Le 10 septembre dernier, 66 des 100 représentants de l'Etat dans les départements ont participé à la première réunion du "Club des préfets", organisée à la Préfecture de région d'Ile de France. Mais l'information n'est "sortie" que ce mardi 13 octobre, relayée par Le Monde, puis France-Info. Création d'un syndicat ? Simple réunion informelle ? Ces derniers temps, la fonction préfectorale parfois est mise à rude épreuve. Le "Club des préfets" pourra t-il exposer au grand jour la réalité des rapports entre l'Etat et les préfectures, et les revendications des hauts fonctionnaires ?
"Je...
- Parle sans crainte.
- Je m'appelle ..., Préfet d'un grand département, disons... dans le centre de la France.
- N'aie pas peur.
- Bon... Ça a commencé le jour où ils m'ont demandé d'ordonner ces expulsions. Il y avait des femmes, des enfants... J'ai... J'ai fait mon job.
- Tu ne pouvais pas faire autrement. C'est normal. Même sous Vichy il avait fallu faire le job.
- Là où j'ai craqué, c'est quand le Président de la République a programmé cette visite à l'usine... Paris m'a dit: "si on entend un mec hurler des injures au Président dans un mégaphone, tu fais tes valises. C'est fini pour toi.
- Et?
- Franchement, j'ai eu de la chance (il sanglote).
- Tu sais, on vit tous des choses comme ça. T'aurais pu tomber sur la Corse..."
Le feu est rouge. Je pile. Et quitte ce petit scénario imaginaire, que vient de m'inspirer le communiqué annoncé voilà 5 minutes par France-Info sur les haut-parleurs de ma voiture. Un "Club des préfets!" Et Brice Hortefeux qui semble apporter sa bénédiction!
Une initiative "conviviale"
Bon, apparemment, le Ministre de l'Intérieur ne prend pas vraiment de risques : ce n'est pas la création d'un syndicat, juridiquement impossible pour des préfets. Ce que nous rappelle, dans les colonnes du Monde, le secrétaire général du ministère de l'intérieur, Henri-Michel Comet, qui préfère saluer une simple "initiative conviviale". Daniel Canepa lui-même, préfet de la région d’Ile-de-France à l'initiative de cette réunion du « Club des Préfets », se fait rassurant, sur l'antenne de France-Info : "préfètes et préfets y échangeront sur la pratique de leur métier et sur leurs préoccupations actuelles. Le Club leur offre un espace de libre parole, un lieu de débats sur des problématiques liées à l’application des politiques publiques. Les réflexions et propositions du Club des Préfets pourront être relayées et portées à la connaissance du Ministre de l’Intérieur".
"Plus on nous demande, plus on est heureux"
Déception. A l'entendre, on croirait que la réunion est à l'initiative du ministère de l'Intérieur. Évidemment, Marc Fauvelle, de France-Info, essaye d'en savoir plus, au sujet des remontages de bretelles par l'Élysée ou le Ministre de l'Intérieur, à propos du projet de prime au mérite pour les préfets qui enregistrent des bons résultats dans la lutte contre la délinquance, ou des exigences grandissantes des ministères qui leurs commandent rapports ou statistiques... Mais la réponse du haut fonctionnaire est toujours la même : il s'agit uniquement pour lui d'un "échange de bonnes pratiques pour faire mieux encore". Jugeant "normales" les exigences de l'Élysée et du ministère de l'Intérieur, il ajoute : "plus on nous demande, plus on est heureux. Le jour où on ne nous demandera plus rien, on sera tout à fait tristes". France-Info conclut en rappelant le devoir de réserve auquel M. Canepa s'est conformé, une fois encore.
Y a t-il un bourguignon dans la salle?
Impossible donc pour ces hauts fonctionnaires de rendre publics leurs états d'âme. Surtout en ce qui concerne le double langage de l'exécutif à leur égard. Mais nos préfets bourguignons accepteraient t-ils de nous livrer une confidence? Tout d'abord, au niveau de la Nièvre, le préfet Gilbert Payet vient de quitter ses fonction, et son successeur n'est pas encore nommé. Dans l'Yonne, le service de communication nous fait savoir que le préfet ne souhaite faire "aucun commentaire". En Côte d'Or, réponse de M. de Lavernée, préfet de Côte d'Or et de Bourgogne : "pas de commentaire, reportez-vous aux propos de M. Canepa". Seul le service communication de la Préfecture de Saône et Loire, nous offre ce scoop, livré in extenso : "oui, Michel Lalande, préfet de Saône et Loire fait bien partie de ce club". Et c'est tout!
Dur dur d'être préfet
Quoi qu'il en soit, il n'est pas inutile de s'attarder un moment sur la situation actuelle des préfets en France. En cas de défaillance d'une politique publique, ils servent parfois de boucs émissaires, y compris devant la presse. En marge de la réunion du "Club", Daniel Canepa était un peu plus prodigue que sur France-Info : "la critique sur le manque de résultats est normale, mais c'est important de ne pas mettre l'accent sur ce seul aspect. Quand on remonte les bretelles des préfets, ça casse un peu le moral. Ils estiment que cela les fragilise vis-à-vis de leurs interlocuteurs". Un autre préfet, désireux de garder son anonymat, ajoute dans Le Monde : "jamais la fonction n'a autant été politique. D'habitude, nous sommes à la fois des représentants de l'Etat et des représentants du gouvernement, mais, désormais, les seconds ont pris le pas sur les premiers". Ajoutons enfin les récentes mutations-sanctions, comme celle de Jean Charbonniaud, préfet de la Manche, après les manifestations qui avaient accueilli Nicolas Sarkozy dans son département, ou les sanction disciplinaires à l'encontre de Paul Girot de Langlade, suspendu dans le cadre d'une enquête judiciaire pour "injures publiques à caractère racial", puis mis à la retraite d'office après avoir critiqué le ministre de l'intérieur. Sans oublier la vaste réforme de l'administration territoriale engagée sous forte contrainte financière...
La prochaine réunion du club est prévue pour février 2010. Et naturellement, elle ne sera pas ouverte à la presse...
