Ils ne se connaissent pas, n’ont pas le même âge et œuvrent dans des services différents. Leur point commun ? Travailler à France Telecom section Nord-Est et vivre actuellement le malaise de la société. Pour dijOnscOpe, ils témoignent de leur quotidien et dressent un bilan assez sombre de la situation, révélateur d'un malaise social qui va peut-être au-delà de leur entreprise. Néanmoins, tous ont espoir en ce questionnaire de la Direction : il ets peut-être leur dernière chance d'exprimer douleur et doléances...
« Il faut « dépanner » le client dans sa tête mais pas réellement car cela coûte cher »
Alexis* travaille depuis 5 ans dans une unité d’appels téléphoniques de France Télécom.
"J’aide les clients à régler leur problème de ligne internet. Depuis mon arrivée, j’ai vu comment ont évolué les choses et à quel point elles se sont détériorées. Cela fait trois ans que de nombreux techniciens sont sans cesse supprimés. Des boites privées font le travail à leur place. Du coup, c’est mal fait.
Au quotidien, nous avons des statistiques à remplir, des exigences. Tous les mois, des supérieurs viennent nous voir et nous devons rendre des comptes. Certaines choses me choquent. Il nous a été dit que le plus important était de « dépanner le client dans sa tête » et non réellement. Cela veut dire qu’en cas de souci, le client n’est vraiment pas sûr d’obtenir un service correct ! On ne choisit pas la meilleure solution mais la moins coûteuse. Le nombre d’interventions est limité car cela coûte cher. Ce qui prime ce sont les chiffres. Tout ce que nous pouvons proposer à nos supérieurs pour améliorer les choses, ils s’en fichent.
Quand je suis arrivé à France Télécom, la formation était de 15 jours. Aujourd’hui, mes nouveaux collègues ne sont pas formés car cela prend du temps et coûte de l’argent. Il est vrai toutefois que le travail est plus simple qu’auparavant et demande moins de personnel qualifié. Bientôt notre service téléphonique sera automatisé. Notre nombre devrait baisser de moitié dans les prochains mois. France Télécom préfère faire appel à des boites sous traitantes car cela est bien plus rentable. Le problème c’est que le travail est beaucoup moins bien fait.
Le questionnaire reçu dernièrement, je ne sais pas quoi en penser. Comme la majorité de mes collègues, je vais sans doute le remplir pendant mon temps de travail."
« Notre chef nous disait sans cesse qu’on était nuls et qu’on ne servait à rien »
Jean* se sent constamment sous pression à France Télécom.
"Nous avons trop de travail. Tout ça parce que depuis trois ans, énormément de postes ont été supprimés. Dès qu’on nous demande quelque chose, c’est par mail : les contacts humains n’existent plus. Toutes les semaines, nous avons un brief avec notre « boss ». Mais le nombre de cadres a beaucoup diminué ; du coup, il est lui aussi surchargé de travail et peu à l’écoute. Ce n’est vraiment pas simple.
J’ai déjà envisagé de changer de travail. Mon ancien chef était une sorte de « nettoyeur » ; pour lui, les personnes étaient des chiffres. Il nous disait sans cesse qu’on était nuls, qu’on ne servait à rien. A cette période-là, c’était vraiment difficile.
Notre président dit qu’il ne fait plus de mutations. Pourtant, encore la semaine dernière, un de mes collègues a dû changer de lieu de travail pour exercer à un poste qui ne correspond pas à ses compétences. Il n’était pas au courant et a été averti à la dernière minute. Les gens sont déplacés n’importe où et n’importe quand. L’ambiance est mauvaise, il faut vraiment faire quelque chose.
On sent que depuis peu, les chefs ont été « boostés ». Pour la première fois, la semaine dernière, mon chef m’a appelé par mon prénom..."
« La révolte se construit : c’est tout ce qu’ils auront gagné ! »
Paul* travaille dans un service technique.
"Pour calmer les choses, on nous dit qu’il y aura 1 000 embauches prochaines mais ce seront des CDD, des jeunes qui vont travailler dans les centres d’appel ou des boutiques. Il existe désormais de nombreux services où l’on embauche plus. La moyenne d’âge y est de 50 ans. Il s’agit des services techniques, de production etc.
A chaque interrogation des employés, les patrons éludent. Quand on parle des problèmes à la Direction, on est dans le déni : c’est toujours de notre faute. En quelques mois, il s’est formé un sentiment de malaise car nous avons l'impression de ne jamais être écoutés. Le travail est trop important, et nous ne sommes pas assez nombreux pour tout faire.
En deux ans, dans mon service, notre nombre a diminué de moitié. Nous sommes moins nombreux mais devons intervenir sur un périmètre plus large. Du coup, on est « largués ». Nous avons trop de travail et des délais impossibles à tenir. On est pris pour des fainéants, mais la réalité c’est qu’on est largement dépassés par ce qu’on nous demande. Tous les jours, ils en veulent plus, c’est abominable !
Pleins de choses ne vont pas. Les salaires baissent, beaucoup d’emplois ont été supprimés et il existe une pression pour que les gens partent avant 60 ans. On fait des choses qu’on estime normalement ne pas devoir faire. Seulement les personnes en charge de ce travail ne sont plus là pour le faire...
Ils ont supprimé tellement d’agents qu’au centre d’appel, on retrouve des cadres et des personnes sans aucune qualification qui font le même travail. On ne respecte plus l’échelle des conventions hiérarchiques. Il y a sans cesse des objectifs de résultat qu’il faut gagner à tout prix. Depuis plusieurs années, les salaires n’ont pas augmenté. Au bout de 20 ans de carrière, ils n’évoluent plus. Depuis quelques temps, les nouveaux chefs ont une vision très chiffrée, « power point ». Je trouve qu’il y a moins de respect de leur part. Ils nous disent que c’est pour nous booster. La communication est seulement axée sur les résultats. Je pense qu’il y a une montée en puissance de la révolte.
Malgré tout, je ne comprends pas qu’il y ait autant de suicides. Je pense que c'est en parti lié à la relocalisation. Tous les personnels des petits sites comme Montbard ou Saulieu par exemple, sont relocalisés dans des grandes villes. On peut changer de service du jour au lendemain. J’ai une collègue qui a dû changer de branche. Elle fait désormais un métier technique très complexe et n’a reçu que 15 jours de formation ; en un mois, elle a perdu 8 kilos et est constamment sur les nerfs.
Lors de la tentative de suicide de la semaine dernière, [Une conseillère clientèle de France Télécom travaillant dans une agence entreprise à Dijon a tenté de mettre fin à ses jours vendredi 16 octobre], nous nous sommes tous réunis pour une minute de silence. La révolte se construit, c’est tout ce qu’ils auront gagné !
Je pense que les réponses du questionnaire seront intéressantes. Elles vont permettre d’avoir des indicateurs de ressenti et servir aux partenaires sociaux."
* Les noms ont été modifiés par respect pour le souhait d'anonymat des personnes interrogées.