
Conformément à une loi votée le 23 juillet 2008, tout citoyen a maintenant le droit de soulever l’inconstitutionnalité d’une loi en saisissant le Conseil constitutionnel (La procédure de saisine ici). Et c’est à Dijon que, pour la première fois, un citoyen s’est emparé de cette nouvelle disposition législative...
L’apprentissage du droit sur le terrain
«Je me suis initié au droit sur le tas», confie Patrick Michelet, auteur de la requête en constitutionnalité déposée le 1er mars 2010. «A l’origine, mon domaine, c’est plutôt la philo puisque je suis titulaire d’un DEA en philosophie des sciences. Dans le cadre de mes études, j’ai pu effectuer un stage dans un service de ressources humaines qui m’a sensibilisé au domaine juridique. Ensuite, je me suis aguerri en traversant un épisode judiciaire dans mon parcours professionnel.»
Alors en emploi jeune, Patrick a en effet dû batailler il y a quelques années contre son employeur, le ministère de la jeunesse et des sports, pour des questions liées au Code du travail puis, toujours sur la même affaire, contre les services fiscaux de la Côte-d’or et le préfet du même département. «J’ai gagné les trois procès», tient à préciser celui qui a depuis peu repris des études (en droit !), et qui est peut-être en passe de réaliser une première en France par sa demande de saisine du Conseil constitutionnel...
La bataille contre les incohérences du droit français
A l’origine de la requête, un litige opposant un employé municipal et la ville de Dijon, sur son droit à la retraite. «Cet agent est un ami qui, connaissant mon goût pour le droit, m’a demandé un coup de main. Son problème est simple : alors qu’il compte 166 trimestres de cotisation depuis ses 14 ans [ndlr : la loi de 2003 sur les retraites permet au salarié de partir en retraite avant 60 ans s’il a cotisé 160 trimestres], on lui dit qu’il doit encore travailler.» En cause, des arrêts maladie jugés trop nombreux, une loi de 2004 stipulant que «l’ensemble des périodes indemnisées au titre de l’assurance maladie (...) est retenu dans la limite de 4 trimestres sur toute la carrière». «C’est aberrant ! Les 160 trimestres réglementaires de cotisation ont été effectués et même davantage !, s’emporte Patrick Michelet. De plus, les décrets d’application de cette loi n’ont même pas été promulgués alors qu’une loi antérieure évoque quant à elle une limite de 20 trimestres...»
Ces incohérences juridiques, nées de l’empilement de lois de rafistolage du système des retraites, créent donc la confusion jusque dans les services juridiques des collectivités. «Mon sentiment, c’est que la municipalité n’est pas mécontente que cette affaire se règle au tribunal. Personne ne semble savoir quoi faire pour clore le dossier.» Il faut dire qu’il y a de quoi en perdre son latin. Même la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNACL), sensée connaître le sujet, a vu sa position fluctuer. «La CNACL nous a annoncé un premier nombre de trimestres que le salarié aurait cotisés. Nous l’avons contesté auprès du ministre de la fonction publique et, bizarrement, ils ont retrouvé on ne sait où des trimestres supplémentaires...»
Un nouveau moyen pour les citoyens de peser sur la loi
Toutefois, malgré la réévaluation du nombre de trimestres par la caisse de retraite, le contentieux n’a pas été levé. Ne restait donc plus qu’une seule issue : le Conseil constitutionnel. «Grâce à la loi de révision de la constitution votée en 2008, les citoyens peuvent désormais soulever les problèmes d’inconstitutionnalité des lois, rappelle Patrick Michelet. Les décrets d’application ont été promulgués le 16 février 2010 pour une application effective à compter du 1er mars. Ce jour-là, je me suis rué au tribunal pour lancer la procédure.» Et pour devenir sans doute par la même occasion le premier citoyen à se lancer dans cette aventure d’un genre nouveau.
En amont, un travail de fourmi a été réalisé pour monter le dossier de 11 pages présentant une requête argumentée et précise. «Plusieurs points sont là pour appuyer notre position. Tout d’abord, les articles de loi que nous contestons portent atteinte au principe d’égalité devant la retraite, notamment entre le public et le privé, ce dernier ne connaissant pas de limite à la prise en compte des périodes de maladie. Ensuite, nous pointons le conflit juridictionnel que j’ai évoqué précédemment (contradiction des lois de 2003 et 2004, avec absence de décret pour cette dernière). Enfin, nous demandons le respect d’une jurisprudence récente sur un problème quasi-similaire dans un office HLM qui a vu le salarié finalement obtenir gain de cause.»
Et maintenant ?
Le dossier déposé, c’est maintenant au tribunal de Dijon, et au juge Heckel, de statuer sur les suites à donner. «Il est évident qu’un filtrage doit avoir lieu pour éviter de noyer le Conseil constitutionnel sous des requêtes farfelues, explique Patrick Michelet. Mais notre demande tient la route." La balle est maintenant du côté du juge dijonnais qui devra donc prendre une décision sous trois mois. En cas de réponse positive, il transmettra le dossier au Conseil d’Etat qui, à son tour, décidera ou non de faire suivre au Conseil constitutionnel.
Le chemin est donc encore relativement long mais, pour les deux Dijonnais investis dans la procédure, le travail est terminé. Et si leur action est finalement couronnée de succès, ils deviendront peut-être les premiers citoyens à être à l’origine de la censure partielle d’une loi française. Affaire à suivre...
