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Billet de blog 17 février 2010

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Rwanda : Une enfance volée par la guerre (partie 1/2)

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Chaque année, la date du 12 février vient rappeler le destin de milliers d'enfants soldats à travers cette journée mondiale qui leur est consacrée. Aujourd'hui, Amnesty International en dénombre plus de 300.000 dans le monde. Certains ont pu trouver asile en France et l'un deux a accepté de nous livrer son témoignage. De l'avant-guerre au génocide, de l'assassinat de sa famille à son kidnapping par l'armée... Première partie du récit d'un rescapé.

La nuit où tout bascule


"Avec mes parents, mes deux frères et mes deux sœurs, nous vivions dans le nord du Rwanda. Mon père était éleveur de vaches et ma mère professeur d'histoire-géographie à la faculté ; nous faisions partie de la classe moyenne. De nos origines Tutsi, nos parents ne nous en parlaient pas, bien que tous les deux avaient la carte d'identité ethnique Tutsi. Ma mère disait : "Si on te demande si tu es Tutsi ou Hutu, répond que tu es Rwandais"... Mais je sentais bien le malaise, déjà, avant la guerre. Nous étions plutôt mal vus et les professeurs à l'école nous séparaient des autres élèves et nous tapaient souvent dessus. Dès 1993, ça commençait à chauffer pour les Tutsis : beaucoup de ceux qui étaient bien placés professionnellement ou socialement se faisaient tuer, dans l'impunité la plus totale. Ma mère a dû arrêter de travailler cette année-là, après qu'on lui ait dit que les Hutus étaient prioritaires pour occuper son poste. Bref, l'ambiance était déjà particulièrement tendue...


Le 6 avril 1994, tout bascule : l'avion du président du pays est abattu en plein vol. Le soir même, un ami de mes parents qui vivait à la capitale nous a appelés pour nous prévenir de ce qu'il se passait : les Tutsis se faisaient assassiner chez eux, dans la rue... Pendant la nuit, les coups de feu ont en effet retenti dans tout le pays. Nous sommes partis aussitôt, en n'emportant rien avec nous. Dès le premier barrage, nous avons dû abandonner notre voiture et nous enfuir à pieds à travers les champs et les bois. Nous nous y sommes cachés pendant trois mois et puis un jour, on a entendu que la guerre était finie. Méfiants, nous avons attendu que les militaires du Front Patriotique Rwandais (FPR) viennent nous chercher et nous sommes retournés chez nous. Il n'y avait plus rien bien sûr, tout avait été pillé. Et il y avait des corps partout... Pendant ce génocide, nous avons perdu une cinquantaine de nos proches, tous assassinés. Mais avec mes parents, mes frères et mes sœurs, nous étions tous ensemble et c'était l'essentiel. Nous devions tout recommencer à zéro et c'était douloureux mais nous étions malgré tout contents de ne plus avoir peur que quelqu'un vienne nous tuer.

Survivre à l'horreur...


Après la guerre, l'école a repris et ma mère a pu retravailler. A ce moment-là, la vie était belle et nous essayions d'oublier ce qu'il s'était passé. Cette trêve a duré jusqu'en 1996. Après, ça a commencé à sentir mauvais pour mes parents... Mon père, qui avait pu retrouver une centaine de vaches sur les 3.000 que comptait son troupeau avant la guerre, se faisaient réclamer ses bêtes par quelques généraux qui lui parlaient de "reconnaissance". Après avoir refusé poliment plusieurs fois, il s'est fait convoquer par les officiers et même jeter en prison. Ils ont voulu l'accuser d'espionnage pour le compte des Hutus enfuis à l'étranger. Même après s'être fait cogner, mon père tenait bon et refusait toujours de donner ses bêtes. Et puis une nuit, ils sont venus à la maison vers deux heures du matin. Moi qui étais sportif depuis que j'étais petit, j'ai pu facilement monter me cacher sous le plafond. De là j'entendais tout, les cris surtout. Je ne pouvais pas respirer pour qu'on ne m'entende pas. Et quelques heures plus tard, je suis redescendu de ma cachette. J'espérais trouver quelqu'un encore en vie... Mais ils avaient bel et bien tué toute ma famille.


J'ai appris ensuite que trois autres familles avaient été assassinées cette même nuit. Je suis parti en courant chez un ami à qui j'ai tout raconté. Il ne pouvait pas me garder longtemps car il était possible que je sois recherché. Aux informations, ils disaient que des malfaiteurs non identifiés avaient tué ces familles. Alors quand j'ai appelé mon oncle qui habitait à Kigali, il était déjà au courant même s'il n'en était pas sûr. Avec des amis à lui, ils sont venus me chercher. Mais après avoir fait quelques kilomètres, nous nous sommes faits arrêter par un barrage. Les militaires voulaient me poser des questions et donc me garder avec eux mais comme il y avait du monde autour, ils ne pouvaient pas faire de scandale et ils ont dû nous laisser repartir. Pour ne pas se faire prendre, nous nous sommes séparés et j'ai finalement rejoint mon oncle chez lui quelques jours plus tard. J'y suis resté pendant environ un an. J'allais à l'école mais pendant des mois, je n'ai plus parlé à personne...

... et se faire rattraper par son passé


Un jour, nous sortions de l'école avec trois copains ; c'était la fin d'année et nous venions de recevoir nos bulletins. En cette veille de vacances, nous étions tous très heureux. Je me souviens d'un beau moment : l'un de mes copains avait acheté des biscuits et nous rigolions comme des mômes. Quant tout à coup, une bagnole de militaires a débarqué et nous a enlèvés de force. Ils ont déchiré nos bulletins et nous ont emmené avec eux. J'ai tout de suite pensé que mon passé venait de me rattraper... Ils nous ont d'abord séparés pour interroger mes copains. Puis dans la nuit, ils nous ont faits monter dans un camion qui nous emmenait à 300 bornes de là, dans un centre d'entraînement militaire. Et là, c'est l'enfer qui commençait...


Je suis convoqué par le chef du camp à qui je dis ne pas savoir pourquoi je suis là, que je ne comprends pas ce qu'il se passe. Il me répond : "Si tu ne sais pas, moi je vais te le dire : tu sais que tes parents ont été tués". "Je le sais mieux que toi...", je lui dis. "Moi je pense que tu as envie de te venger des gens qui les ont tués". Je lui réponds alors que je ne sais pas qui les a tués. Il insiste et me dit dit qu'il m'offre cette occasion de me venger, que soi-disant ce sont les Hutus qui ont tué ma famille. Moi je lui lance : "Si j'avais envie de me venger de quelqu'un, le premier ce serait de toi". Je crois que ça ne lui a pas plu et il m'a donné des coups sur la gueule... Ensuite, l'entraînement a commencé. Dans le camp, j'étais séparé de mes copains. Nous arrivions à nous parler quelques secondes de temps en temps et ils me demandaient pourquoi ils étaient là, ils me disaient que c'était à cause de moi, que je les avais foutus dans la merde.

13 ans et soudain, la guerre


Pendant ce temps-là, nos familles ne savaient pas où nous étions et nous cherchaient partout. De notre côté, c'était la formation militaire : pendant six mois, nous avons appris à nous servir d'une arme. Ils nous levaient le matin à quatre heures et nous nous couchions qu'après minuit le soir, après avoir écouté le discours quotidien des chefs nous rappelant que nous étions les plus forts, etc. Nous étions épuisés mais en quelques mois, on s'étaient habitués. La formation s'est terminée et on nous a envoyés pour notre première mission dans l'ex-Zaïre (actuelle République démocratique du Congo), par avion, où ça chauffait avec les exilés Hutus.


En arrivant à l'aéroport, on a vu des rescapés dans un sale état renvoyés au pays : rien que de voir ça, pour nous, on étaient déjà morts avant d'avoir mis le pied sur le champ de bataille. Et ça n'a pas traîné : dès le premier jour, ils nous y ont envoyés. Et dès le premier jour, l'un de mes trois copains s'est fait tuer. Tous les jours, nous étions au combat. Car là-bas, si tu dors, t'es mort. Ça arrivait de pleurer, mais à l'intérieur car de toute façon, personne n'est prêt à t'écouter t'épancher. Qu'est-ce que tu veux dire à des mecs qui sont dans cet enfer depuis quinze ans ? Nous avions 13 ans à ce moment-là et cette guerre allait durer un an."

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