"Si les conclusions de l'expertise démontrent qu'il n'existe aucune trace ADN exploitable, nous seront prêts à admettre que ce sera la fin de cette histoire". Cette hypothèse de culpabilité de Christine et Jean-Marie Villemin, parents de Grégory, est déjà oubliée. L'ADN retrouvé sur la lettre du "corbeau" menaçant la famille Villemin, sur l'anorak de Grégory et sur 3 cordelettes liant la victime, a déjà commencé de parler...
"C'est une avancée"
Selon le procureur général de Dijon Jean-Marie Beney (citant les experts), c'est "un très bel ADN" qui a été identifié sur le timbre collé sur la lettre envoyée en 1985 par le fameux "corbeau". Jean-Marie Beney reconnaît néanmoins qu'il pourrait s'agir du profil génétique "du facteur, de la greffière ou du magistrat". "Même si ce n'est pas la solution miraculeuse, c'est une affaire où un enfant est mort, et on ne pouvait pas ne pas faire quelque chose", ajoute le procureur. La priorité, selon lui, est désormais de faire des investigations précises et coordonnées, éventuellement en plaçant l'ADN en question dans le Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques (FNAEG).
Procéder par élimination
Le doute est le même quant à l'ADN trouvé sur les cordelettes ligotant l'enfant : le procureur général rappelle d'ailleurs que si ces empreintes génétiques (masculine et féminine) peuvent être celles du (ou des) criminel(s), il peut également s'agir de celles des secouristes, ou des experts intervenus ensuite. La première démarche est donc de comparer cette empreinte génétique avec celles des principaux protagonistes, à commencer par les parents de Grégory. Dans ce cas, c'est clair : l'ADN n'est pas celui de Christine, ni de Jean-Marie Villemin. Réaction immédiate de leurs avocats : selon eux, "cette expertise montre le caractère abject de la théorie développée en son temps par certains enquêteurs qui avait abouti à l'inculpation le 5 juillet 1985 de Mme Villemin". Théorie reprise et confirmée par la presse de l'époque.
Plus de doute sur la filiation
Selon le procureur général, sur un poignet de l'anorak (que portait Grégory quand il a été découvert dans la Vologne), a été mis en évidence un profil ADN "très exploitable", permettant de confirmer que Grégory est bien l'enfant de Christine et Jean-Marie Villemin. Le point semble secondaire, mais à plusieurs reprises, certains médias avaient émis l'idée qu'un imbroglio sur ce point pourrait être le mobile du crime.
Une des énigmes les plus médiatisées de l'après-guerre
Néanmoins, cette hypothèse, avancée comme une vérité, n'en était qu'une parmi de nombreuses autres. La presse a en effet joué un rôle de premier plan tout au long de l'affaire Grégory. Dans cette ère médiatique désormais "moderne" des années 1980, le Monde qualifiera le dossier de "véritable cyclone judiciaire et médiatique". Le procureur général de Dijon fait lui-même allusion à cette charge médiatique permanente : "vu tout ce qui est dit dans cette affaire depuis 25 ans, il est important d'exploiter ce nouveau support qu'est l'ADN"... pour reprendre des recherches sérieuses. Violations du secret de l'instruction et de la vie privée, partis-pris des médias : face aux carences de l'enquête, la presse n'a pas toujours hésité à "charger", s'employant d'abord à "broyer" Bernard Laroche, cousin germain et suspect idéal, puis Christine Villemin, présentée comme la mère infanticide, le "monstre de la Vologne". Même si les médias ont massivement présenté leurs excuses à la famille Villemin, les plaies semblent toujours ouvertes, un quart de siècle plus tard, à Lépanges-Sur-Vologne : ce 22 octobre 2009, des habitants du village déclarent sur RTL "qu'ils souhaitent avant tout retrouver la paix".
De Lépanges-sur-Vologne à... Dijon
Comment une affaire s'étant déroulée dans un village vosgien peut-elle voir son destin joué à Dijon? Tout d'abord, dans une configuration que certains comparent à l'affaire d'Outreau, l'instruction est confiée au jeune juge vosgien Lambert, âgé à l'époque de 31 ans, et tout juste en poste. Indécision, inexpérience, proximité avec les médias... à tort ou à raison, les griefs à son encontre ne manqueront pas, y compris de la part de certains de ses pairs, qui le qualifieront de "mémorable funambule de la pensée". La presse n'est pas en reste, et le traite de "petit juge", de "juge le plus haï de France". Il faut dire que Jean-Michel Lambert refusera d'assurer la protection de Bernard Laroche (cousin de Jean Marie Villemin, que ce dernier avait assuré vouloir tuer); quelques semaines après sa libération, Laroche sera abattu par Jean-Marie Villemin. Par ailleurs, sous l'influence (prétendue) du SRPJ de Nancy (service régional de police judiciaire), le juge d'instruction inculpe Christine Villemin d’assassinat, et l'emprisonne, contre l'avis même du parquet, sur la seule base de quelques indices. Elle devra attendre le 3 février 1993 pour obtenir un non-lieu... Fin du premier acte : devant le scandale grandissant, Jean-Michel Lambert est finalement dessaisi mais c'est toujours en Lorraine que l'affaire est instruite. C'est dans ce contexte que fin 1986, la Cour d'appel de Nancy ordonne le renvoi de Christine Villemin devant la Cour d’assises, sans complément d’information. Le 17 mars 1987, la Cour de cassation casse et annule cet arrêt de renvoi : l'affaire est désormais confiée au juge Maurice Simon, président de la cour d’appel de Dijon...
Ainsi l'affaire Grégory prend un nouveau tournant, même si on ignore si une concordance génétique sera un jour réalisée, et, surtout, si ces traces d'ADN n'appartiennent pas simplement aux intervenants techniques ou judicaires ayant manipulé le corps. Il faut néanmoins faire vite : l'affaire sera prescrite le 11 avril 2011...