
A partir de mardi 12 janvier, les médecins libéraux peuvent vacciner leurs patients contre la grippe A (H1N1). La vaccination, qui avait lieu jusqu'alors dans des centres dédiés, pourra désormais s’effectuer dans leurs cabinets. Une décision motivée par "l'arrivée de vaccins unidoses" mais qui n'est pas sans rapport avec le très faible taux de vaccination de la population : seulement 5 millions, soit 8 % des Français, à plus de trois mois du début de la campagne vaccinale. De fait, nombre de médecins émettent des critiques négatives sur cette mesure bien trop tardive et sur la légitimité d’une vaccination de masse...
Une décision trop tardive
Les médecins sont unanimes : cette possibilité de vaccination arrive trop tardivement. Le Dr Emmanuel Debost, lui-même médecin et président de l’Union Régionale des Médecins Libéraux de bourgogne (UMRL), s’étonne de la soudaineté de la mesure : "C’est une demande que nous avons fait depuis plusieurs mois. Nous sommes étonnés que cette décision soit rendue possible brusquement. Cela fait longtemps qu’elle aurait dû être prise." Le Dr Jean-Paul Feutray, médecin et président du syndicat des Médecins Généralistes (MG France) ne décolère pas : "Je suis en colère lorsque je constate que les médecins généralistes ont été mis totalement en dehors du système de vaccination (...). Parmi mes patients, certains ont des facteurs de risque or ils n’ont toujours pas reçu leur bon de vaccination ! Cette décision arrive trop tardivement mais nous allons pouvoir vacciner les personnes à risque : les gens asthmatiques par exemple qui ne sont pas du tout repérés par le système actuel."
Médecin généraliste à Dijon, le Dr Emma Trinh partage ces avis tout en se déclarant défavorable à la vaccination en ce moment : "On nous prend vraiment pour des gamins. Il est hors de question que je vaccine des gens en ce moment ! Actuellement, il y a beaucoup de maladies qui trainent, ce n’est donc pas judicieux de vacciner car les défenses immunitaires seront trop affaiblies. On ne sait pas qui est immunisé, je pense que l’immunisation concerne au moins 30% des personnes même s’il n’est pas possible de le vérifier (...). Nous sommes un peu paumés, nous attendons les directives des syndicats. J’ai l’impression que le gouvernement vient de se rendre compte qu’il nous avait oubliés."
Pour Emmanuel Debosq, le système de vaccination a oublié les personnes les plus fragiles : "Les gens qui ont été vaccinés ne sont couverts que six mois alors que ceux qui ont attrapé la grippe sont couverts pour leur vie entière. En faisant le choix de vacciner la population entière, les gens les plus fragiles n’ont pas été vaccinés. Les centres ont mis longtemps à s’organiser et beaucoup de personnes fragiles ne pouvaient pas se déplacer. Or les médecins n’avaient pas la possibilité de les vacciner contre la grippe A H1N1 à leur domicile." Pour Emma Trinh, en revanche, les plus fragiles sont déjà vaccinés : "En tant que médecins, nous avons déjà fait le tri dans nos patients. Nous avons agi par conscience professionnelle en disant aux plus fragiles de se faire vacciner."
A la recherche du vaccin (perdu d'avance)
Dans un premier temps, les médecins libéraux vont se fournir en doses de vaccin dans les centres de vaccination tandis que les pharmacies prendront ensuite le relais. Un déplacement qui ne plait pas à tous les médecins, comme l’a fait remarquer Emmanuel Debost : "Cela va constituer une difficulté pour les médecins isolés. On nous a dit que faire autrement n’était pas possible. De la même manière, on nous avait dit que la vaccination dans les cabinets était impossible." Et Jean-Paul Feutray de pointer du doigt les problèmes que cela posera pour certains médecins : "Il est demandé aux médecins d’aller récupérer les vaccins. Moi qui suis à Mâlain, je dois les chercher dans des centres de vaccination à Pouilly-en-Auxois ! Il faudrait un acheminement normal : que les gens aillent chercher leurs vaccins à la pharmacie."
Par ailleurs, comment vont procéder les médecins au niveau des modalités de payement ? Première possibilité, le patient profite d'une consultation chez son médecin pour se faire vacciner, sans surcoût par rapport à une consultation classique, soit 22 euros, remboursés dans les conditions habituelles par les caisses primaires d'assurance maladie et les mutuelles. Deuxième solution, le médecin organise une séance spécifique consacrée à la vaccination, durant laquelle plusieurs patients peuvent recevoir une injection. Dans ce cas, le patient ne paie rien mais les praticiens sont rémunérés 6,60 euros l'injection par l'assurance maladie. Dernier choix, le médecin prescrit le vaccin à se faire injecter par une infirmière. Le coût pour le patient sera alors celui d'une consultation classique à 22 euros, plus les frais à acquitter auprès de l'infirmière.
Pour Emmanuel Debost, la rémunération de 6,60 euros donne une vision mercantile des médecins. Quant à elle, le Dr Emma Trinh est très critique vis-à-vis de cette somme : "Autant ne rien mettre comme rémunération ! Quand on pense aux dispositifs pour vacciner qui ont couté la peau des fesses (...). Beaucoup trop d’argent a été mis pour imposer ce vaccin : les médecins qui vont dans les centres pour donner des conseils, leur formation, le matériel, les réunions centrées sur cette question de la grippe H1N1, etc. Après, on nous prétexte que ça coûte moins cher que la consultation de 22 euros."
Une vaccination encore utile ?
Finalement, cette vaccination globale de la population souhaitée par le gouvernement a-t-elle encore lieu d’être ? A cette interrogation, les médecins sont plus que dubitatifs... Le Docteur Trinh se montre assez rassurant quant au développement de l’épidémie : "Si les personnes sont inquiètes et me demandent de les vacciner, je le ferai mais je ne leur courrai pas après comme je le fais habituellement pour d’autres vaccins plus importants (...). Moi, je ne suis toujours pas vaccinée et je ne suis pas prête de l’être. On constate actuellement qu’il n’y a pas de foyer épidémique dans le monde, pas de crise de mortalité. En France, on a fait de la grippe A une question majeure ; ce n’est pas le cas des autres pays. Avant de faire quoi que ce soit, le gouvernement aurait dû demander l’avis de médecins et experts et faire en sorte que ce soit nous qui gérions les personnes à risque (...). J'espère que les autres hivers, on parlera d’autre chose que de la grippe, qu’elle soit aviaire ou autre !"
Philippe Colas, président de la Fédération des Médecins de France en Côte-d’Or, partage l'avis du Dr Trinh: "Je m’interroge sur cette vaccination : est-ce utile pour les personnes âgées étant donné qu’elles n’ont pas été touchées par la grippe A H1H1 ? Y aura-t-il une deuxième vague ? Je n’en suis pas du tout certain. Les Groupes Régionaux de l’Observatoire des Grippes (GROG) dont je fais partie, montrent que cette possibilité est peu plausible (...) La grippe aviaire avait très bien été analysée, la grippe A H1N1 pas du tout ! On a fait paniquer les gens et pris des solutions similaires à celles prise contre la grippe aviaire alors que ce sont deux grippes totalement différentes. Des centres sont apparus partout et n’importe comment, sans que l’on demande l’avis des médecins libéraux."
Autre avis rassurant, celui du Dr Jean-Paul Feutray, pour qui la vaccination de masse se doit d’être ciblée : "Au début de la maladie, il y avait une certaine incertitude quant à son évolution mais actuellement, la grippe A H1N1 est en nette diminution. Aujourd’hui, on voit beaucoup plus de gastro-entérites que de grippes. Il ne me parait plus pertinent de faire une vaccination de masse mais il faut se concentrer sur les patients à risque. Roselyne Bachelot parle d’un risque de recrudescence au mois de mars or il n’y a pas beaucoup d’arguments scientifiques en ce sens. Dès l’hiver prochain, le vaccin contre la grippe A va être intégré au vaccin contre la grippe saisonnière."
