
Mercredi 14 octobre, la Ligue des Droits de l'Homme et le réseau Universités Sans Frontières organisaient à Dijon une conférence sur le thème du "droit des étrangers", menée par Dominique Clémang, avocate spécialisée dans la défense des étrangers, et Présidente de la section dijonnaise de la Ligue des Droits de l'Homme. Au programme, la découverte d'une branche du droit très spécifique, souvent en contradiction avec les engagements internationaux de la France. Plus inquiétant : selon Dominique Clémang, certaines mesures imposées aux étrangers pourraient servir de "test", avant de s'étendre ensuite à l'ensemble du corps social...
Etrangers et apatrides : un statut à part
Cela coule de source, est étranger "celui qui n'a pas la nationalité française", soit parcequ'il est originaire d'un autre pays, soit parcequ'il n'a pas de nationalité du tout (apatride). Dans tous les cas, ces non-français sont régis par un Code spécifique comportant des règles de droit administratif, civil, pénal : le "Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile". La principale particularité de ce Code, selon Dominique Clémang, c'est que son application n'est pas liée à une situation ou à une infraction, mais seulement au statut d'étranger des personnes concernées (à l'exception notoire des Algériens et Tunisiens, régis par des conventions).
"L'étranger nous est suspect, potentiellement dangereux"
Ainsi le législateur a régulièrement attribué un statut particulier aux étrangers. A la Libération, le Conseil National de la Résistance, abrogeant l'ensemble des textes de Vichy sur les étrangers, instaure l'ordonnance du 2 novembre 1945. Ce texte reste en vigueur jusqu'en 2005, année de la création du Code, qui rassemble l'ordonnance de 1945 sur les étrangers et l'ordonnance de 1952 sur le droit d'asile. Dominique Clémang s'insurge : "les droits accordés aux étrangers sont souvent en contradiction avec les principes mêmes de notre droit". De son côté, Jean François Dubost, responsable du service des réfugiés et migrants à Amnesty International précise : "le droit des étrangers fait tout de même partie notre état de droit, mais il est régulièrement en contradiction avec les textes et conventions internationales signés par la France".
Un laboratoire pour le recul des libertés?
Selon Dominique Clémang, un certain nombre de mesures appliquées au étrangers pourraient ensuite s'étendre au reste du corps social : "nous pouvons craindre que ce soit une expérience, un laboratoire". Plusieurs exemples sont cités, comme ce projet avorté d'obligation pour un étranger de quitter le territoire français si son employeur venait à casser son contrat de travail, même à tort. Et ce, "sans pouvoir intenter un quelconque recours. Pas de contestation possible : il doit quitter le pays". Idem pour l'application d'une remise en liberté : "si le Juge des libertés et de la détention décide de la remise en liberté d'un individu, celle-ci est effective dès ce jugement, pour tout citoyen. Sauf pour les étrangers, qui devront attendre, enfermés, de savoir si le procureur décide d'interjeter appel de cette décision. Ainsi, un individu libre doit attendre l'éventuel appel du parquet. Le droit pénal risque d'évoluer ainsi en général".
Le cas des centres de rétention
Il ont été créés en 1982 par François Mitterrand et son ministre de l'Intérieur Gaston Defferre, et malgré plusieurs réformes, sont toujours au coeur de la politique actuelle des étrangers. Selon Dominique Clémang, leur principe même est une aberration : "on retient des gens qui n'ont pas commis d'infraction, dans des locaux qui ne sont pas des prisons. On y entasse des gens, y compris des enfants, au mépris des règles internationales. Les enfants y sont, sous prétexte de ne pas les séparer de leurs parents". La durée maximale de rétention dans ces centres est passée de 12 à 32 jours avec les lois Sarkozy de 2003, offrant davantage de temps pour gérer le "retour" des gens. Selon Jean François Dubost, le principe même de rétention pose problème, alors qu'en vertu des conventions internationales, on devrait d'abord proposer des solutions de substitution, comme des centres semi-fermés, ou le cautionnement par des associations.
Le "35 quater"
Autre principe général du Droit, la Justice est rendue uniquement dans des tribunaux, ouverts au public, "au nom du peuple français", et même en présence éventuelle de journalistes ou de militants associatifs! Cependant, pour des raisons pratiques, une partie de la justice peut être rendue aux étrangers directements dans les aéroports, au sein des fameux "35 quater". Vu les mesures de sécurité et les contrôle menés par la police de l'air et des frontières, il n'est pas vraiment possible pour les citoyens d'y assister. "Le réacteur de l'avion est presque démarré, alors que le juge n'a pas encore statué" ironise Dominique Clémang. Pire : si le juge ne peut pas se déplacer, un système de caméras permet de rendre la justice par visioconférence. Là encore, un protocole qui pourrait d'étendre, favorisé par le contexte : "en cas d'épidémie de grippe A, il est prévu que les tribunaux puissent fonctionner à huis clos" prévient Dominique Clémang.
L'"enfant blanc"
Dominique Clémang rappelle une autre contrainte imposée aux étrangers : "pour se marier, il faut être prêt à subir toutes sortes d'interrogatoires. Les maires peuvent demander, s'ils le souhaitent, un entretien avec les futurs époux pour vérifier leur sincérité, afin d'éviter le mariage blanc. Mais désormais, c'est un nouveau type de fraude qui a été prévu : l' "enfant blanc", délit de reconnaissance d'enfant dans le but d'obtenir des papiers. Les parents d'enfants français bénéficient en effet de droits ; est donc défini le délit de reconnaissance mensongère d'enfant". Un étranger, même pour une raison louable, ne peut donc pas reconnaître un enfant dont il n'est pas le parent biologique.
Des règles mal appliquées
Selon Jean François Dubost, au-delà même des critiques sur les lois applicables au étrangers, se pose le problème de l'application desdites règles. Il nous cite de nombreux exemples : "les préfectures exigent que les demandeurs d'asile aient un domicile pour renouveler leur récépissé ; mais le Conseil d'état a décidé qu'on ne pouvait pas opposer cette condition. Des documents d'explication, rédigés en plusieurs langues, doivent être remis aux demandeurs d'asile par les préfectures, avec toutes les informations dont ils ont besoin ; mais cela n'est globalement pas suivi par les préfectures, et ce depuis des années". Selon lui, "cet ensemble de petites pratiques ressemble surtout à des moyens de dissuasion, et les préfectures se fixent illégalement des quotas quotidiens de traitement des dossiers de demande d'asile, afin de désengorger leurs services". Depuis 2008, le nombre de demandes d'asile augmente à nouveau, ce qui fait craindre à Amnesty International une politique encore plus restrictive...
