
Le froid de ce mardi 15 décembre 2009 n'a pas démotivé les dizaines d'infirmiers du Centre hospitalier spécialisé la Chartreuse (CHS) et du Centre hospitalier universitaire de Dijon (CHU). Banderoles et gobelets de café en main, ils ont en effet manifesté leur désapprobation quant à la récente instauration de l'Ordre national des infirmiers. Leur cri de guerre : "Non aux ordres" !
Rappel à l'ordre
"Tout infirmier qui exercerait sans être inscrit au tableau de l'Ordre s'expose à des poursuites pénales pour exercice illégal (article L. 4314-4 du Code de la Santé Publique), ainsi que son éventuel employeur", indique un communiqué sur le site de l'Ordre national des infirmiers*. Le message, menaçant, s'adresse avant tout aux récalcitrants... Car ils sont nombreux à ne pas vouloir s'inscrire à cet Ordre instauré en juillet 2009 dans le cadre de la loi "Hôpital, Patients, Santé, Territoires". Profitant du fait que le décret d'application de cet article de loi n'est pas encore publié, une partie de la profession repousse le moment fatidique... et envoie balader l'Ordre et ses dossiers d'inscription.
Ainsi la direction du CHS la Chartreuse a-t-elle renvoyé les dizaines de dossiers d'inscription qu'elle avait reçus, en prétextant que l'affaire n'est pas de son ressort. Quant aux infirmiers, la consigne entre eux est claire : "N'ouvrez aucune lettre de l'Ordre : renvoyez-les si vous en recevez. Il faut gagner du temps !". Gagner du temps mais pourquoi au juste ? "Parce que nous trouvons scandaleux d'avoir à payer pour pouvoir travailler", explique Sylvie Gavazzi, infirmière psychiatrique au CHS et secrétaire du syndicat CGT. Elle fait ici allusion à la cotisation annuelle de 75 euros demandée par l'Ordre : "Ils nous ont expliqué que c'était assimilable à un impôt, que c'était obligatoire. Rien ne nous dit que la cotisation ne va pas augmenter... De toute façon, même gratuit, on n'en veut pas de cet ordre. Avoir le diplôme devrait amplement être suffisant pour travailler".
La morale pour credo
Autre point qui fâche : les missions de l'Ordre. "Quand nous avons rencontré certains de ses représentants, on leur a demandé s'ils allaient nous défendre sur nos conditions de travail. Ils nous ont répondu qu'ils ne s'en chargeraient pas, que c'était le rôle des syndicats. De même, ils ne se préoccuperont pas de la diminution du nombre de lits dans les hôpitaux. Leur première mission sera de travailler sur un code de déontologie et de morale. Mais nous, on ne les a pas attendus pour cela ! Nous ne sommes pas des bonnes sœurs mais la morale, on a une idée de ce que c'est !", s'indigne Sylivie Gavazzi. En outre, l'Ordre se réserve le droit de majorer une sanction infligée par un directeur d'établissement s'il estime que celle-ci n'est pas suffisante. "On va payer pour se faire emmerder, sans être aidé quand on en a besoin !", s'insurge l'infirmière.
Sur la voie de la libéralisation...
Tous notent également le désengagement de l'État, qui se décharge ainsi des missions qu'il exerçait jusqu'à maintenant. "Tout d'abord, nos diplômes s'enregistraient à la Direction départementale des Affaires sanitaires et sociales (DDASS). Nos déroulements de carrière et les commissions de discipline étaient gérés dans les établissements qui nous emploient au travers des commissions administratives paritaires. Désormais, c'est l'Ordre qui va reprendre toutes ces missions", relève Sylvie Gavazzi. Pour Pietro Russo, infirmier au CHU, cela s'inscrit dans la libéralisation du marché du travail sanitaire : "On voit bien que le gouvernement veut libéraliser les structures de santé. On redoute même que sous peu, des infirmiers indépendants viennent travailler dans les hôpitaux, comme en Italie. L'existence de l'ordre garantirait d'ailleurs la déontologie de ces travailleurs".
Un Ordre en mal de disciples
Preuve que l'Ordre ne fait pas l'unanimité dans la profession : la faible participation aux récentes élections ordinales puisque seuls 13% des infirmiers ont en effet pris part au vote de leurs représentants. Ces derniers sont d'ailleurs décriés par certains infirmiers, qui s'étonnent de voir leur conduite dictée par des cadres peu coutumiers des réalités du terrain : "La présidente de l'Ordre ? Dominique Le Bœuf n'a pas mis les pieds depuis quinze ans dans un hôpital ! Elle travaillait dans les bureaux du ministère de la Santé avant...", s'exaspère une infirmière. Du côté des plus jeunes, la structure ordinale ne fait pas plus d'émules : "Une grande majorité des élèves sont de mon avis : nous ne nous inscrirons pas à l'Ordre à moins d'y être obligés. Sa raison d'exister est trop floue ; même l'école n'arrive pas à nous apporter des réponses claires sur le sujet", constate Constance Fouilland, étudiante de 3e année dans un institut de formation en soins infirmiers. La relève ne semble donc pas plus motivée que l'ensemble de la profession...
Quid des autres professions de santé ?
Les infirmiers ne seraient pas les seuls visés : la rumeur parle en effet d'Ordre pour les aides-soignantes désormais... Quant aux kinésithérapeutes, c'est déjà chose faite depuis 2006 : "A Toulouse, des kinés ont refusé de payer leur cotisation cette année. Et bien ils ont été poursuivis pour exercice illégal de leur profession !", raconte Sylvie Gavazzi. Du côté des médecins, certains soutiennent la cause des infirmiers : "Pour en avoir parlé avec ceux de l'hôpital, je sais qu'ils sont nombreux à se faire une piètre idée de leur Ordre", affirme Pietro Russo, avant de rappeler que l'Ordre des médecins a été instauré à une période sombre de l'Histoire : il a en effet été créé en 1942, lorsque le gouvernement de Vichy était au pouvoir...
* Adresse mail du collectif Résistance aux ordres de Côte d'Or (330 adhérents) : resistance-aux-ordres-21@aliceadsl.fr
