La température diminuant, le temps nous rappelle à dijOnscOpe que de nombreuses personnes encore doivent travailler et parfois vivre dehors quelles que soient les conditions... Première enquête aujourd'hui sur une situation qui est encore considérée comme un métier de la rue : la prostitution. L'occasion de faire le point sur ce phénomène de société en considérant plus particulièrement le cas de la ville de Dijon. Dans cette perspective, nous nous sommes rendu dans les services du PAS, structure spécialisée de ces problèmes sur Dijon, à la rencontre de Thierry Royer (éducateur spécialisé et chef de service) et Catherine Sumi (monitrice éducatrice). Travailleurs sociaux spécialisés dans l'aide médico-social aux prostituées...
La prostitution : ni interdite, ni autorisée
"Du point de vue purement légal, la prostitution est considérée comme un acte privé. Elle n'est ni interdite, ni autorisée ; donc autorisée dans les faits... Le statut de la prostitution n'est tout simplement pas légiféré en France car ça n'est pas considéré comme métier. "Notre corps nous appartient". La législation intervient en revanche sur la notion racolage (frontière actif/passif néanmoins floue) depuis 2002. La volonté du législateur à été d'éradiquer la prostitution en chassant les filles de la rue. Cela a eu pour principal résultat de déplacer le problème. De nouvelles formes et réseaux sont donc apparus, notamment grâce aux nouveaux moyens de communications. Par contre, les centres ville (bourgeois?) ont été débarrassés des troubles de voie publique. La prostitution n'est plus visible, elle ne pose donc plus les mêmes problèmes...
La loi est ambiguë ; de fait l'argent gagné est soumis à l'impôt (de même que l'argent volé, l'état impose tout le monde). Du coup, la prostituée doit déclarer une activité autre (masseuse, kiné...) pour expliquer ses revenus, sinon c'est l'Etat qui devient proxénète . La dénonciation du proxénète ou des réseaux en échange de papiers français et d'une protection est une forme de solution qui fonctionne assez bien. Les filles sont souvent menacées et parfois tuées pour l'exemple mais pas systématiquement. "Elles sont tellement nombreuses que les mafias s'en foutent, ils en butent une pour l'exemple de temps en temps, mais ne leur courent pas après".
Mais le marché est trop rentable, il est très difficile de lutter contre ça. "Le trafic d'être humains est plus intéressant que les armes ou la drogue pour les mafias car, économiquement plus rentable et juridiquement moins risqué.
Un statut quo
Il faut reconnaître que le hiatus législatif crée une ambigüité utile pour rencontrer les publics. En effet, si l'activité est interdite par la loi, le public est introuvable car caché. Si cela devient légal, il est inaccessible car relevant de la sphère privée. Nous sommes dans une sorte de statut quo. Il n'y a pas de solution miracle au regard des législations des autres pays. La dépénalisation à aussi rendu visible certaines formes de prostitutions telles que homosexuelle ou transsexuelle.
D'une manière générale, le phénomène de prostitution est conditionné par le facteur culturel, le contexte économique, psychologique, et législatif. On se rend compte que lorsque les droits de la femme progressent la prostitution régresse, la même corrélation est observée vis à vis du contexte économique. C'est principalement pour ces raisons que l'on trouvera toujours une manne en provenance des pays pauvres et de peu de droit. Même si cela procède parfois d'un choix personnel, moins de 10% des femmes concernées souhaitent la prostitution en tant que métier légal au même titre que boulanger par exemple.
La prostitution ne serait pas nécessaire à notre société...
Non, mais elle est difficile à éradiquer comme nous venons de le voir. De plus, la société à toujours été construite et dirigée par les hommes. Ils se sont donc naturellement arrangés pour subvenir a "tous" leurs besoins. Le monde politique dans son ensemble est encore fortement empreint de misogynie, et il ne faut pas oublier que la prostitution touche toutes les couches de la société, y compris les plus élevées.
Le fait de se prostituer répond par ailleurs à certaines formes de construction psychologiques inévitables (chez l'homme comme chez la femme). Tout cela diminue avec le progrès social, en France on ne rencontre quasiment plus de prostitution traditionnelle. Il faut battre en brèche la croyance selon laquelle les prostituées limitent l'augmentation du nombre de viols. La prostituée fait référence à la notion de contrat tacite, le viol se base sur le non-consentement de la victime. C'est ça qui déclenche les pulsions et provoque le plaisir de l'agresseur.
Les formes de prostitutions sur Dijon
La prostitution traditionnelle, dans la rue, disparaît progressivement dans les années 90. Les droit de la femme, le VIH, la maîtrise de la sexualité des jeunes femmes, l'ouverture (école mixtes) et la rencontre entre jeunes (pour qui la première expérience, dans le cas des hommes, se résumait bien souvent aux prostituées à l'armée), la légalisation du porno,... sont parmi les facteurs qui ont abouti à cette disparition progressive. Les récentes lois sur le racolage ont terminé le travail.
La prostitution traditionnelle "franco/française" tend donc à disparaître. Elle concerne des professionnelles âgées en fin de "carrière". Il n'y a pas de renouvellement. On à surtout à faire à des cas périodiques, pour finir les fins de mois (femmes mariées, famille), ou en échange de services(plomberie, travaux...) par exemple.
De nouvelles formes de prostitution font néanmoins leur apparition avec les bars à hôtesses, internet, ou encore les numéros de téléphone sur les feux. Dans ce dernier cas, il s'agit bien de prostitution réelle (et non de téléphone rose) ; c'est une réseau de passes en hôtel avec des filles quasi-exclusivement camerounaises organisées en réseau. Les contres affiches que l'on trouve son réalisées par le CRI qui est un organisme de sensibilisation, dont le but est prioritairement de donner un écho politique à ces problèmes. On assiste aussi, ces dernières années à de nouveaux types de prostitution, notamment homosexuelle, transsexuelle et étudiante (voire lycéenne...).
Le développement de la prostitution de jeunes femmes étrangères
On a principalement affaire à des populations en provenance d'Afrique et des pays de l'est. Les individus d'origine chinoise et sud-américaine (transgenre dans les deux cas) se développent aussi mais pas sur Dijon. En ce qui concerne les pays de l'est, ce sont des organisations mafieuses qui font venir des filles en leur promettant un autre job (serveuse etc...).
Dans le cas de l' Afrique, les femmes sont tout à fait conscientes du but du voyage, les passeurs les menacent (leur famille) et les "maraboutisent". "Un rituel vaudou les ensorcèle, c'est encore plus efficace que des menaces. Il est très difficile ensuite d'inverser le processus". Elles viennent gagner de l argent pour leurs familles et pour rembourser leur passage (les passeur leur demandent régulièrement jusqu'à 3 ou 4 fois le prix de départ). L'organisation est faite sous forme de réseaux tentaculaires où certaines filles deviennent elles même maquerelles pour surveiller les autres.
Une forme de racisme se développe inévitablement entre les prostituées françaises et celles venant d'Afrique et des pays de l'Est .Cela crée des troubles au sein même des services. La préférence supposée pour les étrangères occasionne des problèmes de gestion dont on se passerait bien. Les traitements d'urgence sont néanmoins impératifs par rapport à d'autres populations car ils concernent des cas de maltraitances diverses. "Les filles sont menacées et torturées pour ne pas parler. Il faut savoir qu'elles ont préalablement été vendues, testées, revendues. Elles ont une cote en fonction du nombre de passes à leur actif, un peu comme une cote à l'argus pour les voitures si vous voulez".
Globalement, ce sont les populations africaines les plus présentent à Dijon, l'Est n'est pas visible.
Le recul de la rue
Le phénomène n'a plus la même visibilité, la mise en relation se fait par internet (site de rencontre déguisé ou pas) et par le bouche à oreille.
Les passes se font en périphérie de la ville, dans des hôtel en banlieue ou dans les villes connexes (Chenôve, Quetigny etc...) le long des grands axes principalement.
L'aide et les structure d'accueil sur Dijon
Le PAS est la seule structure habilité (le CRI communique mais ne propose rien de concret), en partenariat avec différentes structures sociales et de santé. Nous sommes partenaires d'un réseau d'hébergement. Notre service propose un accueil anonyme, sans condition d'arrêt de prostitution pour être pris en charge. Nous sommes souvent confrontés aux mêmes problèmes , dettes, santé, menaces, ou dispositions psychologiques particulières (une prostituée de 85 ans exerce toujours à Toulouse). Certaines ne peuvent pas arrêter, elle ne connaissent que ça, se posent la question des compétences, tout comme des gens qui exercent un métier depuis 30ans et qui devrait en changer.
Notre but est d'aider et d'accompagner pendant un bout de chemin les femmes qui en font la demande. Il n'y a pas d'obligation, de moralisation, d'interdiction, juste un peu de prévention et d'accompagnement dans la mesure du possible.
Pas de collaboration avec les services hospitalier et de police/gendarmerie...
On ne travaille pas avec l'hôpital ; c'est pour les malades ou les blessés, la femme doit avant tout se reconnaître comme prostituée (rare). La médecine préventive est, par contre, un partenaire efficace pour le cas des jeunes voire très jeunes femmes. Les services de polices ne se préoccupent pas de ce problème. Quand ils en rencontrent, c'est soit l'arrestation (racolage) soit l'expulsion (étrangère). Ces services sont souvent impliqués dans des enquêtes plus larges dont la volonté de démantèlement des réseaux dans leur globalité est prioritaire.
La police des mœurs s'occupe du débit de boisson à Dijon.
Une clientèle en quête d'identité ?...
Elle est et a toujours été de tout type, de tout milieu social, de toute CSP (catégorie socioprofessionnelle) confondus. Tous les goûts sont dans la nature, même si on assiste actuellement à un développement de la population transsexuelle, en réponse à une recherche des clients pour des personnes à la sexualité non définie.Enfin, l'activité de prostitution est régie par le même système économique que le reste, à savoir qu'un ouvrier n'aura pas forcément les moyens de se payer les services d'une "callgirl" à 2 000 euros la passe...
Le problème finalement, c'est que le citoyen français assimile la prostitution à un métier (sauf dans le cas de la traite). De fait, ce phénomène social est de plus en plus banalisé aujourd'hui. Dommage également que la prostitution soit globalement perçue comme un choix dans notre société, pour ce que nous pouvons en juger. Car elle ne l'est pas souvent."