
Georges Frêche va pouvoir se faire oublier quelque temps... En terme de polémique, il s'apprête en effet à être détrôné par l'affiche du Front national (ci-dessus) qui, depuis lundi 8 mars 2010, peut être placardée aux quatre coins du pays en toute légalité. La Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) vient en effet d'être déboutée par le tribunal de grande instance de Marseille alors qu’elle réclamait l’interdiction de cette affiche pour le moins explicite, inspirée de l'UDC, ce parti d’extrême droite suisse à l’origine du vote sur l’interdiction des minarets à l'automne 2009. La Bourgogne ne faisant pas exception au placardage, la section dijonnaise de la LICRA et le conseiller régional FN Édouard Ferrand répondent à nos questions...
Coup de projecteur en pleine campagne
"C'est vraiment de la provocation de la part du Front national pour faire parler d'eux... vu que plus personne ne le fait !", affirme Alain David, président de la fédération de Côte d'Or de la LICRA. Il faut dire qu'à quatre jours du premier tour des élections régionales, l'événement est un bon coup de communication pour le parti d'extrême droite. Une femme intégralement voilée (portant le niqab) à côté d'une carte de France recouverte du drapeau algérien sur lequel des minarets en forme de missiles sont plantés, portant le titre "Non à l'islamisme"... Avec une telle affiche, le Front national est certain de faire polémique. Et si, jusqu'à présent, l'affiche avait été seulement placardée dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), où Jean-Marie Le Pen est tête de liste pour les Régionales, elles viennent d'être envoyées à l'ensemble des fédérations du parti.
"Cette affiche nous paraît intenable, indique Alain David. Derrière le mot islamisme, il ne faut pas viser l'Islam ; mais là, le message est à peine subliminal...". Ce dernier souligne également les risques de troubles à l'ordre public qu'une telle affiche peut susciter. "Pour toutes ces raisons, la LICRA a demandé à la justice de se prononcer. C'est ce qu'elle a fait lundi 8 mars 2010 mais précisons que la LICRA a été déboutée sur une question de forme ; il est donc probable que nous redéposions une requête sous peu. Habituellement, nous gagnons lorsque nous portons plainte contre les propos de Jean-Marie Le Pen". D'autres s'en sont en tout cas chargés entre temps : Le MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples) et SOS Racisme ont en effet saisi la justice pour demander le retrait de cette affiche. Vendredi 12 mars 2010, le tribunal de Nanterre saisi en référé par le MRAP rendra sa décision... à deux jours du premier tour.
Une justification... à prendre ou à laisser
D'ici là, les affiches auront de loin eu le temps de fleurir un peu partout en France... "Nous avons reçu ce matin les affiches pour la Bourgogne, indique Édouard Ferrand, tête de liste FN pour les élections régionales. Il y en a environ 500 par département. Étant donné que le tribunal a considéré qu'on pouvait les coller, c'est ce que nous allons commencer à faire". S'expliquant sur l'affiche, le candidat justifie le choix de son parti : "Ce n'est pas de la provocation, c'est un état de fait. Nous souhaitons dénoncer le communautarisme ambiant. Prenons l'exemple de la piscine à Auxerre : et bien maintenant, il y a certains horaires séparés pour les femmes et les hommes. On ne peut pas accepter cela, c'est pourquoi nous refusons l'islamisme. Celui qui impose le voile à la femme, la barbe à l'homme, l'alimentation halal... Nous sommes pour un islam tolérant. De toute façon, la France n'a jamais été une terre d'Islam et les mosquées ne font pas partie de la civilisation occidentale...".
Troubles à l'ordre public et crise diplomatique...
Interrogé sur le risque de troubles à l'ordre public que l'affiche pourrait susciter, Édouard Ferrand élude la question : "Elle choquera les biens-pensant, ceux qui n'ont que le mot tolérance à la bouche... Alors que pour la Journée de la femme hier (ndlr : lundi 8 mars), ils ont oublié toutes ces femmes voilées en burqa : c'est là pourtant une violence morale insupportable. ". Le conseiller régional avance les mêmes arguments que ceux de la maison mère : sur France Info lundi 8 mars, Marine Le Pen affirmait en effet "avoir le sentiment que le MRAP et autres petites associations de censeurs professionnels se faisaient les porteurs de valises du gouvernement français qui, à la demande du gouvernement algérien, veut interdire cette affiche".
Car au delà du trouble à l'ordre public, le risque encouru est en effet celui de la crise diplomatique : l'affaire crée un début de tension entre Paris et Alger. Le ministre des Affaires étrangères algérien, Mourad Medelci, a demandé officiellement à l’Etat français "de prendre les dispositions qui s’imposent lorsque des symboles de pays étrangers sont mis à genoux". Au Quai d'Orsay, l'embarras est de mise : "Nous déplorons avec force l’usage indigne et dégradant d’un drapeau national à des fins électoralistes", a répondu mardi son porte-parole Bernard Valéro, sans pouvoir commenter la décision de justice.
Les Suisses pas solidaires
Ironie de l'histoire, l'interdiction de l'affiche pourrait bien venir d'ailleurs... L'agence de communication helvétique qui a conçu l'affiche pour l'UDC, le parti d’extrême droite suisse à l’origine du vote sur l’interdiction des minarets en automne 2009, crie en effet au vol. Dans une interview accordée jeudi 25 février au quotidien La Liberté, le directeur de l'agence Goal parlait même d'engager une action en justice contre le Front national : "Nous ne voulons pas que nos affiches soient instrumentalisées, voire détournées, par d'autres partis politiques ou groupements. Nous n'avons jamais travaillé pour le FN français. Et nous ne le ferons jamais". Pire : l'UDC lui-même aurait déclaré préférer se passer de cette promiscuité avec le FN...
