
L'affaire Omar Radad, l'affaire d'espionnage d'Olivier Besancenot, et plus récemment l'affaire Renault : les détectives privés sont partout. Le plus souvent amenés à conduire des contre-enquêtes pour compléter celle de leurs homologues officiels, ils ont pourtant aujourd'hui mauvaise presse. En effet, le Gouvernement les accuse de recourir à des pratiques déviantes, voire immorales. Comme l'annonce notre confrère L'Expansion.fr, le délégué interministériel à la sécurité privée depuis septembre 2010, le préfet Jean-Louis Blanchou, aurait en charge la mise en place du futur Conseil national des activités de sécurité privée (Cnaps) prévu par la loi de sécurité Loppsi II adoptée fin janvier 2011. Joël Auribault, détective privé dirigeant son agence sur Dijon, Agence d'Investigation, a accepté de dévoiler une partie de son métier, et explique en quoi une telle mesure pourrait nuire gravement à la profession...
Une moralité à rude épreuve
"Le terme est totalement déplacé, sans compter que cette loi de moralisation n'est pas une nouveauté ! Nous sommes réglementés depuis les années 1940", affirme Joël Auribault, détective privé pour l'Agence d'Investigation à Dijon. Début février, l'Etat a en effet annoncé la création d'une haute autorité chargée de réglementer et de moraliser les pratiques de agents de sécurité privé (Lire l'article de L'Expansion.fr ici). Une réforme qui, selon Joël Auribault, n'est qu'une manière de camoufler les erreurs commises par les cabinets d'intelligence économique (IE) eux-mêmes : "Cela m'a beaucoup fait rire car lors de l'affaire Renault (Lire ici l'article du JDD.fr), les détectives privés ont été pointés du doigt alors que finalement, ils se sont rendus compte que la faute revenait directement au cabinet d'IE concerné !".
"Il y a certainement moins d'incidents que dans d'autres professions plus médiatisés", enchaîne Joël Auribault. Pourtant, le futur Conseil national des activités de sécurité privée (Cnaps) prévu par la loi Loppsi 2 vise bel et bien les agences et cabinets de sécurité privée. Le Cnaps devra assurer une mission de contrôle de ces activités et pourra prendre des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu'à l'exclusion de la profession. "Ce qu'il se passe, ce sont plutôt des maladresses concernant le côté pénal mais ce n'est jamais volontaire ou presque. Nous ne faisons pas un métier immoral, au contraire !"
Des lois parfois limitrophes
L'une des maladresses les plus répandues au sein de la profession est notamment liée à l'article 433-13 du Code pénal, qui peut mettre en responsabilité sur la confusion avec un service officiel : "Avec cet article, les dérives sont rapidement faites. C'est arrivé à l'un de mes confrères en Languedoc-Roussillon, qui est pourtant quelqu'un de tout à fait recommandable. Il a été condamné alors qu'un officier de police judiciaire (OPJ) et un huissier ont confirmé qu'il n'avait pas usurpé l'identité d'un policier dans une affaire d'ordre commercial. Le tribunal a considéré que, de par son attitude et en restant sur les lieux, il aurait dû comprendre que l'on pouvait le confondre avec un agent de police. C'est quand même un peu tiré par les cheveux. Il y a une hyper-justiciarisation des faits", dénonce Joël Auribault.
Pour cet enquêteur privé, il y a là "une volonté de casser la profession en mettant en place de multiples lois qui vont à l'encontre de ce qu'un enquêteur privé se doit de faire dans certains cas". Outre cette volonté de moraliser la profession, une proposition de loi datant du 17 mai 2010, envoyée à la Commission des lois par onze sénateurs, propose également des sanctions pour harcèlement criminel : "Le problème avec ce type de loi, c'est qu'un enquêteur pourrait très bien être mis en examen pour harcèlement puisque nous sommes parfois obligés de pratiquer la filature !", explique Joël Auribault.
Détective privé versus fonctionnaire de police
Parfois, l'enquêteur privé est la seule alternative. "L'un de mes clients avait été poursuivi au pénal pour violence sur son épouse. Tout est parti de travers. Le policier qui l'interrogeait a joué la carte de la compassion. Finalement, grâce à un coup de téléphone, nous nous sommes aperçus que le policier en question qui devait auditionner s'était installé chez la dame ! Dans ces cas-là, vers qui la personne peut-elle se tourner ?", s'interroge Joël Auribault. "En tant qu'enquêteur privé, je connais particulièrement la méfiance que peuvent ressentir une majorité de personnes envers les forces de l'ordre. Que ce soit dans un cas comme celui-là ou de manière plus générale, l'enquêteur privé est plus proche de son client. Nos clients se confient à nous. Ils nous font confiance."
Les détectives privés sont bien souvent confrontés à leurs collègues du public puisqu'ils sont très souvent amenés à pratiquer des contre-enquêtes suite à une fêlure dans un dossier ou une enquête officielle. "A un moment ou à un autre, surtout dans le cadre d'une contre-enquête, nous représentons un contre-pouvoir, que cela plaise ou pas", explique-t-il. Mais à la différence d'un OPJ, un détective privé n'est pas assermenté. Le secteur compte pourtant un nombre important d'anciens officiels : "Dans la profession, nous voyons souvent d'anciens fonctionnaires des forces de l'ordre ayant opéré au sein de la Brigade anti-criminalité (BAC), de la Police judiciaire (PJ) ou de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Ce sont eux qui, le plus souvent, commettent ces maladresses car on ne travaille pas dans le privé comme on le ferait dans le public", souligne Joël Auribault. Pour preuve, les détectives privés mis en cause dans les différentes affaires médiatisées : "Dans l'affaire Battentier (Lire ici l'article du Progrès.fr), il s'agissait d'un ancien gendarme ; dans l'affaire Besancenot (Lire ici l'article de l'Express.fr), de deux policiers ; et dans l'affaire Karachi, d'un ancien de la Direction de la surveillance du territoire (DST). C'est édifiant !", ajoute-t-il.
A noter qu'actuellement, le secteur compte près de 200.000 agents, détectives, vigiles ou salariés de cabinets d'intelligence économique (IE). En attendant la mise en place de cette nouvelle réforme de moralisation, plusieurs pistes sont déjà données concernant cette haute autorité. Le Cnaps pourrait compter sur 200 à 300 contrôleurs, et sera financé par la profession à hauteur de 0,5% du chiffre d'affaires des détectives et du même pourcentage de la masse salariale des grandes entreprises...