
La proposition de loi contre le port du voile intégral dans l'espace public, proposée par le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale Jean-François Copé, a fait couler beaucoup d’encre ces derniers jours. Le débat télévisé de samedi 9 janvier opposant l’homme politique à Dalila, une jeune Dijonnaise voilée des pieds à la tête sur le plateau de "Salut les Terriens !" a alimenté le débat. dijOnscOpe vous propose l’avis de spécialistes pour éclaircir cette question épineuse…
Un faux débat ?
Pour Philippe Icare, chercheur, maitre de conférences en Droit public à l’université de Dijon et auteur de plusieurs articles relatifs à la laïcité, le débat a peu de sens : "La burqa ne touche qu’une dizaine de cas en France, déclare-t-il. Pour moi, c’est un faux débat car ce n’est pas quelque chose de remarquable dans la société française. D’autant plus qu’on a déjà des règles et des lois dans la sphère publique, qui interdissent le port de ce vêtement. Le débat en lui-même montre surtout la volonté de relancer le débat sur l’intégration."
Malek Chebel, anthropologue des religions et philosophe algérien, émet également des doutes sur l’utilité d’un tel débat : "Je pense que c’est un débat vain, la loi sera inapplicable et injuste car si on suit l’avis de Jean-François Copé, les personnes portant la burqa auront une amende. Or, c’est à la nation de faire un travail de prévention et d’anticipation. Il faudrait surtout un texte contre les dérives sectaires qui réaffirme les valeurs républicaines. La loi ne peut-être efficace que si elle vient en dernier recours."
"La femme musulmane est l’égale de l’homme musulman"
Ouarraa Mohammed, président du conseil régional du culte musulman (CRCM) de Bourgogne, partage l’avis de beaucoup de personnes pour qui, le voile intégrale constitue une négation de l’identité féminine : "Je ne sais pas qui a inventé ce vêtement, sans doute des extrémistes qui déforment le Coran. Je crois que les femmes qui portent la burqa y sont obligées. Or il n’est pas normal que des personnes soient forcées de porter cet habit ou même le voile, il faut que ce soit un choix. Certains passent à côté du livre Saint.
La religion coranique ne dit pas aux musulmans qu’il faut imposer sa loi sur la femme. Elle est à égalité avec l’homme dans l’islam ; elle a même souvent plus de responsabilités car elle doit s’occuper de la maison et de l’éducation des enfants, elle fait plus que l’homme généralement. La grande majorité des musulmans est contre le voile intégral. Il n’existe pas dans le livre Saint. Il ne faut pas mélanger les choses." Pour Mohammed Ouarraa, l’habit peut également s’avérer dangereux : "Quelqu’un qui porte la burqa peut être un homme ou une femme. Il n’est pas identifiable, ce qui peut être dangereux. Il est facile de dissimuler des explosifs sous une burqa par exemple."
La burqa, un vêtement "non musulman"
Le président du culte musulman prône l’atteinte aux droits des femmes pour s’ériger contre le voile intégral. Pour Philippe Icare, il est toutefois difficile de dire que les femmes sont toutes forcées de porter ce vêtement : "L’accent est mis sur les atteintes à la dignité de la femme. En France, le port de la burqa reste néanmoins tout à fait La burqa est un vêtement non musulman, il est ethnique et national. Il s’est généralisé jusqu’à l’Arabie en utilisant le vecteur de certains courants pour se développer. Je pense que la majorité des musulmans est contre la burqa, ça n’est pas dans le Coran et c'est même interdit dans certains pays. La première raison pour interdire la burqa est une raison sécuritaire. Sur ce point, je rejoins les propos de Jean-François Copé mais je ne suis pas d’accord sur la méthode. La deuxième raison qui me semble encore plus fondamentale, c’est que cela jette l’opprobre sur les autres femmes musulmanes et sur l’islam. Le jour où tout le monde portera ce vêtement, celles qui ne le porteront pas seront considérées comme non musulmanes. C’est attristant pour les pays arabes et musulmans.
En France, je trouve que c’est catastrophique qu’on ait fait tout ce chemin pour accepter ce vêtement sinistre. Ce n’est pas en le portant que les femmes seront plus musulmanes que les autres. Nous sommes par ailleurs dans une période où les gens doivent décliner leur identité et donc leur visage. C’est un choix individuel qui s’oppose à l’éthique commune. Dans un espace public, la burqa est une gêne. Ce qui est dangereux, c’est que la femme qui porte cet habit va imposer ce choix à sa fille et ses proches. Derrière ce voile, il y a une idéologie qui ne fait pas de quartiers. Par ailleurs, la burqa est inconcevable toute seule : la personne qui la porte s’astreint à toute une série de pratiques rituelles et exclusives."
Une stigmatisation de plus ?
"Une loi contre la burqa me semble nécessaire. Celui qui ne veut pas obéir aux lois n’a qu’à aller ailleurs", déclare Mohammed Ouarraa. Ce n’est pas l’avis de Philippe Icare, qui estime que les lois existantes sont suffisantes : "Il serait inutile de légiférer, les outils législatifs sont suffisants en France. La loi concernant la manifestation de signes ostentatoires s’applique déjà. Cela n’a aucun sens. Je crois que le seul pays qui interdise le port de la burqa est l’Égypte, où les courants extrémistes sont nombreux. En France, on va faire une loi pour 15 personnes ?..."
Pour Malek Chebel, il existe d’autres solutions que la loi : "A un moment donné, il faut trancher et prendre une positon mais pas forcément avec une loi, cela ne rime à rien. Il faut réaffirmer que la burqa s’oppose aux principes souverains de la République. Je regrette que les femmes musulmanes ne portant pas le voile intégral ne s’expriment pas, ce serait à elle de dire leur refus mais actuellement, ce sont surtout les hommes qui s’expriment."
"On stigmatise une tête d’épingle", s'insurge Philippe Icare. Pour le chercheur, une fois de plus la stigmatisation envers l’islam est renforcée : "Ce débat va donner le sentiment qu’il y a encore des problèmes avec l’islam. » Pour Malek Chebel, c’est l’habit lui même qui renforce l’image négative de la religion musulmane : "La burqa entraine la stigmatisation de l’islam. Les musulmans sont déjà stigmatisés sans la burqa mais celle-ci renforce les arguments pour alimenter cette stigmatisation. Je pense que les six millions de musulmans français qui vivent sans burqa devraient être plus entendus que les 2000 qui la souhaitent ; la minorité a des droits mais dans la mesure où elle est minoritaire, elle ne doit pas imposer ses désirs. La liberté s’arrête aux limites acceptables par autrui."
