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Billet de blog 19 décembre 2009

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France Télécom : un rapport qui fait mal

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À la suite d’une vague de suicides chez France télécom, un questionnaire avait été envoyé en octobre dernier à tous les employés de l’entreprise afin d’établir un bilan. Le cabinet Technologia, en charge de l’enquête, en tire ces jours-ci les premières conclusions, accablantes pour l'entreprise. Les consultants évoquent une "ambiance de travail tendue, voire violente" ils pointent aussi "la grande défaillance du management". Voilà deux mois, dijOnscOpe avait rencontré Jean, Alexis et Paul*, employés chez France Télécom, section Nord-est. Ils avaient témoigné de leur quotidien de travail difficile. Nous les avons retrouvés pour avoir leur sentiment sur le bilan du questionnaire ; les choses ont-elles évolué au cours de ces deux derniers mois ? Rencontre également avec la directrice régionale de France Télécom, Véronique Morlighem, qui a également commenté le rapport...

"Une photo sans concession et sans surprise"


Selon le rapport, "les relations sociales dégradées" sont majoritairement ressenties par les non-cadres, "générées par une défaillance du management" et engendrant une "ambiance de travail tendue"... Ce questionnaire, auquel 80% des employés de France Télécom ont répondu à la fin du mois d’octobre dernier, permet de dresser un bilan et de "libérer la parole", selon Alexis, jeune opérateur téléphonique : "Le questionnaire était assez mal fait ; il n’y avait pas beaucoup de nuances. Cependant, il donnait l’opportunité de se faire entendre. C’était l’idée première et c’est pourquoi autant de monde a répondu."


Selon Véronique Morlighem, directrice régionale de France Télécom Dijon, le rapport de Technologia est loin d’être une surprise : "On s’attendait à une photo sans concession et sans surprise. Cela confirme les constats établis lors des visites sur le terrain." Selon l’enquête, 39% des salariés ne seraient pas fiers de travailler chez France Télécom**, un chiffre que la responsable souhaite voir changer : "On souhaite que ces 39% évoluent et pour cela, un certain nombre de mesures ont été prises."

"On nous appelle par notre prénom désormais"


Depuis quelques semaines, les choses se sont effectivement améliorées comme le constate Jean : "Depuis un mois et demi, on remarque que des efforts sont faits : on nous appelle par notre prénom désormais alors qu'avant, on nous traitait comme des chiens. Ils ont dû avoir la pression au dessus." Paul est du même avis : "La situation ne sera plus comme avant. Ils ne peuvent plus appliquer les mêmes méthodes. Dans mon service, on réembauche ; les réunions et concertations sont plus nombreuses. Le ton est beaucoup plus cool, on voit que des consignes ont été données."


Alexis a lui aussi constaté ces améliorations : "Ils se sont un peu calmés sur les statistiques." Toutefois, le jeune homme se fait prudent quant au bien fondé de la démarche : "Nous avons également eu quelques réunions avec des responsables pour voir ce qu’il fallait améliorer dans l’entreprise, mais comme c’est surtout la direction de Paris qui choisit, ça ne change pas grand chose. Les réunions servaient surtout à donner l’idée qu’on était écoutés mais ensuite, il n’y a pas eu d’actions concrètes."


Jean émet lui aussi des réserves quant à la poursuite des améliorations : "Des employés en ressources humaines ont été embauchés mais dans notre service, nous avons surtout besoin de travailleurs manuels. Au niveau humain, c’est vrai que ça a un peu changé mais on verra bien si ça dure." Quant à Paul, il pense au long terme : "La pression a été relâchée le temps des négociations mais dès la mi-janvier, il y aura de nouveau des mouvements du personnel [mutations internes]. Au quotidien, nous allons mesurer si les choses s’améliorent."

"On veut recréer du lien social"


Véronique Morlighem vante les mesures prises pour enrayer la crise propre à l’entreprise : "Nous avons cessé la mobilité à moins de trois ans de la retraite, revu les conditions de travail, amélioré les locaux avec des espaces détentes. Beaucoup d’argent a été consacré à l’environnement de travail. Des postes de ressources humaines, médecins du travail et assistantes sociales ont été créés, de même que des emplois additionnels dans la relation client et les interventions techniques. (. ...) Par ailleurs, un accord avec les quatre organisations syndicales va aussi permettre l’accompagnement des séniors dans l’évolution de carrière. »


Questionnée sur le management sévèrement mis à mal par le rapport*, la directrice régionale de France Télécom assure qu’un groupe de travail se penche sur la question : "On veut recréer du lien social. Les managers vont être reformés à la gestion du stress. Un ensemble de formations avait déjà été mis en place en août." Dès la mi-janvier, selon la direction, une nouvelle enquête aura lieu sur un échantillon de 1 000 employés, toutes catégories confondues.


Selon la responsable, la mission du cabinet Technologia ne semble en tout cas pas terminée : "La mission de Technologia est multiple. Elle va analyser les documents, l’histoire de l’entreprise, qu’il est important de comprendre pour expliquer les changements." L’objectif officiel ? Établir un nouveau contrat social : "Didier lombard [Pdg de France Télécom] a souhaité faire les évolutions sans licenciements. Tout le monde a participé. L’objectif des travaux et des enquêtes est de sortir un nouveau contrat social avec tout le monde."

Un malaise persistant


Malgré des évolutions positives et des projets encourageants, Alexis est assez pessimiste quant à l’avenir : "Je pense qu’il n’y aura pas beaucoup d’évolution et que les choses vont continuer comme ça. La réalité ne change pas : nous sommes sous-payés et il n’y a pas de possibilité de carrière."


Jean est loin d’être plus optimiste ; après une trentaine d’année chez France Télécom, l’homme n’a plus goût à son travail : "Nous voulons que les choses évoluent. C’est bien qu’il y ait de nouveaux jeunes mais cela prend un certain temps pour les former. Les restrictions continuent pendant ce temps-là : le bâtiment Voltaire à Dijon va fermer. On va se retrouver entassés : en septembre 2010, le personnel va être regroupé à Stalingrad à Dijon voire muté à Rennes. Cela n’arrête pas, c’est tout le temps comme ça. Tout le monde nous engueule, on court partout ! C’est vrai qu’il y a cinq ans on était le must, on était fier mais maintenant tout le monde est blasé. A présent, l’entreprise n’est plus une référence. Quand je sors du travail et que je vais au restaurant par exemple, je prends le temps de changer de vêtements car je ne suis pas fier de sortir avec les habits portant le nom de l’entreprise. »

*Les prénoms des personnes ont été changés pour conserver leur anonymat


** Technologia estime que la « fierté d'appartenance au groupe France Télécom est perdue ». Seuls 25 % des non-cadres, 34 % des agents de maîtrise et 52 % des cadres sont fiers d'appartenir à France Télécom. Soit en moyenne, 39 % des salariés. A la question de savoir si les salariés étaient fiers il y a cinq ans, 95 % répondent par l'affirmative.

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