
En réalisant un article faisant le point sur les différentes listes existantes pour les élections régionales des 14 et 21 mars 2010, il est apparu que certaines n'étaient pas complètes : bien souvent, seules les têtes de liste départementales étaient en effet révélées. Les responsables des partis expliquaient attendre de déposer leurs listes en préfecture avant de les rendre publiques ; plusieurs ont justifié cette décision en nous confiant préférer éviter de cette manière certaines pressions sur leurs co-listiers... Paranoïa aiguë ou réalité ? Quatre têtes de liste témoignent.
En temps et en heure
"Nous avons décidé qu'il était prématuré de dévoiler notre liste. Nous le ferons lorsqu'elle sera déposée le 15 février au soir, afin d'éviter des pressions sur les co-listiers et ainsi continuer à travailler tranquillement...", expliquait François Benredjem, président d'Alliance centriste dans le département et tête de liste de Bourgogne centristes en Côte d'Or, dans un précédent article de dijOnscOpe. Le lundi 15 février 2010 est en effet la date fatidique pour venir déposer sa liste en préfecture ; une fois la démarche administrative effectuée, les partis peuvent ensuite se considérer plus ou moins comme tranquilles selon Christian Launay, tête de liste du Front national en Saône-et-Loire : "Depuis 2004, la loi ne permet plus le retrait de candidature individuelle une fois que les listes ont été déposées à la préfecture. Les co-listiers sont donc tenus d'y rester...". Certains partis auraient-ils peur de voir s'échapper leurs candidats ? Apparemment oui et ils auraient même de bonnes raisons de le redouter...
Amis, famille...
Pressions politiques internes et externes et même pressions familiales et du voisinage... Les raisons d'être inquiet sont légions et particulièrement réelles pour les groupes dits minoritaires. Aussi si le Front national en Bourgogne a attendu ce lundi 8 février pour déposer sa liste en préfecture et la rendre publique, ce serait pour éviter certaines pressions de proches : "J'ai connu des difficultés aux municipales de 2008 à Mâcon, reconnaît Christian Launay. Certaines personnes sur ma liste ont subi des pressions familiales et sont allées jusqu'à porter plainte contre moi en affirmant que j'avais extorqué leurs noms. J'ai été entendu par la police à qui j'ai fourni toutes les preuves me disculpant... Ce sont là des cas extrêmes. D'autres laissent simplement tomber après avoir reçu des menaces, même minimes du type coup de téléphone anonyme la nuit. Pourquoi ces pressions ? Je crois que le fait de s'afficher sur une liste du Front national peut ne pas être bien perçu. C'est pour cela que c'est un acte courageux. Actuellement, j'ai sur ma liste une dame qui habite dans une cité sensible à Châlon-sur-Saône : elle est courageuse si l'on considère que dans l'opinion, on pense que le Front national est contre les Arabes... Bref, pour toutes ces raisons, nous avons rendu publiques nos listes hier et cette fois-ci nous n'avons pas rencontré ce genre de problème".
... patrie politique
Dans un autre genre, certains co-listiers de l'Autre Gauche en Bourgogne (liste unitaire rassemblant des membres du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), du parti de gauche, de la Fédération pour une Alternative Sociale et Ecologique et des communistes unitaires) ont connu certaines difficultés pour se présenter. C'est du moins le cas pour certains communistes de la liste selon Alain Raymont, tête de liste dans l'Yonne : "Je ne suis pas du genre à accepter de subir des pressions donc nous n'en avons pas eu dans l'Yonne. En revanche, la direction départementale de la Nièvre a vu d'un mauvais œil que certains se joignent à notre liste. On a essayé de les dissuader... A Paris non plus ils n'étaient pas contents : ils ont fait pression sur les individus en nous rappelant au patriotisme du parti. Bref, il n'y a pas eu de réelles menaces, ils ont simplement essayé de nous donner mauvaise conscience pour nous dissuader de constituer cette liste".
Débauchages dans les règles de l'art
Au cœur des pressions reste bien entendu celle du débauchage politique. Et à en écouter certains, ces régionales 2010 ne font pas exception à la règle... C'est notamment le cas pour la liste Bourgogne centristes (rassemblant des membres d'Alliance centriste, du Modem, du Nouveau centre, de l'UMP et des non inscrits), comme l'explique François Benredjem, tête de liste en Côte d'Or : "Nous sommes un rassemblement de centristes. Or il est évident que nous nous présentons sur un échiquier politique où il existe d'ores et déjà des listes centristes que nous pouvons donc gêner. Nous pourrions perturber le jeu électoral et être encombrant notamment pour le Modem, qui présente une liste autonome, et pour le Nouveau centre qui se présente avec la majorité présidentielle. Du coup, des tentatives d'influence il y en a eu et ce n'est peut-être pas fini... A la veille de Noël, nous avions organisé une conférence de presse à laquelle avaient suivi bon nombres de réactions. On nous a sollicités pour faire des alliances, des rapprochements, en nous disant que nous participions à un certain flou chez les électeurs. Dans certains départements, il y a même eu des tentatives de débauchage de co-listiers... C'est pour cela que pour être tranquilles, nous avons choisi de rendre nos listes publiques une fois qu'elles seront déposées en préfecture".
Julien Gonzalez, tête de liste régionale de l'Alliance écologiste indépendante, est plus précis encore : "Du débauchage ? Oui, c'est arrivé. En octobre, nous avions organisé une conférence de presse et nous étions en photo dans le journal. Peu de temps après l'annonce de la constitution de la liste, les Verts d'Europe Ecologie ont contacté l'un de nos co-listiers, Christine Grandjean, pour qu'elle les rejoigne : et c'est ce qu'elle a fait ! D'autres candidates ont subi des pressions de leur part : ils cherchaient des femmes pour boucler leur liste (cf : la liste Europe Ecologie se veut en effet d'une parfaite parité hommes-femmes). Mais je crois bien que cela pourrait leur coûter cher car Christine Grandjean est responsable de Greenpeace à Dijon et que l'organisation sur le plan national vient de lui rappeler qu'elle n'avait pas le droit de se présenter à une élection. Autrement dit elle va devoir faire un choix qui pourrait bien les embarasser...".
"Boucler une liste"... L'appréhension de perdre ses co-listiers s'explique notamment par le fait qu'il n'est pas toujours chose aisée d'en trouver. "Le plus dur, c'est pour la constitution des listes aux municipales : il faut en effet 45 noms*, explique Christian Launay. Autant dire qu'il s'agit d'une aventure vraiment militante ! Pour les grandes écuries politiques, c'est facile. Nous en revanche, nous partons bien souvent ex-nihilo**"...
* Pour les élections régionales, les listes doivent présenter 65 noms.
** expression latine signifiant "à partir de rien".
