
La Journée d'appel de préparation à la Défense (JAPD) est un passage obligé en France pour les garçons et les filles entre 17 et 18 ans. Et bien que celle-ci se soit substituée en quelque sorte au service national depuis 1996, ne durant qu'une seule journée, elle n'enchante guère les adolescents... Mais la JAPD exceptionnelle du 6 novembre dernier, organisée à la mairie de Saint-Apollinaire, aura marqué les esprits des 27 jeunes présents grâce au témoignage saisissant de Henri Simon, ancien résistant et déporté pendant la Seconde guerre mondiale...
Obligation citoyenne
Sans le certificat de participation à l'appel à la Défense, pas d'examen possible comme le baccalauréat ou le permis de conduire. Alors pour obtenir le sésame, les jeunes sont bien obligés d'y assister, affichant souvent lors de cette journée leur mauvaise volonté. "Mes amis qui l'ont déjà faite m'ont prévenue : il paraît que c'est vraiment pénible", raconte Diane, 17 ans. Une sorte de légende urbaine entoure donc la JAPD, entraînant du même coup une attitude sceptique. Rien de bien extraordinaire pour autant, en se rappelant que la nonchalance est l'apanage des adolescents...
Mais Diane et ses camarades, tous du Grand Dijon, ont de la chance : le programme de leur JAPD est unique. Pour commencer, la journée se déroule dans les locaux de la mairie de Saint-Apollinaire, où les attend un petit-déjeuner. L'ambiance est bon enfant, le soleil inonde la salle... Des sourires s'esquisseraient presque sur les visages des ados.
De l'enthousiasme de la jeunesse...
Avant de commencer, les participants sont prévenus : c'est une journée sans tabac qui s'annonce ! Un jeune regarde son voisin, en soufflant... "C'est le ministère qui en a décidé ainsi il y a deux ans. En théorie, on doit expulser un jeune pris en train de fumer. Après, cela dépend de l'intelligence du chef de cession", explique Henri Anthierens, maître principal au bureau du service national de Dijon, avant d'entrer en scène. Aujourd'hui, c'est à lui que revient la charge d'animer la JAPD.
Le premier module commence, sur la citoyenneté française et européenne... "C'est quoi pour vous être citoyen ?", lance-t-il. Les réponses se font attendre... Mais le maître principal ne se démonte pas et continue sur les notions de citoyenneté : la devise nationale, les services de solidarité (la sécurité sociale, la retraite...), la responsabilité de chacun... "Qui fait les lois en France ?", demande-t-il. Personne ne répond. "Des fois, c'est comme ça : on a une journée de muets !". Un jeune : "Ce sont les députés de l'Assemblée".
Petit à petit, les adolescents se dérident à l'écoute du maître principal, qui mène les débats d'une humeur blagueuse. Après un diaporama sur les drogues, il lance : "C'est bizarre mais quand on demande en JAPD qui a déjà fumé du cannabis, personne ne répond !". Rire général. "Bon, quelqu'un fait partie d'une assoc' ?. "Moi je suis porte-drapeaux !", reconnaît l'un des "appelés". Henri Anthierens fait mine d'être surpris : "Je croyais qu'il n'y avait pas de jeunes qui étaient porte-drapeaux. C'est une inspiration ou les anciens combattants sont venus te chercher ?". "Je participe aux cérémonies depuis longtemps alors ils m'ont proposé".
"Vous êtes un garçon ou une fille ?"
Après une pause de deux minutes, l'heure des tests de Français a sonné. Ces tests sont notamment l'occasion de détecter les jeunes en situation d'illettrisme. Chaque année, sur les 20 000 Bourguignons qui participent à la JAPD, il apparaît que 5 à 6 % d'entre eux connaissent de grandes difficultés de maîtrise de la langue française. Ceux-là sont donc orientés au terme de la journée vers des organismes d'insertion s'ils sont déscolarisés, ou alors leurs résultats sont communiqués par le biais du rectorat à leur établissement.
Aujourd'hui, tous les jeunes présents sont scolarisés, ce qui n'empêche pas Michelle Delaunay, responsable de la cession, de les avertir : "Les tests sont relativement simples pour certains, mais ils sont plus difficiles pour d'autres. J'ai déjà vu des gens rire, mais dîtes-vous que ce n'est peut-être pas drôle pour tout le monde". Première question : "Vous êtes un garçon ou une fille ?". Les jeunes s'esclaffent...
Dijon sous l'occupation allemande
Après la pause déjeuner et une initiation aux alertes et aux premiers secours, le programme habituel de la JAPD est chamboulé. Aujourd'hui, le lieutenant colonel Patrick Agrech, directeur du bureau du service national de Dijon, a invité un ancien résistant et déporté durant la Seconde guerre mondiale à venir raconter son parcours . Henri Simon, 83 ans, entre dans la salle. Les ados somnolent, sagement assis sur leurs chaises. "A votre âge, j'entrais dans un réseau de résistance...". Le décor est planté.
"Dans mon réseau, je ne connaissais que deux personnes ; comme ça, si je me faisais attraper, je ne pouvais pas dénoncer tout le monde !". En se rappelant ses faits d'armes, le résistant fait revivre Dijon sous l'occupation allemande : "On allait récupérer des aviateurs anglais arrivés par un canal et on les logeait rue de Montchapet. On allait chercher des papiers pour eux au bar Bleu, place Grangier. Ensuite, on les cachait au cinéma de la Grande Taverne en attendant le train de nuit. A l'époque, il y avait des combats de boxe qui s'y déroulaient, alors ils se mettaient sous la scène du ring. Puis ils prenaient le train pour Chambéry, d'où ils partaient ensuite pour la Suisse ou l'Afrique du Nord. (...) Recherché par la police française et pétainiste, j'ai été obligé de partir avec un ami, Peter. Nous n'avions pas d'argent alors j'ai raconté à mon père que j'avais une occasion extraordinaire d'acheter un cochon et je lui ai demandé des sous. De quoi prendre deux billets de train pour mon copain et moi... et nous sommes partis dans un maquis vers Chambéry. J'ai donc escroqué mes parents mais plus tard, ils m'ont dit qu'ils ne m'en voulaient pas".
"Ce n'est pas tout le temps qu'on peut-être courageux"
De minute en minute, l'attention des élèves se fait plus forte. "J'étais dans une fermette dans le sud quand on s'est fait prendre. Parmi nous, il y avait une saloperie de Français qui était en fait un Waffen SS. Un jour, il est arrivé en noir, accompagné, et ils nous ont arrêtés. Ils ont tout essayé pour nous impressionner mais nous, nous ne savions rien du reste du réseau qui avait déjà dû se dissoudre quoiqu'il arrive. On s'est retrouvé à Bandol, menottés sur du carrelage pendant deux jours. On est passé à "la machine à bosseler" avant de nous envoyer à Hyères, puis à Marseille. Là-bas, ils nous ont envoyé un mouton pour nous faire parler mais ça n'a pas marché. Ils nous mettaient aussi dans une baignoire avec de l'eau glacée puis bouillante. On recevait quelques coups de shlass et ils nous faisaient un massage des testicules avec les bottes... Pendant des années, je n'ai eu qu'un seul testicule mais ça ne m'a pas empêché d'avoir des enfants ! Bref, tout cela est normal pour un interrogatoire. Le matin, nous avions tous très peur car selon les résultats de ce qu'on leur disait, ils en emmenaient certains pour les fusiller. Ce n'est pas tout le temps qu'on peut être courageux et moi j'étais comme les autres : j'espérais que ce ne soit pas moi".
La Marseillaise du siècle
A ce stade du récit, même un jeune en treillis, rangers, cheveux longs et t-shirt à tête de mort est sorti de sa torpeur pour écouter l'ancien. Une heure et demie plus tard, après avoir raconté l'horreur de la déportation, Henri Simon se souvient d'une anecdote, particulièrement symbolique en ces temps de débats sur l'identité nationale : "Mon meilleur souvenir de toute cette période, c'est à la prison des Baumettes à Marseille. Un jour, la Croix-Rouge nous a rendu visite et ils nous ont offert un petit sac blanc frappé d'une croix rouge, qui portait à l'intérieur un petit sapin bleu. C'était quoi selon vous, hein ? Et bien c'était le drapeau de la France ! Bleu, Blanc, Rouge ! Vous saurez que ce soir-là, la prison des Baumettes a retenti de la Marseillaise comme jamais elle n'avait retenti auparavant à Marseille !".
La minute patriotique
La rencontre s'achève, il n'y a plus assez de temps pour les questions des adolescents. Il est l'heure pour eux d'aller rejoindre une dizaine d'anciens combattants pour la cérémonie de remise de gerbes au monument aux morts. Les drapeaux bleu blanc rouge flottent dans le vent alors que la Marseillaise retentit dans le silence hivernal. "C'est sûr que cela est moins encré en nous que le monsieur qui a témoigné", relève Diane. Les jeunes interrogés sont tous d'accord pour dire que le témoignage du "monsieur" était de loin le plus marquant de la journée. Mais tout de même, il faut leur arracher une appréciation enthousiaste : "Le matin, c'était un peu long. Mais le témoignage, c'était pas mal...", lâche mollement Fabien, 17 ans. Et d'ajouter, après un petit temps de réflexion et en s'éloignant de ses copains : " C'est assez fort de se dire qu'il y a des gens qui sont passés avant nous et qui se sont battus pour avoir ce que l'on a aujourd'hui". Et même, un léger sentiment patriotique envahit tout à coup la bande : "Nous aussi on ira se battre pour la France si le pays était en guerre". A les regarder, beaux et jeunes adolescents qu'ils sont, reste à espérer qu'ils n'aient jamais à prouver leur soudain dévouement au pays.
