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Billet de blog 11 février 2011

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Révolte du monde judiciaire : "La constitution toute entière est en danger !"

Alors que policiers, gendarmes et CRSs’inquiètent d’une possible baisse de leurs effectifs, le mondejudiciaire rejoint la grogne des forces de l’ordre.

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Alors que policiers, gendarmes et CRSs’inquiètent d’une possible baisse de leurs effectifs, le mondejudiciaire rejoint la grogne des forces de l’ordre.

En cause : lesmoyens de plus en plus réduits octroyés aux magistrats, greffiers etavocats, et les récentes accusations du président Nicolas Sarkozy àl’encontre des services de la justice concernant la remise en libertédu principal suspect du meurtre de Laetitia Perrais, 18 ans, disparueen janvier 2011 à Pornic (Loire Atlantique).

En conséquence, mercredi09 février 2011, la cité judiciaire de Dijon a vu les acteurs de lajustice française se réunir pour voter, ensemble, le renvoi desaudiences non-urgentes jusqu’au vendredi 11 février inclus,s’inscrivant dans la continuité de la journée de manifestationnationale du jeudi 10 février 2011. Le tout dans une ambianceélectrique…

Bras de fer entre le monde judiciaire et l’État
"Lesdysfonctionnements graves des services de la police et de la justiceayant permis la remise en liberté du principal suspect du meurtre de lajeune Laetitia à Pornic seront sanctionnés". Depuis cette allocution duprésident de la République, Nicolas Sarkozy, en visite à Orléans le 03février 2011 (Lire ici l'article de l'Express.fr), rien ne va plus.

Fustigeant ainsi les magistrats en charge de l’affaire Laetitia (Lire icil'article du Point.fr), les attaques répétées de Nicolas Sarkozy ontfinalement fait mouche. Mais pas dans le sens escompté : "Le drame dePornic est le point de départ de notre mouvement", explique AlainChalopin, représentant de l’Union syndicale des magistrats à Dijon (USM),lors de la réunion d’organisation des acteurs de la justice du mercredi09 février 2011 à la cité judiciaire de Dijon. "Nous supportons depuistrop longtemps ces attaques répétées de la part du gouvernement",poursuit-il. Au total, 134 tribunaux de grande instance ont voté lerenvoi des audiences ainsi que onze cours d’appel.

Comment un fait divers atroce a pu, en quelques jours seulement,prendre cette dimension médiatico-politique et amener les magistratsainsi que leurs confrères à soulever un vent de révolte, en bernedepuis quelques années déjà ? "Nous sommes solidaires. Nous noussentons tous concernés par les accusations du chef de l’Étatà l’encontre de nos confrères. Ces "dysfonctionnements" sontmalheureusement le reflet d’une situation de plus en plus critique dumonde judiciaire français", insiste Alain Chalopin. "Nous ne voulonspas nous déresponsabiliser, mais il faut s’attaquer au vrai problème :le manque de moyens et d’effectifs octroyés au monde judiciaire demanière global !", ajoute Caroline Podevin, vice-présidente du tribunald’instance de Dijon et membre de l’USM.
Baisse d’effectifs : des chiffres alarmants

Philippe Aymard, éducateur à la Protection judiciaire de la jeunesse de Dijon (PJJ)dénonce, quant à lui, des pratiques illégales au ministère de laJustice et met en garde contre "la politique du pompier pyromane" : "L 'Étatsupprime peu à peu tous nos moyens. Nous devons répondre en terme deperformances aujourd’hui, ce qui est impossible au vu de la baisseactuelle des effectifs". La PJJ de Dijon a ainsi vu son budget réduitde 5% à 10% en un an, "car nous ne sommes pas dans les objectifs",explique-t-il.
Du côté de la Chambre de la famille du tribunalde grande instance de Dijon, le constat est le même : une chute de 33%des effectifs de ce greffe en un an, un contentieux inépuisable et undomaine d’intervention accru avec le transfert au juge aux affairesfamiliales de la gestion des tutelles mineurs entre autre.

Conséquences ? La suppression d’une audience d’instancesmodificatives et d’une audience de conciliation par mois, ce quireprésente au total 20% du contentieux mensuel habituellement traitépar les juges aux affaires familiales. Les délais de convocations setrouvent allongés de plusieurs mois et les délais de délibérés sont euxaussi désormais plus importants. En somme, elle constate unedégradation évidente des conditions de travail imposées pour des motifsde restrictions budgétaires.

La France en mauvaise posture judiciaire
Le rapport 2010 de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) confirme les dégradations du système judiciaire français liées aux restrictions budgétaires (Lire ici le rapport de la CEPEJ). La CEPEJ procède donc à une étude comparée du système judiciaire de 43 pays du Conseil de l'Europe.

La France affiche des résultats bien en-dessous de la moyenne : bienque le budget du ministère de la Justice estimé à 7,128 milliardsd’euros pour 2011 soit en hausse de 4,15% par rapport à 2010, cechiffre rapporté au PIB par habitant place la France en 37ème positionjuste derrière l’Azerbaïdjan. Toujours selon le classement de la CEPEJ,la France compte 9,1 juges professionnels pour 100 000 habitants, faceà une moyenne de 20,6 dans les autres pays du Conseil de l’Europe.Enfin, elle remporte la 39e place concernant le nombre defonctionnaires de justice pour 100 000 habitants.

"Le procureur de la République a enregistré un manque importantd’effectif des fonctionnaires de l’État", dénonce François Merienne,dauphin du bâtonnier de Dijon. "La justice toute entière est endanger", ajoute-t-il avec force. "Avec ces baisses d’effectif et lesréattributions des rôles, c’est l’article 64de la Constitution de la Ve République qui est bafoué", enchaîne AlainChalopin. Cet article garantit en effet l’indépendance des magistratsfrançais de l’ordre judiciaire. Une garantit de moins en moins évidentedepuis la volonté affirmée du gouvernement de supprimer le juged’instruction et de confier l’instruction au Parquet qui dépend duministère de la justice. Une réforme qui a finalement été abandonnée dufait de son illégalité (Lire ici notre article).

Une révolte au pied levé
C’est donc contrecette inefficacité du système judiciaire français inhérente à unebaisse d’effectif et à un budget de plus en plus étriqué que le mondede la justice tout entier s’élève. En moins d’une semaine, ce sont laquasi totalité des tribunaux de France qui se sont mis en grève."Chaque fois qu’une affaire est étudiée, nous courons des risques. Maiscontrairement à ce que l’on pourrait croire et à ce que le gouvernementveut faire croire, le risque zéro n’existe pas !", explique MaryseVivien, greffier d’instruction à l’Union syndicale autonome justice àDijon (USAJ). Cette greffière dijonnaise ne voit pas cette révolte comme une grèvemais plutôt comme un mouvement de protestation pour "dénoncer lesinsuffisances accordées dans le domaine de la justice". Sa confrèreCaroline Podevin souligne également un nombre insuffisant de greffiersà Dijon, "ce qui ralentit considérablement le système judiciaire en sonentier !".
Edwige Roux Morizot souhaite, quant à elle,"travailler pour une justice meilleure". Et pour François Merienne, ils’agit là "d’un mouvement national historique" : "Le nombre de jugesn’a pas augmenté en France depuis cent ans ! Il faut que les françaisprennent conscience de cela. Notre budget est tellement faible que nousen venons presque à envier l’Azerbaïdjan ! Il y a un côté ubuesque dansl’administration de la justice actuellement".
Chaque membre ou partie du monde judiciaire soutient donc ses confrères. Et la Confédération nationale des avocats (CNA)représenté par Me Berta à Dijon ne fait pas exception : "Nous nousjoignons à ce mouvement sans aucune hésitation. Il y a eu dansl’affaire Laetitia le détournement du torrent d’une émotion nationalecontre des auxiliaires de justice désignés comme coupables !",s’insurge-t-il. "Nous avons besoin de respect. Et nous avons surtoutbesoin de moyens matériels et humains, ce qui n’est pas le cas pourl’instant". Pour cet avocat, le problème fondamental vientprincipalement du fait que "les responsables politiques sont dansl’ignorance de notre profession, ce qui est très surprenant puisque laplupart d’entre eux sont avocats !".

Me Berta dénonce également la multiplication des lois et desréformes qui finissent par devenir inapplicables tant elles sontnombreuses : "L'État monte les citoyens contre leur propre justice, cequi est intolérable". Le feu des hommes de loi vient donc de rejoindreune majorité de français mécontents d’un système actuellement bancal ets’exprimera dans la rue jeudi 10 février dans toutes les villes deFrance, et notamment à Dijon où le cortège prévoit son départ de lacité judiciaire dès 14h pour un grand bal de manifestation dans lacapitale bourguignonne, en attendant la réponse que le chef de l’Étatdevra donner à ces magistrats en colère.

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