l'avons fait : nous savions que de toute façon, nous ne pouvions pas expliquer au modèle américain pourquoi nous voulions le faire, parce que c'est culturellement très européen comme idée. Mais nous savions qu'il s'agissait d'un signe extrêmement fort que de montrer à nos clients que nous étions sérieux dans la qualité des produits et que nous voulions vraiment prendre le problème de la nutrition d'un point de vue très pragmatique. Et donc, après un certain étonnement et après avoir dépêché un avion spécial pour venir goûter le produit dans les 24 heures, les Américains nous ont donné l'autorisation.


E.G : Ce qu'il y a d'intéressant avec notre management aux États-Unis, c'est qu'il nous met à disposition des moyens phénoménaux. Il y a par exemple un centre de recherches à côté de Chicago, où l'on peut reconstituer l'activité de n'importe lequel de nos restaurants. Nous l'exploitons chaque année : nous nous mettons alors en configuration d'un restaurant français et nous le faisons tourner avec de vrais clients. Ainsi, nous voyons ce qui marche ou non dans la production et nous réajustons ensuite. En revanche, nous testons nos produits en France.


O.B : Oui, les tests de perception produits sont faits en France et les sandwichs que nous vendons y sont également développés : par exemple, le Mac Deluxe a été inventé par la France et pour les Français. Et d'ailleurs, c'est le deuxième sandwich le plus vendu dans le pays, après le Big Mac. Quelque fois, nous nous inspirons aussi de nos voisins bien sûr...

Allez-vous de plus en plus évoluer vers la "bonne bouffe" ?


O.B : Nous avons une volonté de s'assurer de la qualité de nos produits. Mais quand vous venez au McDo' une fois par mois, vous avez aussi le droit de vous faire plaisir...


E.G : D'ailleurs, nos clients n'ont pas envie de faire attention lorsqu'ils viennent chez nous. Un jour, nous avions eu la bonne idée de tester une boisson light imposée si le client ne pensait pas à préciser s'il le souhaitait ou non. Nous nous sommes faits massacrer dans les tests ! Ils nous ont dit : "Mais de quoi vous vous mêlez ?" Alors si nous élargissons les choix afin qu'il y en ait pour chacun, ne nous y trompons pas : l'hamburger reste notre créneau."


*1 Résumé de l'enquête de Télérama.fr l Début 2009, l'agence de presse Tony Comiti vendait à M6 une enquête sur la restauration rapide dans laquelle les journalistes s'intéressaient à McDonald's et KFC. En caméra cachée, ces derniers découvraient que chez McDonald's, contrairement à ce qui est dit au client, les hamburgers qui ne sont pas vendus en dix minutes ne sont pas jetés. Chez le franchisé où est tourné le reportage, ils continuent d'être vendus quatre heures après leur fabrication et des étiquettes mentionnant la date de péremption des produits sont remplacées sitôt leur durée de vie dépassée. Bref, des images pas vraiment à l'avantage de l'enseigne qui réagit : la régie publicitaire de M6 intervient auprès de la rédaction en chef ; McDonald's exige la livraison du film et de tous les rushes tournés en caméra cachée faute de quoi il menace la chaîne d'un procès. Des députés français appellent le producteur en lui demandant de «laisser tomber» avec cet argument imparable : "C'est des copains". M6 et McDonald's finissent par transiger : pour contrebalancer l'image désastreuse, une nouvelle séquence sera tournée chez un autre franchisé... [Pour voir les vidéos de l'enquête, cliquer sur le lien ci-dessous.]


*2 : En 1999, le syndicat agricole Confédération paysanne, par l'entremise de M. José Bové et d’autres paysans français, attire l’attention internationale sur la mal-bouffe en démontant une sandwicherie franchisée de McDonald en cours d'assemblage à l'entrée de la petite ville de Millau (Aveyron). L’action fait suite à l'interdiction des importations en Europe par l’Union européenne des viandes américaines issues de vaches piquées aux hormones de croissance. En signe de rétorsion, les États-Unis augmentent les frais de douanes des fromages au lait cru français, dont le célèbre Roquefort, ainsi que d’autres produits européens. José Bové a été condamné pour cela à trois mois de prison.


*3 : Entre août 1998 et mars 2000, une quinzaine d'explosions ont lieu en Bretagne, toutes revendiquées par l'Armée révolutionnaire bretonne. Mais le 19 avril 2000, la bombe déposée à l'entrée du McDonald's de Quévert (près de Dinan) explose vers 10 heures, tuant la chef d'équipe du fast-food venue ouvrir la porte du restaurant.


*4 : McDonald's.

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