
"Nombre de psychologues, de psychiatres, ont démontré qu'il n'y avait pas de relation entre célibat et pédophilie, mais beaucoup d'autres ont démontré, et m'ont dit récemment, qu'il y a une relation entre homosexualité et pédophilie." Cette phrase, prononcée le 12 avril 2010 par le numéro 2 du Vatican, le cardinal Tarcisio Bertone, a relancé une polémique récurrente : celle de l’homophobie présumée du Vatican. Si les associations de gays et lesbiennes ont logiquement crié au scandale, bon nombre d’homos sont désormais "vaccinés" contre de tels propos. Mais il en est certains pour qui cet épisode est sans doute plus difficile à vivre : les catho-gays, tiraillés entre une vie qu’ils n’ont pas choisie et la fidélité à une institution qui dénonce à longueur d’années leur orientation sexuelle. Témoignages auprès de CIGaLes, l'association dijonnaise de soutien aux gays...
Le repoussoir de l’institution catholique
C’est un jeudi comme les autres au local de CIGaLes, association gay et lesbienne dijonnaise qui organise toutes les semaines sa soirée apéro, ouverte à tous. Venu chacun avec un truc à grignoter ou à boire, les présents font connaissance pour certains, se racontent leur semaine pour les habitués des lieux. Des éclats de rire, des verres qui s’entrechoquent : on est à mille lieux du Vatican, du pape, de son premier lieutenant...
Mais lorsqu’on pose la question à l’un(e) ou l’autre, les réponses fusent, parfois cinglantes : "Moi je suis un bouffeur de curé. Je ne supporte aucune religion!" D’autres n’accordent pour leur part aucune espèce d’importance à tout ça : "Je ne vais pas commencer à m’en faire au sujet de ce que pense le pape. Qu’ils continuent à causer au Vatican : ils ne feront qu’aggraver l’image complètement dépassée de l’église." Une église qui ne semble donc pas en odeur de sainteté dans le temple du milieu gay dijonnais...
Être catho et gay, c’est possible
Pourtant, au fond de la salle, un homme voit le problème différemment. Philippe (*1) est en effet membre de l’association chrétienne David et Jonathan (*2), qui rassemble des homos "en recherche spirituelle", selon les termes employés par le mouvement, créé en 1972. "David et Jonathan cherche avant tout à confronter les expériences de chacun pour aider à réconcilier la foi et l’homosexualité. Nous étudions également les textes saints pour apporter notre réflexion car tout est une histoire d’interprétation."
Sur la position officielle de l’institution catholique, le constat de Philippe est amer : "L’église ne bouge pas, regrette-t-il. D’aussi loin que je me souvienne, il n’y a eu aucune évolution. En fait, le Vatican n’a pas vraiment de position réfléchie. Le sujet mériterait pourtant une vraie réflexion... Mais là, le niveau est au-dessous de tout. Et pour les jeunes croyants qui découvrent leur homosexualité, c’est une gifle."
Les paroisses bientôt gay-friendly ?
Alors comment vivre pleinement sa religion et son homosexualité ? Selon Philippe, il faut avant tout "montrer que nous sommes comme tout le monde, sans s’afficher outrageusement mais sans forcément cacher des choses et ni mentir aux gens."
C’est également l’opinion de Jacques, catholique pratiquant, qui a toutefois mis beaucoup de temps avant d’accepter son homosexualité. "Oui, sans doute que ma culture religieuse n’a pas facilité les choses et j’ai souvent demandé à Dieu pourquoi il en avait décidé ainsi, se souvient-il. Après avoir refoulé longtemps mon homosexualité, je suis passé par une période de remise en question de ma foi. Mais finalement, j’ai réussi à concilier les deux. Au fond, c’est un message d’amour que les croyants sont appelés à porter. L’orientation sexuelle n’a rien à voir là dedans." Il n’empêche que, les dimanches, la présence de Jacques s’est faite plus rare à la messe. "Faut-il y voir un lien ? Je n’en suis pas sûr... Vous savez, la communauté catholique est beaucoup plus ouverte à ces questions qu’on ne le pense en entendant les sorties polémiques de quelques cardinaux."
"J’ai eu une aventure avec un prêtre"
Au sein même du clergé, on peut supposer que l’homosexualité existe dans des proportions comparables au reste de la population, même si, théoriquement, la "pratique" y est beaucoup plus rare. Antoine n’est pas croyant mais il a vécu de près, au contact d’un prêtre, la souffrance de l’homosexualité contrariée par les règles religieuses. "Quand nous nous sommes rencontré, il était habillé en civil. Avant qu’il ne me parle de sa vocation, je l’avais trouvé charmant et nous avons sympathisé, explique cet homme d’une trentaine d’années. Puis nous nous sommes revus. Nous avons partagé un repas puis il m’a invité à boire le café chez lui. J’avais senti qu’il se passait quelque chose entre nous mais jamais je n’aurais pensé que cela irait plus loin qu’une conversation amicale !"
Et pourtant... "Nous nous sommes enlacés, nous nous sommes embrassés ; rien d’autre", précise Antoine qui a continué à venir rendre visite à cet ami particulier. "Mais rapidement j’ai senti qu’il vivait ça très mal, même si notre relation est toujours restée sage. Il parlait de possession. Il disait qu’il avait échoué à l’épreuve que Dieu lui avait fait passer. A un moment, j’ai vraiment eu peur pour lui. J’avais également beaucoup de peine." Finalement, l’histoire naissante s’est achevée en douceur : "Chacun est retourné à sa vie et nous n’avons plus jamais abordé le sujet. Au final, cette aventure ne m’a pas vraiment fait souffrir. Mais lui, comment vit-il après ça ? Je ne le sais pas."
C’est sans doute ça de se vouer tout entier à Dieu quand on est catholique. Jusqu’à ce que la règle change ? Peut-être, un jour...
*1 : Les prénoms des témoins de notre enquête ont été modifiés afin de respecter leur anonymat.
*2 : David et Jonathan sont deux personnages bibliques dont la relation est sujette à controverse, notamment à cause d’une phrase de David rapportée dans l’Ancien testament : « Ton amour pour moi était admirable, au-dessus de l'amour des femmes. » (2 Samuel 1 : 26)
