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Billet de blog 17 février 2010

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Rwanda : une enfance volée par la guerre (Partie 2/2)

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A l'occasion de la journée mondiale des enfants soldats le 12 février, dijOnscOpe a recueilli le témoignage poignant de l'un d'entre eux, réfugié en France. Dans un premier article paru lundi 15 février 2010, ce jeune Rwandais livrait son histoire : comment il avait survécu au génocide puis à l'assassinat de sa famille, comment l'armée l'avait kidnappé pour l'envoyer à la guerre... Dans cette deuxième partie, il revient sur les nombreuses années passées dans l'armée rwandaise et sur la chance qui lui a été donnée de s'en défaire.

Une trêve de courte durée...


(...) "Après la guerre, après les combats, il y a eu un cessez-le-feu et nous sommes tous rentrés au pays. Nous étions très nombreux au camp alors ils nous ont envoyés dans plusieurs bataillons. C'est là que nous avons été séparés avec mes deux copains. Les formations s'enchaînaient, nous étions toujours très occupés. Moi j'étais vachement surveillé, je n'avais le droit à aucune permission, contrairement aux autres. Mais dès mon retour, la première chose à laquelle j'avais pensé, c'était de trouver un téléphone pour appeler mon oncle. Alors une fois, j'ai pris le risque : je voulais lui dire que j'étais vivant. Ça a duré quelques secondes ; lui, il n'en revenait, il pensait que j'étais le diable. Je lui ai dit que c'était bien moi et je lui ai donné des nouvelles des copains pour qu'il informe leur famille. Et puis j'ai raccroché. Et puis mon quotidien a repris.


Vu que j'étais plutôt bien éduqué et doué, ils m'ont annoncé que j'avais été retenu pour faire une formation d'aide-soignant. Elle a duré moins d'un an mais quel bonheur ! La journée, j'étais en classe et le soir, je me couchais tranquillement. J'arrivais enfin à dormir et je pouvais m'habiller en civil les week-ends, porter un jean... J'en ai profité pour aller voir mon oncle, sans aucune autorisation bien sûr. Je prenais le risque de me faire choper mais je m'en fichais. En me voyant débarquer, ma famille a hurlé, s'est mise à pleurer. A ce moment-là, je devais peser pas plus de 45 kilos. Et puis le dimanche soir, je suis rentré à la formation, l'air de rien. Mais la trêve a pris fin et la guerre a repris à la frontière de la République démocratique du Congo. Il fallait aller soigner les blessés au front ; on connaissait juste les soins de base alors on faisait comme on pouvait. C'était l'horreur parce que nous devions soigner les uns sous les balles des autres. C'était encore plus dangereux que d'être simple soldat

"Le jour où j'ai déserté"

Au début des années 2000, j'en avais vraiment marre de tout ça : je voyais pas ce que je foutais là, dans cette putain de guerre. J'ai demandé à aller à l'école ; ils m'ont envoyé au cachot pendant quelques mois en guise de réponse. Ensuite, j'ai demandé un congé mais ils disaient : "On verra". J'avais envie de foutre le camp : je me disais que je n'avais aucun avenir, que l'armée l'avait bousillé. Alors un jour, j'ai déserté et je me suis enfuis chez mon oncle. Il m'a payé l'internat au lycée mais je ne restais jamais longtemps au même endroit, pour ne pas être retrouvé.


Deux ans plus tard, ils m'ont quand même chopé et ils m'ont envoyé dans une prison militaire quelques mois en tant que déserteur. Ils se demandaient quoi faire de moi mais vu qu'ils s'étaient donnés la peine de me former, ils ont dû se dire que c'était dommage de me tuer. Alors j'ai retravaillé comme aide-soignant. Puis l'armée a évolué : ils ont eu besoin de gens qui savaient bien s'exprimer. La plupart des militaires n'avaient rien dans la tête et c'est comme ça que je me suis retrouvé affecté au service des renseignements.

Un paquet de cigarettes lui sauve la vie...


Ce boulot-là était en ville alors après ma journée de travail, j'ai pu prendre des cours du soir. Quelqu'un étant chargé de me surveiller, je faisais quand même très attention. Mais j'ai fini par avoir mon baccalauréat sans que personne ne s'en aperçoive. Et c'est là que j'ai fait une immense connerie : je leur ai dit pour le bac, en pensant qu'ils le prendraient bien et qu'ils m'enverraient travailler au service juridique. Au lieu de ça, ils m'ont envoyé au cachot. Mon chef de service s'est fait engueuler et tous se demandaient comment j'avais pu les tromper si longtemps. Ils ont essayé d'annuler mon bac, sans succès. Ensuite, ils ont voulu faire croire que j'étais un collabo. La haute trahison, je savais que c'était très dangereux...


Et un jour, l'un de mes anciens collègues chargé de me surveiller dans ma cellule m'a fait passer un paquet de clopes dans lequel il avait glissé un message : "Fais ce que tu as à faire, il te reste deux jours". Deux jours pour agir. Je l'ai supplié de téléphoner à un ami à moi bien placé pour qu'il lui explique ma situation. Il l'a fait et cet ami a ensuite appelé les chefs militaires pour leur dire que ce qu'ils faisaient était illégal et que si je mourais, ils seraient dans la merde. Coincés, ils ont dû me relâcher et c'est comme ça que j'ai sauvé ma vie.

Devoir de mémoire d'un rescapé


Je suis retourné dans mon service où ils ne me donnaient aucun travail à faire vu qu'ils n'avaient plus confiance. Moi, j'avais peur en rentrant dans mon appartement... Je redoutais "l'accident". Je vivais dans l'inquiétude permanente mais je me suis servi de mon expérience pour faire attention à ma peau. Et puis un jour, un autre copain plutôt bien placé m'a donné rendez-vous dans un bar : il me proposait de m'aider à sortir du pays, tout à fait officiellement. Dans le dos de l'armée, on a monté un stratagème. Même ma famille n'était pas au courant ; il fallait que cela reste secret jusqu'au bout... A quelques jours de partir, mes chefs l'ont appris mais ils ne pouvaient plus rien faire : tous les visas et autorisations étaient prêts. Alors je suis monté dans l'avion et j'ai quitté le Rwanda. Si je ne l'avais pas fait, je serai mort aujourd'hui.


La suite, je la raconterai peut-être dans un livre. J'y écrirai alors toute mon histoire et celle de ma famille, parce que j'en suis le dernier témoin. Pour le moment, je n'ose pas imaginer revenir chez moi un jour. Mais je repense souvent à ma famille restée au pays et surtout, aux paysages du Rwanda..."

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