
Etienne Gille, président de l’AFRANE (association d’aide humanitaire et d’information au profit de l’Afghanistan) revient d’un voyage de 15 jours en Afghanistan. Il livre à dijOnscOpe son regard sur un pays très médiatisé mais aux aspects parfois méconnus. Témoignage d’un Dijonnais passionné...
"Je suis venu en Afghanistan par un hasard de circonstances en 1966. Je suis resté dans le pays de 1969 à 1978. J’y travaillais comme professeur. Au cours des années, je me suis constitué un très bon réseau de collègues. Quand l’invasion soviétique a débuté en 1979, mes anciens élèves m’ont poussé à créer AFRANE.
Une situation pas si dramatique
Comme tous les ans, je me suis rendu il y a quelques jours en Afghanistan pour constater les avancées obtenues grâce à l’association.
En réalité, la situation n’est pas aussi dramatique qu’elle n’apparait en France. J’ai pu me promener librement dans trois villes de l’est du pays durant mon séjour. Même s’il est vrai que je ne résidais pas dans les régions de fortes tensions. Lors de ma venue, la situation politique était très confuse. Il existait un fort débat démocratique. C’est quelque chose de nouveau et de vraiment positif.
Au niveau économique, j’ai constaté que le pays se développait. Cette année, la récolte alimentaire est excellente en raison d’une forte pluviosité. La circulation est plus importante, ce qui est le signe d’une activité économique. Et contrairement aux autres années, l’électricité était présente presque 24h sur 24h à Kaboul.
La scolarité des enfants : l’avenir du pays
Environ 50 % de la population a moins de 25 ans ; on compte près d’un million de naissances par an (sur 25 millions d'habitants). Cela explique la forte pression scolaire. Elle est très importante dans certaines régions et concerne de plus en plus de filles. J’ai remarqué que la scolarisation est un fort désir de la société afghane. Cela montre que quelque part, les talibans ne sont pas majoritaires et qu’à terme, ils seront forcement vaincus.
Notre association est l’une des plus importantes de France dans le domaine de l’éducation. Nous travaillons dans trois domaines : la construction d’écoles, les équipements pédagogiques et la formation des professeurs. Chaque année, nous construisons une à deux écoles. Il faut sans cesse de nouveaux bâtiments.
Un regard bienveillant sur la France
Les Français sont bien considérés par la population. Elle voit la France comme un pays désintéressé, n’ayant pas d’intérêts stratégiques en Afghanistan. Les Afghans sont loin d'avoir le même avis sur l’Angleterre et les États-Unis !
Ils voient les efforts de la France et se souviennent encore des « French doctors » [ces médecins venus au secours de la population lors de l’invasion soviétique de 1979]. Ils sont dans les mémoires. Dans un taxi qui m’amenait à un rendez-vous, le chauffeur m’a parlé de Laurence Lemonnier, l’une des premières femmes à avoir aidé la population afghane, après des études de médecine à Dijon.
De Kaboul à Dijon
On compte environ une centaine d’Afghans en Côte-d’Or. Depuis un an, il y a eu un grand afflux. Chaque foyer d’hébergement dijonnais en compte un. La plupart ont fui leur pays pour des raisons économiques. Généralement, pour avoir de meilleures conditions de vie. Beaucoup viennent en France pour aller en Angleterre car ils pensent que les conditions de vie sont plus faciles. Nous tentons de leur expliquer qu’il s’agit d’un mythe.
Certains décident de rester en France. Beaucoup réussissent bien et y sont très heureux. Ceux qui sont à Calais galèrent vraiment. Il est normal qu’on ne leur déroule pas le tapis rouge. Mais ce qu’il faut, c’est garder une approche humaine et individuelle. Je conçois les charters comme quelque chose de négatif. On ne peut pas dire aux Afghans qu’on vient les aider et renvoyer ceux qui viennent en France ! Cela donne une image d’inhumanité en Afghanistan.
Les Afghans ne méritent pas qu’on les laisse tomber
Aujourd’hui, j’ai le sentiment que les Français se demandent s’il est encore utile d’aider les Afghans. Or, la population a plus que jamais besoin d‘aide.
En 2002, au début du conflit, le soutien était important mais depuis, l’élan s’est ralenti. Les Afghans « ordinaires » c'est-à-dire 90% de la population, ne méritent pas qu’on les laisse tomber à cause d’une petite frange violente. Tous ceux que j’ai rencontrés sont mécontents du comportement des forces américaines et anglaises. Ils les trouvent trop brutales.
Je vous donne un exemple révélateur : lors du passage des militaires anglo-saxons, comme tous ceux qui se trouvaient sur leur chemin, j’ai dû me mettre à bonne distance et attendre qu'ils passent, leurs fusils pointés sur nous. Pourtant, il est clair que les Afghans ne souhaitent pas les voir partir. Ils aimeraient simplement que leur comportement s’améliore.Qu’ils ne soient plus ressentis comme agressifs.
En cas de retrait militaire, les femmes pensent que leur situation sera bien pire. Une femme politique élue aux élections me disait qu’elle attendait de la France non des hôpitaux, mais des troupes supplémentaires."
Renseignements sur AFRANE : www.afrane.asso.fr
