
Mendiants, squatteurs, voleurs... Les préjugés sur les Roms sont légion dans l'imaginaire collectif européen. Et d'ailleurs, rares sont les villes qui se réjouissent de les accueillir... Dijon fera-t-elle exception à la règle ? Ce vendredi 11 décembre 2009, le tribunal d'instance rendra son jugement quant à la demande d'expulsion des Roms qui squattent une ancienne caserne rue des Creusots à Dijon. A la veille du délibéré, dijOnscOpe a rencontré Marius et Mariana*, une famille Rom coutumière des allers et retours entre la Roumanie et la capitale des Ducs. Ils nous ont reçus dans leur appartement, dans lequel ils viennent d'emménager grâce à l'aide de plusieurs particuliers dijonnais, pour raconter leur histoire...
"Home sweet home"
L'ameublement du salon est sommaire : une table à manger, des tapis au sol, un matelas posé contre le mur ainsi que quelques cadres de "Titi et Gros minet". Peu importe : ici, Marius et Mariana sont chez eux. Et cela faisait bien longtemps que ça ne leur était pas arrivé... La jeune femme sert du café à ses invités, en évitant d'empiéter sur les feuilles de papier posées sur un coin de la table, sur lesquelles son fils écrit et dessine. Elle et son mari sont un peu sur la réserve, méfiants du regard que l'inconnue que je suis peut porter sur eux. La présence d'Agnès Denis, une dijonnaise qu'ils connaissent depuis longtemps maintenant, les rassurent quand même. Et petit à petit, les langues se délient... "Je suis né à Hunedoara en Roumanie, près de la frontière hongroise, raconte Marius. Vers 14 ans, je suis parti avec ma famille en Yougoslavie, puis en Turquie, en République Tchèque, en France... Mais c'est en Roumanie que j'ai rencontré Mariana. Je rendais alors visite à ma famille à Blaj... On s'est marié deux ans plus tard". Mariana lui sourit, complice comme une femme amoureuse.
De Charybde en Scylla...
A 25 ans (Marius) et 26 ans (Mariana), le couple a d'ores et déjà affronté bien des épreuves. La première fois qu'ils sont venus ensemble en France, c'était à Dijon. "A l'époque, on devait aller tous les mois à la préfecture pour avoir le tampon qui nous autorisait à rester ici, se souvient Mariana. A ce moment-là, on squattait une caserne militaire et j'étais enceinte de notre premier fils. Notre demande d'asile territoriale a finalement été refusée et nous n'avons pas fait appel. Ils nous ont menacés d'enlever l'enfant à sa naissance alors j'ai pris peur. Avec mon mari, nous avons pris le bus pour rentrer en Roumanie. Le trajet dure plus ou moins 23 heures et je me rappelle que tout le monde avait peur que j'accouche pendant le voyage ! Heureusement, mon fils a attendu une semaine pour venir au monde".
Au bout de six semaines, Marius revient seul à Dijon. Mais cette fois, la police l'arrête et l'expédie au centre de rétention de Lyon pendant dix jours. Après avoir vu un juge à qui il explique qu'il n'a rien fait de mal, il est expulsé par avion à Bucarest, la capitale de la Roumanie. Là-bas, la douane roumaine lui interdit de voyager dans l'ensemble de l'espace Schengen pendant deux ans et quatre mois. Il n'a alors pas d'autres choix que de rester au pays et d'attendre patiemment que le délai s'écoule... En janvier 2007, la famille plie bagage direction... Dijon ! "C'était au même moment que la Roumanie entrait dans l'Union européenne", relève Marius. Ils squattent alors des habitations vides route de Langres, en compagnie de la famille du jeune homme.
Dans le collimateur des autorités
Agnès Denis se souvient de la surveillance dont ils faisaient alors tous l'objet : "Tout d'abord, il y avait eu une perquisition à 6 heures du matin dans une maison voisine également squattée. Les femmes étaient en pleurs car on leur a dit qu'on allait leur enlever leurs enfants. Et puis on les surveillait depuis une maison en face, ils étaient pris en photo... Un jour, Marius, son père et son cousin se sont faits arrêter par la police des frontières. Il est resté en garde à vue pendant onze heures". Le jeune homme se rappelle que les policiers cherchaient un chef de bande et les montaient les uns contre les autres. "Et puis ils ont pris une calculatrice pour compter combien d'argent de la CAF nous avions reçu avec ma femme pour notre fils. Ils m'ont dit que nous avions volé la Caf alors que c'était une assistante sociale qui avait fait les démarches pour nous. Ils nous ont relâchés, sans obligation de quitter le territoire mais en nous disant bien qu'à n'importe quel moment, ils pouvaient venir nous arrêter. Le but était bien sûr de nous terroriser... Ils ont très bien joué leur rôle car cela a marché : une fois de plus, nous sommes rentrés en Roumanie, comme la plupart d'entre nous". Pour Marius, qui avait pourtant déjà vécu des situations difficiles, l'épisode est dur. Encore aujourd'hui, il en parle avec quelques trémolos dans la voix.
"Quand le bus est parti, je me souviens que même mon mari, qui n'a pourtant pas la larme facile, a pleuré, se rappelle Agnès Denis. Heureusement, ce n'était pas pour très longtemps... Vous êtes partis en mars et revenus en août dernier, c'est bien ça ?". Le couple acquiesce et précise qu'à leur retour, ils ont squatté la caserne rue des Creusots avant d'emménager dans leur appartement. Ils découvrent alors que le tribunal tranchera demain sur la question de l'expulsion des leurs qui y vivent encore. "Je ne vous l'avais pas dit pour ne pas vous rajouter du souci", justifie Agnès Denis. L'inquiétude est palpable et bien compréhensible : le père de Marius habite "là-bas".
Son diplôme de pâtissière compte pour du beurre...
Eux, ils sont au chaud dans cet appartement en partie financé grâce aux dons mensuels de huit personnes. Ils n'ont pas l'habitude qu'on leur vienne en aide : "C'est beaucoup pour nous, s'émeut Mariana. En Roumanie, on ne trouverait personne pour faire tout ça". Dans leur pays, le couple explique que ceux qui ont "la peau foncée" comme eux sont considérés comme des "gitans", que le racisme est omniprésent, bien plus qu'en France. "Et puis c'est tellement pauvre, renchérit Marius. Si on travaille, on est mal payé ou pas payé du tout. C'est pour cela que nous sommes ici, pour travailler et vivre normalement". Avec un diplôme de pâtissière et une expérience dans le bâtiment et la restauration en poche, Mariana et Marius ont un savoir-faire qu'ils aimeraient exploiter. Encore faudrait-il qu'ils y soient autorisés... Il y a quelques mois, Mariana a travaillé durant cinq jours avant de se faire renvoyer par son employeur : réalisant que les démarches pour obtenir l'autorisation de travail étaient trop longues et laborieuses, ce dernier a renoncé à l'embaucher. "Il nous a promis de nous employer tous les deux dès que nous aurons des papiers", affirme Marius.
La dignité
Faire la manche, l'un comme l'autre assurent que c'est un cauchemar : "Les gens croient que nous sommes des voleurs. Mais nous avons trop peur de la police pour cela ! En revanche, il faut bien vivre et puisque nous ne pouvons pas travailler, nous faisons la manche même si on n'aime pas ça" . Parfois, des gens leur demandent s'ils versent l'argent récolté au "chef", parce qu'ils ont lu cela quelque part dans les journaux. Mais non, il n'y a pas de chef mafieux qui les raquette. L'argent, ils le gardent pour eux. En caressant son ventre arrondi par sa grossesse de huit mois, Mariana tient à préciser quelque chose : "Je m'oblige à aller faire la manche deux fois par semaine sur le marché. Mais je ne m'assieds pas par terre comme un chien. Même si c'est fatiguant, je préfère me tenir debout".
* Les prénoms des protagonistes ont été changés.
