
Journée un peu exceptionnelle, hier pour les médias dijonnais montés à Paris écouter François Rebsamen au Sénat. Ce mardi 16 novembre, le sénateur-maire de Dijon défendait en effet une proposition de loi composée de cinq articles, dont il est le co-auteur, visant notamment à lutter contre les logements vacants. Jugée "intéressante", elle n'a pourtant pas convaincu la droite... Illustration de la difficulté d'être de l'opposition.
Wouaouh...
Train, métro, resto... et sénat ! Voilà une journée peu banale pour un journaliste régional. L'échelle du sujet était en effet toute autre, il faut le reconnaître, puisqu'il s'agissait bel et bien de suivre François Rebsamen dans sa proposition de loi devant les sénateurs. Une fois l'excitation provinciale passée, ressentie en entrant dans la salle de conférence plus éblouissante encore que Versailles, reste la complexe approche du sujet... Entrevu brièvement quelques minutes avant son intervention dans l'hémicycle, le sénateur de Côte d'Or a quelque peu éclairé la gent journalistique sur sa proposition de loi, en spécifiant tout d'abord "qu'il ne s'agissait pas de spolier les propriétaires", faisant ici référence au premier article qui la compose. Ce dernier propose en effet qu'au bout de cinq années de vacance, les logements soient expropriés en vue de la réalisation de logements sociaux. "Expropriation", un mot presque tabou en France... Plus tard, l'article en question sera d'ailleurs critiqué en séance par le secrétaire d'État au logement, Benoist Apparu, qui rappellera que "le droit de propriété est un droit constitutionnel".
Qui a peur de l'expropriation ?
Mais selon Claire Dagnogo, l'une des collaboratrices du groupe socialiste au sénat venue briefer les journalistes à l'heure du déjeuner, il ne s'agit pas de remettre en question ce droit mais avant tout de "menacer les propriétaires pour mieux les faire réagir". Le dispositif, inspiré par celui d'expropriation pour abandon manifeste d'un logement, s'étalerait alors sur cinq ans : pour avoir la preuve qu'un logement soit vacant, il suffit de constater l'absence de taxe d'habitation qui, aux yeux du fisc, prouve qu'il n'y a pas de location. Au bout de trois ans, durant lesquels le propriétaire aurait payé une taxe annuelle sur la vacance, le maire pourrait engager une procédure d'expropriation. Le propriétaire aurait alors deux ans pour réagir et donc louer, ou vendre, son bien. Si la procédure allait jusqu'au bout, le bien serait alors racheté a priori par la collectivité au prix des domaines. Dissuasif, l'objectif du dispositif est bien de remettre sur le marché locatif ces logements laissés vides. A Dijon, cela concernerait 409 logements ou locaux vacants (chiffre de 2008).
"Leur argument, ce sera de me dire que ça fait du mal aux petits propriétaires, assure François Rebsamen... Mais la majorité des Français sont propriétaires de leur propre logement et s'ils en ont un deuxième, ils essayent de le louer. Pour qu'un logement ne soit pas mis sur le marché pendant cinq ans, il existe deux raisons : soit il s'agit de le revendre au meilleur moment à des fins spéculatives, soit c'est un problème d'indivision qui ne se règle pas". Sur ce dernier point (*voir la définition), le sénateur soulignera d'ailleurs en séance que cela peut être "une porte de sortie à des problèmes juridiques insolubles".
Taxe = arme de dissuasion massive
Pour renforcer l'esprit dissuasif du premier article, le second propose de doubler les taux applicables à la taxe sur les logements vacants*, perçue actuellement dans huit communes et agglomérations (Paris, Lyon, Lille, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Nice et Cannes/Grasse/Antibes). Preuve de son efficacité, le dispositif a permis entre autres de diminuer de plus de moitié le nombre de logements vacants à Lyon en dix ans. Aussi, l'article propose d'étendre son champ d'application aux communes de plus de 3 500 habitants. "Je sais déjà que monsieur Braye, rapporteur de la commission de l'économie, pense que c'est une bonne idée mais que cela englobe un peu trop de communes...", précise François Rebsamen. En séance, le rapporteur confirmera ces dires. Après avoir souligné le coût trop élevé qu'engendrerait la mise en application du premier article, Dominique Braye reconnaît plus d'intérêt au second, parlant d'étendre la taxe vacance seulement aux grandes agglomérations (trente en France).
L'expropriation des idées
Quant au troisième article, le rapporteur parlera d'une "avancée intéressante" : il s'agirait en effet d'élargir des lois d'ores et déjà existantes sur le droit de préemption urbain* des communes, afin de leur permettre plus aisément de reloger des personnes expulsées dans le cadre d'opérations de lutte contre l'insalubrité, d'aménagement voire de démolition. Le dernier exemple d'une telle situation à Dijon date justement d'hier : "J'ai pris un arrêté sur un immeuble qui menaçait de s'effondrer, à l'angle de la rue du 23 Janvier", a annoncé le maire en salle de conférence.
En séance, Dominique Braye a également reconnu l'utilité de l'article 4, qui propose un moratoire sur les expulsions locatives pour tous les ménages de bonne foi reconnus éligibles au droit au logement opposable (Dalo*) et ce, "pour éviter que les accidents de vie n'excluent trop de ménages". "Nous y avons déjà pensé naturellement", avancera sans complexe le rapporteur. Enfin, ce dernier jugera irréaliste et contre-productif l'article 5 : celui-ci vise à mobiliser le parc locatif privé conventionné dans le cadre de la mise en œuvre de la loi Dalo. Car "lorsqu'un logement est conventionné, on devrait avoir le droit d'y loger des personnes reconnues prioritaires", argue le sénateur de Côte d'Or. "Ce qui ne manquerait pas de dissuader les propriétaires de louer leur logement", répond plus tard Dominique Braye.
La taxe oui, le reste c'est non
"Bien", "Médiocre", "Recopiage". François Rebsamen a passé hier son grand oral... et s'est fait recaler : sa proposition de loi n'a pas été votée, pas même amendée. Selon le secrétaire d'État au logement, "cela ne sert à rien de faire une nouvelle loi, appliquons ce qu'on a déjà". Même le sénateur UMP de Côte d'Or Alain Houpert, comptant parmi les rares sénateurs présents dans l'hémicycle, a mis son grain de sel lors de la discussion en séance : "La France compte le plus de logements par propriétaire (en Europe), et le plus de logements sociaux par habitant. Rien ne sert de renforcer le climat d'insécurité juridique existant autour du contrat de location". Contre des "examinateurs" franchement peu impartiaux, le sénateur-maire de Dijon n'avait pas grand espoir de voir sa proposition de loi adoptée. Avant son intervention, il avouait pourtant "ne pas désespérer de la faire prendre au rapporteur, même si c'est pour y mettre son nom". Son vœu pourrait bien être quelque peu exaucé puisque Benoist Apparu s'est engagé à "élargir la taxe sur les logements vacants afin de mieux répondre aux attentes de nos concitoyens". Seule l'idée sur la taxe semble avoir retenu l'attention du représentant du gouvernement...
