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Billet de blog 20 mars 2010

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Les défis alimentaires de demain commencent maintenant

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Quand on parle de l’avenir de l’agriculture, la politique n’est jamais très loin. Et quand on y accole la notion de respect de l’environnement, tous les ingrédients sont réunis pour un cocktail explosif... Mais les universitaires savent se tenir. Et lors du colloque sur la question* qui a réuni jeudi 18 mars 2010 une poignée de spécialistes devant un parterre de curieux et d’étudiants en agronomie, ils ne pouvaient décemment pas se lancer dans de grandes polémiques. Du moins pas tout de suite ! Chassez la politique et elle revient au galop...

Neuf milliards d'individus à nourrir en 2050


Premier intervenant. Dans la famille « déminage de faux problèmes », je demande Gilles Pison, directeur de recherches à l’Ined (Institut National d’Etudes Démographiques). Car pour parler des défis alimentaires, mieux vaut commencer par savoir combien nous serons demain. Et en la matière, le fantasme fait plus de bruit que les recherches démographiques sérieuses le prévoient... Si nous sommes aujourd’hui près de sept milliards d'individus, la population mondiale devrait évoluer jusqu’à neuf milliards en 2050. Mais nous ne devrions pas aller au-delà.


« Beaucoup de gens ont en tête le rythme actuel avec un doublement de la population tous les 65 ans. C’est sûr que si on continuait, il y aurait trois mille milliards d’habitants en 2500. Ça fait un peu beaucoup, ironise le chercheur. Mais à la fin de la transition démographique, nous aurons un nouveau régime démographique qui devrait être équilibré ».

Ça va aller...


Le décor est ensuite posé par un nutritionniste. L’objectif est de fournir 3.000 calories par jour à ces neuf milliards d’habitants. Si c’est moins, on connaîtra toujours la sous-nutrition ; si on va au-delà, on risque de rencontrer des problèmes d’obésité. Va-t-on y arriver sans causer trop de dommages à la planète ? Dans la famille « déminage » toujours, je voudrais Gérard Trouche. L’ingénieur agronome évoque le progrès technique, l’amélioration variétale, les erreurs du passé qui peuvent être corrigées grâce au « jus de cervelle des futurs agronomes » et aux agriculteurs « qui doivent être au cœur de la décision et du changement ». Il cite quelques projets emblématiques, comme à Santenay où un captage d’eau polluée aux pesticides a dû être arrêté mais où les vignerons se sont pris en main pour inverser la tendance.


Le discours passe bien chez les étudiants. Il crispe seulement deux, trois visages... Ne faudrait-il pas aussi remettre plus radialement en cause certaines pratiques agricoles ? Une main se lève et pose la question de manière indirecte, en évoquant notamment les trop nombreuses destructions de haies dans les champs. L’intervenant désamorce la bombe. C’est l’heure de la pause. Les pains au raisin sont délicieux. Et on finit par se demander si la question du colloque est finalement si importante que cela... Peut-être nous sommes-nous trompés, les défis alimentaires n'étant au final qu’une formalité pour la société de demain ?

... A moins que !


La suite est moins optimiste. D’abord parce que chiffres à l’appui, un spécialiste de l’eau est là pour nous rappeler que 30 % de la population mondiale utilise déjà plus de 80 % de ses ressources en eau. Et pas seulement en Afrique sub-saharienne ! Le taux pourrait progressivement monter à 50 % et il sera impossible de généraliser le modèle de l’agriculture irriguée. Ensuite parce que les agrocarburants vont déstabiliser un peu plus l’équilibre agricole. « Qu’on le veuille ou non, leur utilisation sera surtout liée à des aspects économiques et à la disparition du pétrole », rappelle Hervé Guyomard, directeur scientifique à l’Inra.


Quels que soient les modèles retenus (agrocarburants de première ou de deuxième génération, faible ou forte dose de biodiesel d’origine végétale dans le carburant...), il y aura un impact sur la part des terres consacrées à l’alimentation. Enfin et surtout, parce qu’avant de penser à « nourrir la planète en respectant l’environnement en 2050 », il faut d’abord penser à « nourrir la planète » tout court !

Une vive critique contre la politique agricole mondiale


Avec la présentation de l’ingénieur agronome Marcel Mazoyer, le propos se fait nettement plus incisif. Délaissant le volet agronomique et environnemental pour s’attaquer au volet politique : « La vraie cause de la faim, ce n’est pas le manque de terre ni le manque de techniques, c’est la demande solvable ! Donc la pauvreté et l’accès à la nourriture. L’augmentation de la production compétitive et marchande ne règle rien et l’enjeu, c’est de changer de politique pour que les paysans pauvres puissent se développer ». Midi trente, les étudiants agronomes voient un défi alimentaire plus immédiat et désertent pour la plupart les bancs de l’amphithéâtre...


Mais la discussion se poursuit entre les intervenants et Marcel Mazoyer continue avec véhémence son idée : « Si on poursuit le développement unilatéral et les échanges libéralisés, on aura toujours nos 9 millions de morts chaque année. 90 en dix ans. C’est plus que la seconde guerre mondiale ! ». Il a presque des sanglots dans la voix. « Il faut des prix protégés et stabilisés pour permettre aux paysans de vivre dignement dans leur travail et d’investir. Tout ça n’a rien de révolutionnaire. C’est quelque chose que nous avons-nous-même expérimenté après guerre et qu’on a jeté en 1975. Il faut le réinventer. Sinon, en 2050, on sera dans une situation alimentaire homothétique à celle d’aujourd’hui. A neuf milliards au lieu de sept ».

* Le colloque s'intitulait : "Comment nourrir la planète en respectant l’environnement ?"

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