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Billet de blog 20 avril 2010

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Prostitution: le prochain tiroir-caisse de l'État ?

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Si la loi du 13 avril 1946 ordonnait la fermeture des maisons closes en France, depuis, le débat sur leur réouverture n'est toujours pas clos... Depuis le 25 mars 2010, le ministère de l'Intérieur a en effet chargé un groupe de travail, dirigé par la députée UMP de Seine-et-Marne Chantal Brunel, de plancher sur la prostitution. Presque aussitôt, cette dernière avançait l'idée de la réouverture des maisons closes, arguant que les prostituées y seraient en "sécurité"... Est-ce pour autant la solution miracle et la réponse des pouvoirs publics attendue par celles et ceux également appelés les travailleurs du sexe ? Éléments de réponse avec Catherine Sumi, éducatrice au centre d'hébergement et de réinsertion sociale Le Pas, spécialisé dans l'accueil des prostituées, à Dijon.

L'insécurité pour argument


Tous les six mois ou presque, le débat sur la réouverture des maisons closes semble ressurgir. La dernière fois, c'était en novembre 2009 avec Christine Boutin, ancienne ministre du Logement et de la Ville, qui s'est rétractée presque aussitôt sous la pression de lobbys anti-prostitution (ndlr : Le Mouvement du Nid). Cette fois, le gouvernement de Nicolas Sarkozy remet la question sur le tapis. Le président de la République, qui avait pourtant fait voter en 2003, alors qu'il était ministre de l'Intérieur, la loi de Sécurité intérieure créant ainsi le délit de racolage passif poussant la prostitution en dehors des centres-villes... Les contrevenants risquant deux mois de prison et 3.750 euros d'amende.


Dans une tribune libre sur Le Monde.fr, la députée Chantal Brunel affirme qu'en "dehors du centre-ville, point de salut : non seulement le nombre de prostituées issues de la traite des femmes a augmenté, mais leur condition s'est considérablement détériorée. Papiers confisqués, séquestration dans des maisons de dressage où elles sont affamées, droguées et violées : les travailleuses de l'ombre sont doublement victimes : des réseaux mafieux d'une part, des clients violents de l'autre. Une solution existe, d'ores et déjà appliquée avec succès en Suède : l'inversion du statut juridique de la prostituée. De coupable, elle doit passer victime. Mais ce n'est pas suffisant".


Et d'évoquer alors la réouverture des maisons closes, soixante-quatre ans après leur fermeture, celles-ci continuant ainsi d'apparaître comme une solution pour régler les problèmes de la prostitution. Pourtant, à l’époque, les députés les avaient fait fermer pour cause de violence et d’insécurité...

Quand un État devient proxénète...


"Le sujet n'est pas abordé comme il devrait l'être, note Catherine Sumi. Il faudrait commencer par se demander ce qu'est la prostitution et ce que cela implique. Car ce n'est quand même pas rien de se prostituer mais il n'y a aucune réflexion sur le sujet. On ne fait que répondre au phénomène de la prostitution et là, on reparle des maisons closes. Mais existe-t-il un lieu idéal pour se prostituer ? Et puis il s'agirait alors d'accepter l'organisation de la prostitution et du proxénétisme. Cette idée me dérange. Je ne juge pas le fait qu'on puisse penser que les maisons closes sont une réponse mais franchement, ce n'est pas la panacée contrairement à ce qu'on cherche à faire croire."


L'éducatrice du Pas se demande également comment pourrait être organisé ce système : à qui reviendra les gains ? Les prostituées devront-elles payer pour travailler dans les maisons closes ? "L'État deviendra-t-il proxénète finalement ?", note-t-elle. Dans les exemples de nos voisins européens, la majorité des prostituées payent un loyer aux maisons closes. Selon une enquête du Journal du Dimanche, les "puticlubs" situés à deux pas de Perpignan, côté espagnol, abritent des centaines de filles qui payent 80 euros la nuit pour travailler. Aussi expliquent-elles qu'il leur faut au moins deux clients avant de rentrer dans leurs frais...

Les Français pour les maisons closes... plus que les Françaises


En 2003, 63% des Français se positionnaient en faveur de la réouverture des maisons closes. Sept ans plus tard, ils sont 59% selon un sondage CSA-Le Parisien. Les hommes y étant nettement plus favorables que les femmes...Mais le plus frappant reste que les opposants à la question ont presque disparu : de 26% en 2003, ils sont passés à 10% en 2010. A noter : les électeurs des Verts seraient les plus pro-maisons closes (à 69%).


Un tel sondage n'est pas pour étonner Catherine Sumi : "Ce n'est pas péjoratif ce que je vais dire mais les maisons closes sont une réponse qui rassurerait le Français moyen. De même que les riverains ont voulu leur disparition des centre-ville, il me semble que cela dérangerait moins le quidam de savoir les prostituées parquées dans un lieu".

"Pourquoi pas ?"


Mais qu'en pensent les premières concernées, peu écoutées pour le moment ? Dans un communiqué du Syndicat du travail sexuel (STRASS), qui regroupe 250 membres, leur position semble très claire : "Nous refusons de travailler au profit du tenancier d’une maison close (...) ; nous refusons qu’une personne tierce nous impose ou influe dans le choix de nos clients, de notre prévention, de nos pratiques et de nos tarifs (...) ; Seul le port du préservatif protège et le dépistage obligatoire n’est en fait utilisé que pour inciter les travailleurs du sexe à accepter des rapports non protégés. Les scandales de contamination dans l’industrie du porno sont un exemple flagrant de la contre productivité du dépistage obligatoire en matière de santé (...) ; nous refusons d’être mis à l’écart de l’espace public dans des endroits fermés et espaces réservés ou cachés. Nous faisons partie de cette société".


Mais pour certaines, sans doute moins au fait des débats, les maisons closes pourraient être envisageables... "Nous n'en parlons jamais d'habitude mais l'autre jour, j'en ai discuté avec trois personnes, toutes cinquantenaires à peu près, raconte Catherine Sumi. Elles disaient "Pourquoi pas ?" mais en fait, elles en ont une idée très vague. Elles pensent que cela pourrait les protéger de tout ce qui est lié à la violence : celle des clients, des proxénètes et même des autres personnes qui se prostituent."

Accompagner plutôt que parquer


D'autres solutions seraient pourtant envisageables. Le STRASS imagine des coopératives de services sexuels qui seraient exemptées des différents contrôles de l’État et surtout, de taxation... Catherine Sumi ne va pas aussi loin : "Je pense qu'il faudrait mettre le paquet sur l'accompagnement de ces personnes, notamment en leur permettant d'avoir accès aux droits de tout un chacun : accès aux services médicaux, à des avocats... Avec des structures qui les amèneraient dans ces services". Le centre Le Pas est financé à 100% par l'État ; aussi, de telles structures, si elles étaient multipliées, seraient synonymes de dépenses tandis que les maisons closes, elles, sont la promesse des gains faciles à gagner...

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