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Dijon / Bourgogne

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Billet de blog 10 février 2010

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Artisanat : "Tu peux me refaire la cuisine au black?"

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En partenariat avec la Fédération française du bâtiment 21 et la CGPME de Côte d'Or, l'association Artisans de notre avenir a vu le jour récemment. Sa mission ? Mener une réflexion sur l'avenir du monde de l'artisanat et les missions que pourrait remplir la Chambre de métiers et de l'artisanat du département... Derrière l'initiative, se dévoilent en effet les élections de cette dernière au début de l'automne 2010. Mais puisque l'heure n'a pas encore sonnée et que l'association n'a pas souhaité évoquer pour le moment ses réflexions sur le sujet, dijOnscOpe s'est tourné vers le témoignage d'un ex-artisan côte-d'orien. Avec ses 25 ans d'expérience, ce dernier revient sur les difficultés du métier en posant les questions du devenir de l'artisanat et de son rapport à l'usager...

Une gratification sociale qui se fait attendre


"Dans l'un de ses ouvrages, la romancière et historienne Jeanne Bourin revient sur l'artisanat au moyen-âge en France : à cette époque, l'artisan était un notable respecté dans la ville alors qu'aujourd'hui, il n'est plus tellement gratifié. Et d'ailleurs, si l'on demandait à une centaine de jeunes de choisir entre commercial ou pro de la communication et peintre-plâtrier ou menuisier, il y aurait fort à parier que beaucoup ne choisiraient pas le métier manuel. C'est une question de gratification sociale : le travailleur manuel est censé être moins intellectuel et donc moins estimé par la société actuelle. Mais on a oublié que l'artisan a été à l'origine de mouvements sociaux, politiques... Il y en avait d'ailleurs pas mal qui se revendiquaient de l'anarchisme à une époque !

"Tu connais quelqu'un de bien pour refaire ma cuisine au black ?"


Cette réflexion illustre parfaitement deux gros problèmes de l'artisanat. A savoir premièrement, la question de la confiance de l'usager à son artisan. C'est une question qui mérite d'être posée si l'on considère par exemple la mauvaise réputation des garagistes : ces derniers font peur aux usagers qui redoutent d'être sanctionnés par une addition corsée. Cette peur s'explique car ils n'y connaissent rien en mécanique. De plus, la facture ne leur paraît pas toujours transparente... D'où l'impression de "se faire avoir". Il faut pourtant savoir que lorsque vous donnez 100 euros à un artisan, une fois ses charges et ses impôts déduits, il ne lui reste guère plus de 20 euros. Pour ma part, quand je prenais 40 euros de l'heure, j'expliquais au client que non seulement je ne pouvais pas faire le travail en dix minutes mais qu'en plus, je ne pouvais pas lui demander moins car sur sur les 40 euros, il ne m'en restait que 8...

Les charges (URSSAF, caisses de retraite, sécurité sociale...) et les frais généraux (local, véhicule, électricité, pub, cabinet comptable...) sont en effet assez lourds dans ces métiers. Cela nous mène au second problème rencontré par les artisans : nous subissons en effet la concurrence déloyale du travail au noir qui est particulièrement facilité dans le milieu. Comment faire face à des prix qui sont deux à trois fois moins élevés ? Les gens sont inévitablement tentés de faire appel au travail au noir. Du coup, c'est autant de clientèle de perdue. Les temps sont pourtant déjà assez difficiles : la société, ultra-consumériste, ne répare plus mais préfère jeter. Le type dont le pied de table Ikea s'est cassé ne va pas aller le faire réparer chez un menuisier qui lui demandera le double du prix initial de la table !

Mauvais artisan mais bon gestionnaire : le duo gagnant ?


Quant à la question du bon artisan, elle peut se poser car il existe énormément d'entrepreneurs qui se prétendent professionnels et ne le sont pas. D'où à nouveau une méfiance à notre égard... Si on pouvait en donner une définition, le bon artisan est quelqu'un qui fait ce qu'on lui a demandé, quel que soit le prix. A ce propos, le travail, quand c'est mal fait, c'est toujours trop cher... De plus, l'artisan a le plaisir du travail bien accompli : quand il rentre chez lui le soir, il a réussi une soudure, un enduit, une couture et il est heureux. Et c'est un nouveau problème qui se soulève : l'artisan est plus à l'aise lorsqu'il exerce son métier que lorsqu'il doit gérer une petite entreprise dont la gestion administrative reste contraignante, quoi qu'on en dise. Sa tête est en effet occupée à des soucis de gestion qui sont très importants : beaucoup d'entreprises artisanales ont un statut individuel. C'est-à-dire qu'en cas de difficultés ou de faillite, ce sont les biens personnels de l'artisan qui sont mis en jeu. Sa maison, son auto, son mobilier... Cela génère beaucoup d'inquiétude.


Pour être artisan, il ne faut donc pas seulement bien faire son travail mais être un bon gestionnaire. C'est sans doute ce qui compte le plus dans la réussite de l'entreprise. Il faut par exemple savoir faire un bilan comptable complet que l'administration fiscale est en droit de nous demander... Quant aux conseils de la Chambre des métiers, ils sont souvent théoriques car il manque à ses représentants de ne pas avoir géré eux-mêmes une entreprise artisanale. Bref, un bon artisan peut se casser la gueule car il est mauvais en gestion. Pour ma part, j'ai arrêté car j'étais découragé par la précarité du métier et les banques."

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