dijOnscOpe

Abonné·e de Mediapart

Billet publié dans

Édition

Dijon / Bourgogne

Suivi par 18 abonnés

Billet de blog 10 novembre 2009

dijOnscOpe

Abonné·e de Mediapart

Prostitution : la peur au ventre

dijOnscOpe

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pour faire suite à un premier volet théorique sur le phénomène de prostitution à Dijon, dijOnscOpe tente aujourd'hui d'apporter un éclairage sur un vécu, une tranche de vie exprimée avec authenticité. C'est ainsi que nous avons fait la connaissance d'une femme courageuse. Avec ses mots à elle, elle donne corps à une existence qui n'a eu de cesse de la confronter aux situations les plus dures. Un parcours que de nombreuses autres filles semblent avoir en commun. Qui pense encore que la prostitution est un métier comme un autre ?...

Tu verras, tu vas gagner de l'argent...


"Cela fait 33 ans que j'ai commencé à me prostituer ; c'était un premier novembre. J'avais à peine 24 ans à l'époque. On était une famille nombreuse, de 15 enfants, d'un patelin de campagne en Bourgogne. J'ai toujours connu la violence, déjà au sein de la famille. Rapidement, je me suis mise avec quelqu'un, un paysan. Mais il était très violent, il me battait et une fois, ou plusieurs je ne sais plus, il m'a menacée avec son fusil de chasse... Alors je suis partie chez ma sœur. A ce moment là, j'étais enceinte de 5 mois ; mon mari m'a laissée quand j'ai accouché. J'avais eu deux jumelles mais l'une était morte dans mon ventre. Je n'avais pas d'argent, plus de mari et une fille sur les bras. Une amie m'a alors proposé du travail. Elle m'a dit : "Tu verras, tu vas gagner des sous !" Dans ma vie, je n'ai eu qu'un an et demi de scolarité alors vous savez, je n'avais pas bien le choix. Mais je ne savais pas en quoi consistait le travail et je ne connaissais pas Dijon. J'ai été mise sur le trottoir par l'intermédiaire de son copain qui la faisait travailler aussi. Ça a duré trois ans.

La peur au ventre


Au début, le regard des gens est difficile. J'avais honte, je me faisais insulter dans la rue. Ensuite, j'ai retrouvé quelqu'un. Il était très violent aussi et il m'a remise sur le trottoir. Il n'habitait pas à Dijon et avait plusieurs filles à s'occuper dans d'autres villes parfois loin. Il ne revenait que le weekend. Mais parfois, il faisait des faux départs, pour vérifier si j'allais bien travailler. Quand c'était pas le cas, il me battait. J'avais peur tout le temps ; c'est à cause de ça qu'on ne va pas à la Police. Il me menaçait moi et ma fille vous savez. Dans la rue Danton, on était une centaine de filles il y a 25 ans, et il y avait de la solidarité entre nous ; on se défendait comme on pouvait, c'était pas le maquereau qui le faisait. Lui, il venait juste récupérer de l'argent, il foutait rien ! Mais on allait toutes travailler la peur au ventre. Et quand c'était pas le proxénète, c'était le client. Je regardais toujours le numéro de voiture au cas ou.

A mes débuts, j'avais une amie (25 ans) qui faisait souvent ça dans des coins. Un soir, elle est allée avec un type mais moi il me revenait pas. Elle a pris sept coups de couteaux dans la ruelle à coté. Elle est arrivée dans mes bras avec le ventre ouvert et les tripes qui sortaient... Ça a été très dur pour moi cette fois. J'ai reçu un coup de couteau aussi un jour ; on sent rien du tout au début, mais c'est après... J'ai eu un pétard sous le nez aussi, enfin c'était de la violence tout le temps. J'ai des marques partout sur le corps maintenant. Un soir, on était les unes à coté des autres à avoir un coquard à l'œil. On avait pourtant toutes un maquereau différent !

L'alcool, ça permet d'oublier


J'ai eu de graves problèmes d'alcool à cette période, comme toutes les filles d'ailleurs. J'ai fini je sais pas combien de fois au SAMU à cause de ça. L'alcool, ça réchauffe et ça permet d'oublier et de dormir. On ne pense plus à ce qui se passe ni à ce qu'on fait. J'allais en boîte bourrée tous les soirs, j'en profitais que l'autre n'était pas là. De toute façon, la plus grosse journée, c'était le vendredi mais il m'arrivait de faire des journées de 16 heure la semaine quand même. Ça fatigue énormément, le corps mais aussi le moral. Un vendredi soir, les flics ont compté : j'avais eu 46 clients en une soirée. Alors on cache l'argent partout à la va-vite, surtout pas dans le sac à main. Dans les chaussettes, les bottes, le soutif, partout. Sinon quand le maquereau revient, il prend tout ce qu'il trouve et s'il trouve pas assez, ça finissait mal pour nous.

J'ai fait cinq tentatives de suicide


Il y avait des bagarres entre prostituées aussi. Quand des nouvelles nous prenaient notre place et volaient nos clients. Un jour, j'ai envoyé balader un maquereau qui voulait faire travailler deux filles. Il est parti. Une fois, les transsexuels m'ont gazée avec une bombe lacrymogène. Ça a duré 10 ans cette fois avec le même proxénète. Ensuite il est allé en prison. J'ai continué quelques mois toute seule jusqu'à ce qu'une amie se fasse étrangler par un client. On l'a retrouvée dans la rue mais on n'a jamais retrouvé le type. Après ça, j'ai voulu arrêter. J'avais trouvé un travail en CES (contrat emploi solidarité), un contrat d'insertion qui ne m'a pas inséré du coup. Mais c'était quand même mieux. J'ai aussi fait pas mal de bénévolat. Le problème, c'est que l'autre n'a fait qu'un an et demi de prison ; à sa sortie, il a voulu me remettre à la rue, il m'a menacée, ma famille, ma fille et moi. Il a envoyé des copains à lui, des voyous pour me tuer mais la voisine a appelé la police.
Pendant ces années-là, j'ai fait cinq tentatives de suicide ; la dernière a failli être la bonne, j'ai fais trois jours de coma. Les flics me surveillaient un peu plus du coup. Par contre, ils ont toujours été très gentils avec moi à Dijon ; je les connaissais bien à force. On est descendu à Marseille avec une copine un coup, on a racolé un peu pour rigoler. On a fini derrière les barreaux toute la nuit. On est reparties aussi sec : les flics étaient beaucoup moins cool là-bas.

J'ai fini par me faire une raison


Et puis un jour, mon mac est mort, tué à coups de couteau à Lyon. J'ai eu d'autres copains après, soit violents ou saoulons, soit des escrocs. J'ai fini par me faire une raison. Maintenant, je vis seule avec mon chien et mes deux chats. Je ne vois pas grand monde maintenant, c'est difficile de faire confiance pour moi. J'ai encore quelques clients occasionnels que je connais bien mais j'ai arrêté globalement. J'ai ma fille à Dijon et ma petite nièce : je veux plus me prostituer.
Cela fait sept ans et demi que je suis au PAS [Structure d'accueil pour les prostituées]. Je suis arrivée après la mort de mon frère, c'est une amie qui m'a aidée. Elle aussi était au PAS. J'ai d'abord cherché de l'aide au niveau administratif car j'étais complètement paumée dans les papiers. En plus, j'étais très malade à cette époque : j'avais eu un cancer et ensuite on m'a enlevé la thyroïde et puis tout un tas d'autres problèmes de santé que j'ai eus au cours de ma vie. J'aime bien venir ici (services du PAS) : ils m'ont beaucoup aidé pour tout, le moral, les menaces tout.
Aujourd'hui ma santé est stable, je ne vais plus dans la rue. Je vis chez moi avec une pension d'invalidité car je suis propriétaire de mon appartement. J'ai hâte d'être grand-mère : ma fille est très jolie, ça ne devrait plus tarder."

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.