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Billet de blog 12 janvier 2011

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Magasins de proximité : Carrefour fait son marché !

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Rue Bannelier, rue Paul Cabet, route de Langres… Petit à petit, Carrefour se fait un nom dans le centre-ville de Dijon, en Côte-d'Or, sous l’appellation "City" ou "Market", pour bien différencier l’hypermarché du groupe de sa chaîne de supérettes de proximité. Or cette omniprésence et surexposition inquiète les riverains. A juste titre ? Ils ne sont en tout cas pas les seuls : un avis de l’Autorité de la concurrence datant du 07 décembre 2010 pointe du doigt la multiplication de petites supérettes orchestrée par ce grand groupe, désormais numéro deux mondial et d’ores et déjà présent outre-Atlantique…

Une concurrence déloyale
Depuis le texte de loi sur la modernisation de l’économie en date du 1er janvier 2009, les autorisations d’installations concernant les commerces sont passées de 300 à 1000 m2 : une mesure supplémentaire destinée à favoriser l’émergence des leaders du marché dans des zones jusque là réservées aux petits commerçants. Mais pour François Gourt, directeur de Carrefour City situé rue Paul Cabet à Dijon, anciennement Marché Plus, il n’est absolument pas question de faire concurrence aux petits commerces qui jouxtent son magasin :"Je fais parti de l’association des commerçants du quartier et mon but, en étant franchisé Carrefour City, n’est pas d’écraser mes concurrents. Bien au contraire".
Pourtant, l’enseigne du grand groupe leader sur le marché fait peur :"Je vois bien au regard des gens et à ce que je peux entendre dans mon magasin que la présence d’un nouveau "petit" Carrefour effraie. Tout ce qui émane de la veine capitaliste est mal vu par les temps qui courent...", ajoute François Gourt. La faute à qui ? La crise économique qui touche actuellement l’Europe et ses riches voisins américains renforcerait l’idée selon laquelle les plus riches prennent aux plus démunis pour continuer à s’enrichir malgré une conjoncture en plein désarroi. Vision manichéenne ? Le fait est que la survie des petits commerces est actuellement menacée par l’arrivée de mastodontes tels que Carrefour dans leur quartier.
Une alternative économique incontournable ?
Au facteur des prix pratiqués par les Carrefour City et Market, sur lesquels les petits commerces peuvent difficilement s’aligner, s’ajoute celui du prix des loyers, qui peut atteindre des sommets lorsque la frontière de la pancarte "Dijon" est franchie. Une donnée que n’ignore pas François Gourt :"Nous ne nous en sortions pas sous la franchise Marché Plus, qui pratique des prix trop élevés. Là où nous sommes installés, ce n’est pas évident de parer à tous les coûts de la vie ! En passant sous le nom de Carrefour, nous avons pu rentrer dans nos frais !". Une réalité qui confirme le développement inéluctable du groupe d’hypermarché et présage un monopole des prix déjà en cours.
Pourtant, ces petites supérettes de proximité, bien que portant l’enseigne du groupe Carrefour, appartiennent bien souvent à des commerçants indépendants - en 2005, ils étaient environs 93% - comme c’est le cas pour François Gourt :"La marque Carrefour nous a permis de baisser nos prix de 30 à 40%. Lorsque nous étions sous l’enseigne Marché Plus, le coût de fabrication des produits était plus élevé. A une certaine période, nous avons dû rogner sur nos marges". Pour ce directeur indépendant, les commerces qui tiennent "sont ceux qui ont su s’adapter en redessinant leurs offres de produits. Quant aux autres, ils ont dû fermer boutique...".

Vie de quartier redynamisée ou mondialisée ?
Bien loin de soulever le problème de cette prolifération intensive et systématique de l’implantation des grandes surfaces en centre-ville, Anne Faure, urbaniste au cabinet parisien Arch’urba, pense avant tout à la redynamisation des quartiers :"En terme d’aménagement urbain, c’est une bonne initiative de la part des grands groupes. Cela reforme la vie de quartier qui a eu tendance à s’effacer ces dernières années. Ces "nouveaux" quartiers pourraient favoriser la pérennisation des autres commerces, sous réserve bien sûr que ceux-là s’organisent", explique-t-elle.
Une théorie encore en latence du fait du récent développement de ces supérettes de proximité par les grandes chaines de supermarché et dont certains élus municipaux, notamment parisiens, doutent encore aujourd’hui. Pour preuve, le communiqué paru le 9 décembre 2010 émanant de la ville de Paris, signalant l’inquiétante progression de Carrefour et de Casino au cœur de la capitale (Lire le communiqué ici). Différents points sont ainsi soulevés : la fragilisation du tissu commercial local, une concurrence déloyale vis-à-vis des petits commerces et donc l’éviction de ces commerçants trop "petits" pour remporter le combat.
Un marché émergent encore libre
Notons que les supérettes de proximité développées par les supermarchés et hypermarchés restent pour beaucoup des franchises. Il s’agit donc très souvent de commerçants locaux travaillant en partenariat avec leurs confrères mitoyens : "Le pain que nous vendons à Carrefour City vient du boulanger d’à côté", précise François Gourt. "De plus, tous ceux qui tiennent des Shopi ou encore des 8 à Huit, qui sont des enseignes appartenant au groupe Carrefour, ne sont pas pour l’heure dans l’obligation de changer d’enseigne pour prendre le nom de Carrefour Market ou City", ajoute-t-il. "Il y a un rééquilibrage qui est en train de se faire", explique, de son côté, Anne Faure. "La guerre des prix se fait malgré tout même si effectivement, les petits commerçants ont du mal à rivaliser avec les grandes enseignes. Mais il ne faut pas se leurrer : les commerces qui tiennent encore sont ceux qui ont su s’adapter à ce nouveau marché".
Par ailleurs, un problème d’un autre genre vient se poser au cœur de ces quartiers en plein développement économique : celui des épiceries de nuit et autre kebab : "Cela fait trois ans que nous avons dû embaucher un vigile car depuis l’ouverture outrancière de ces épiceries de nuit à l’ambiance douteuse, nous avons quelques petits problèmes de "petite" délinquance", souligne François Gourt. Pour Anne Faure, la sécurité fait également partie des points positifs de la prolifération des grandes chaînes en centre-ville : "Un quartier qui ne vit plus est un quartier laissé à l’abandon et donc ouvert à n’importe quel dérive car livré à lui-même. Il est ici question de sécurité civile".
Depuis plus de onze ans, le groupe Carrefour crée de multiples enseignes pour se développer et s’insérer sur un marché auquel il avait jusque-là un accès plus restreint. Pourtant, alors que l’économie du groupe se porte bien, cette présence presque ubiquitaire est perçue comme une intrusion dans la vie privée des habitants. La distinction entre centre commerciaux et petits commerces de proximité reste bien ancrée dans les esprits, et les locaux refusent pour la plupart de devoir cohabiter et partager leur environnement avec ces grandes chaînes dont la réputation n’est plus à faire. Il s'agirait donc pour eux de s’assurer de la pérennité de leurs "petits" confrères pour éviter de s’attirer les foudres du peuple, et donc de leurs potentiels clients...

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