
Comptant parmi les victimes des prochaines coupes budgétaires de l'État, les professionnels du secteur culturel se sont réunis partout en France jeudi 06 mai 2010, à l'appel de différentes organisations syndicales. A Dijon, une trentaine d'entre eux ont assisté à une assemblée générale organisée notamment par la Fédération du Spectacle CGT à la Salle Jacques Fornier. Ensemble, ils ont élaboré la contre-attaque, en présence du sénateur-maire de Dijon François Rebsamen. Au programme : boycott de conférences, lettre au préfet, création d'un Comité régional d'actions pour la culture et la connaissance, tracts au public...
Désolé, les caisses sont vides !
Au cœur des préoccupations de tous, la réforme des collectivités locales tient le haut du pavé. Et pour en expliquer les raisons, quoi de mieux qu'un professionnel de la politique ? A Paris, la mobilisation a reçu le soutien des partis de gauche, représenté dans le cortège - de plus de 4.000 personnes - par le député de Paris Patrick Bloche, le président de la région Île-de-France Jean-Paul Huchon et son vice-président à la culture Julien Dray, ou encore par Pierre Laurent, n°2 du PCF. A Dijon, le sénateur-maire a participé à l'AG une bonne partie de la matinée, accompagné de Christine Martin, adjointe déléguée à l'animation de la ville, aux festivals et à l'attractivité.
Invité à s'exprimer, François Rebsamen a clairement posé le problème : "La situation est grave ; la conjonction de plusieurs facteurs menacent aujourd'hui l'action culturelle. L'État est très endetté et Nicolas Sarkozy a choisi de diminuer les dépenses sans chercher à trouver de nouvelles recettes. Et donc on repasse le mistigri aux collectivités locales... Hier (ndlr : mercredi 05 mai 2010), je suis ressorti un peu déprimé de la commission des finances parce que l'on nous annonce que ça ne va pas être le gel des dotations aux collectivités locales, ça va carrément être la glaciation. Par exemple, la dotation de l'État à la ville de Dijon, qui représente environ un tiers des recettes de la ville, sera en baisse de 2% ou 3%".
Et d'expliquer que les dotations de l'État aux régions sont également en baisse, que les départements sont "étranglés" par des dotations sociales indispensables (dont le RSA). Moins d'argent aux régions et aux départements signifiant moins de dotations aux communes qui financent pourtant 80% des dépenses culturelles... "Je dis cela pour disculper à l'avance. A Dijon, 22,6% du budget est consacré à la culture mais il faut savoir que s'il y a moins à la commune, il y a moins à la culture. C'est la première menace concrète qui pèse. Comment y répondre ? Vu le contexte, je ne sais pas...".
Le cauchemar ultime : interdire de financer l'action culturelle aux régions et départements
Le sénateur-maire continue d'énumérer les preuves disculpatoires : "La deuxième menace, celle-ci encore plus importante, serait l'interdiction qui serait faite aux départements et aux régions de financer la culture à travers la suppression de la close de compétence générale. Cela signifierait que les régions ne pourrait plus s'occuper que des lycées, de la formation professionnelle, du développement économique et des TER, pour faire simple. Les départements s'occuperont des collèges, des transports scolaires et de l'action sociale. Et donc interdiction de co-financer les actions ou les établissement culturels.
Donc il ne faut pas imaginer une seconde que les communes puissent compenser... Le conservatoire de Dijon, par exemple, est co-financé à hauteur d'1,3 millions d'euros par la région sur 5 millions de budget, le reste étant pris en charge par la ville. Si demain nous perdons le financement de la région, on mettra la clé sous la porte ! A la limite on peut vivre avec un peu moins mais pas avec rien. Je suis donc aussi inquiet que vous". Les régions, départements et communes finançant plus de 70%* de l’activité culturelle en France, il y a de quoi...
Les réformes sont en marche... vers quoi ?
Ces derniers jours, le chef de l'État aurait assuré que la réforme des collectivités territoriales sera complétée à l'été 2010, notamment sur le mode d'élection des futurs conseillers territoriaux. Mais cette réforme n'est pas la seule source d'inquiétude : la Révision générale des politiques publiques (voir lien ci-dessous), lancée dès 2007 après l'élection de Nicolas Sarkozy, est redoutée par les milieux du spectacle qui craignent qu'elle s'accompagne de coupes claires dans les aides de l'État... "Il faut bien comprendre que derrière tout cela, il y a des gens et des emplois en jeu, souligne Nicolas Royer, administrateur du Théâtre Dijon Bourgogne. Et puis s'il n'y avait pas d'artistes pour faire rêver, on n'aurait jamais été sur la lune !".
Fondation du Cracc en Bourgogne-Franche Comté
Pour faire front, l'action s'organise. Pour commencer, une délégation devait déposer symboliquement en fin de journée une lettre au préfet, lui "demandant de se positionner sur ces différents points", selon Nicolas Royer. Ensuite, il a été décidé de boycotter les conférences du spectacle vivant initiées par les préfets, suite locales des Entretiens de Valois (voir lien ci-dessous) du ministère de la Culture. Enfin, un grand rassemblement sera organisé à l'occasion du festival Théâtre en mai à Dijon afin de réunir un maximum des intervenants de la culture. "Ce sera bien entendu également l'occasion d'avertir les médias et le public", précise Alain Renault, responsable de la fédération du spectacle CGT en Bourgogne et conseiller régional de Côte-d'Or.
Sur la forme et pour le fond, un Comité régional d'actions pour la culture et la connaissance a été créé ce jeudi 06 mai par l'assemblée en présence. "Il s'agit d'un Cracc, comme ça s'est fait à Montpellier, en Ile-de-France... Il doit rassembler à la fois des gens de la culture mais aussi de l'enseignement et de la recherche. Chacun peut y adhérer et cela permettra déjà de définir nos problématiques communes", explique Jean Léger, responsable de la CGT-Spectacle en Bourgogne.
Réaction de... Benoit Lambert, metteur en scène
"Nous savons bien que ce que nous subissons en ce moment n'est ni plus ni moins une destruction, programmée d'ailleurs. Cela nous est toujours présenté comme des ajustements structurels, techniques, économiques. On nous explique toujours que cela n'est que de la saine gestion alors qu'on voit bien qu'en réalité, il s'agit d'une attaque très clair sur le service public de la culture, comme sur pleins d'autres services publics. Il existe un fantasme libéral qui traîne en ce moment... Nous savons pertinemment que les économies qui pourraient être faites sur le secteur culturelle sont dérisoires. Je crois que même la Cour des comptes l'avait reconnu.
Donc c'est complètement idéologique comme démarche : des gens ne sont pas d'accord avec l'idée qu'il y ait une politique publique de la culture, qui est effectivement et nécessairement coûteuse même si les budgets sont dérisoires. Ils pensent qu'au fond, la culture doit être livrée aux libres forces du marché et que ce dernier s'en occupera, ou pas. C'est pour cela qu'aujourd'hui, il est très important de faire front commun car il n'y a qu'en étant solidaires que nous réussirons à obtenir quelque chose."
* Sources : Fédération du Spectacle CGT.
