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Dijon / Bourgogne

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Billet de blog 23 octobre 2009

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Les entrepreneurs recrutent à la maison d'arrêt de Dijon

Si le taux de chômage est élevé en France, il l'est encore plus dans les prisons... A la Maison d'arrêt de Dijon, sur 60 % de détenus qui souhaitent travailler, 35 % n'accèdent pas à un emploi.

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Si le taux de chômage est élevé en France, il l'est encore plus dans les prisons... A la Maison d'arrêt de Dijon, sur 60 % de détenus qui souhaitent travailler, 35 % n'accèdent pas à un emploi. Pour eux, pas de Pôle Emploi mais la possibilité de travailler pour des entreprises spécialisées dans l'emballage et le conditionnement. Pour attirer ces dernières, une opération promotion était organisée ce jeudi 22 octobre en présence du directeur des lieux. Suivez le guide...

3,90 euros net de l'heure... au minimum


"L'administration pénitentiaire n'a aucun intérêt financier à faire travailler les détenus", assure Laurent Lacomme, chef de la section travail et emploi à la Direction inter-régionale des services pénitentiaires du Centre-Est. Au contraire, son but serait de faciliter leur réinsertion sociale à leur sortie. Car même si la Maison d'arrêt de Dijon ne compte dans ses cellules que des détenus condamnés à moins d'un an d'emprisonnement ou des personnes en détention provisoire, le directeur de l'établissement estime qu'il ne leur faut pas perdre pied avec le monde du travail. D'autre part, l'emploi à mi-temps qui leur est proposé leur fournit un revenu qui leur permet d'indemniser les victimes ou encore de se payer leur "cantine", soit des cigarettes et autres petits plaisirs. Pas de quoi faire fortune, c'est certain : le salaire minimum est de 3,90 euros net de l'heure. Payés à la tâche, certains arrivent néanmoins à se faire des salaires corrects, de l'ordre d'un Smic. "Ce coût intéressant pour les entreprises doit être respecté, explique Jean-Philippe Champion, directeur de la Maison d'arrêt de Dijon. Nous avons des concurrents, tels les entreprises d'insertion ou les Établissements et services d'aide par le travail (Esat). Payer plus cher serait la mort du travail pénal".

Des portes, des couloirs, des portes...


Ce matin-là, une dizaine de chefs d'entreprise sont invités à visiter les ateliers où travaillent les détenus. L'initiative est celle du Cepiec, une association qui regroupe les industriels de l'emballage et du conditionnement de Bourgogne. Telle une délégation commerciale dans une usine en pleine communication de vente-marketing, les entrepreneurs suivent le cortège. Sauf qu'ici, tout est beaucoup plus long et surtout bien différent d'un site ouvrier lambda. A chaque sas, il faut attendre que la porte de derrière se referme pour ouvrir celle de devant. De longs couloirs sont traversés. "L'œil" de l'établissement également, où figure au centre des écrans de contrôle. La pièce est surplombée par un grand filet à trois mètres du sol. Il sert à prévenir les "chutes" potentielles, les suicides autrement dit explique un gardien. Le cortège avance dans un autre interminable couloir. Celui-ci mène aux ateliers des hommes. Au milieu, un portique de contrôle veille à ce que les détenus ne ramènent aucun objet de leur lieu de travail... "C'est pour éviter les vols", précise E. Vincent, responsable local du travail. Ce dernier ouvre une nouvelle porte, qui donne sur l'atelier de production de 300 m2 cette fois. Une quinzaine de détenus sont en train de travailler. Aujourd'hui, ils collent des étiquettes sur des emballages Urgo.

Développer l'attractivité du lieu


Pliage de carton, tri de joints industriels, conditionnement de perles en tubes, mise de boutons sur plaquettes... Les travailleurs s'adaptent. "Nous apprenons comment faire au sein de la société qui embauche et on leur fait une petite formation après", expose Jean-François Chignard, responsable de l'atelier pour la société Stal. Cette dernière a décroché le contrat de concessionnaire du site en 2008. Elle s'est engagée auprès de l'administration pénitentiaire à développer les activités de production dans les maisons d'arrêt de Vesoul, Montbéliard, Belfort, Lure et Dijon. Si, à ce jour, quatre entreprises donnent du travail aux détenus dijonnais, la société Stal veut en attirer de nouvelles. En effet, l'atelier ne fonctionne pas à plein régime : travaillant de 7h15 à 11h15, les "ouvriers" ne pointent que le matin faute de travail donné. La cinquantaine de postes opérateurs n'est pas utilisée, sans compter le potentiel de l'atelier du secteur des femmes, plus ou moins à l'abandon. Outre le faible coût de la main d'œuvre, la cadence de production est mise en avant. Payé à la tâche, le détenu a en effet tout intérêt à avoir un rythme de travail soutenu... Les entrepreneurs semblent convaincus, même si les possibilités de production sont faibles.

Ni grève ni congés payés


Sans compter qu'ici, le risque de grève ou de kidnapping de PDG est nul : les prisonniers n'ont pas de contrat de travail. "Cela voudrait dire sinon qu'il faudrait un syndicat, un CE ou même des congés payés... Il n'y a pas de revendications sociales en prison", avance Laurent Lacomme. C'est un contrat d'engagement qui lie la société à son employé et inversement. Pour postuler, le détenu passe devant une commission pluridisciplinaire qui prend en compte plusieurs critères : tout d'abord, les capacités de la personne selon son curriculum vitae. "Nos premiers critères sont professionnels, précise Laurent Lacomme. Mais on privilégie les personnes indigentes, c'est à dire sans revenu, car cela est générateur de nombreuses difficultés. Enfin, le profil en tant que détenu compte énormément : les personnes à l'aspect suicidaire sont mieux à travailler plutôt qu'à broyer du noir dans leur cellule... Mais on ne fait pas non plus du social".

Une détenue "baratine" le Directeur...


Le cortège part à la découverte de l'atelier déserté des femmes. Sur la route, certaines détenues sont en promenade et font "coucou" aux visiteurs en costume. "Hé, monsieur le directeur, vous êtes mignon !", lance l'une d'entre elles... "Les femmes en détention sont très différentes des hommes. Ici, elles sont moins de trente alors que les hommes sont plus de 200, mais ça ne les rend pas moins difficiles à gérer", affirme Jean-Philippe Champion. Et d'ajouter : "Pour éviter les plaintes d'abus sexuels, tous les hommes qui entrent dans le quartier des femmes font acte de leur présence sur un carnet. Ainsi, on peut mieux vérifier les passages... Même moi je me plie à la règle". Les entrepreneurs continuent leur chemin. Le parcours se termine sur la visite d'une cellule. "Ah oui, c'est petit quand même", relève l'un d'entre eux. Un autre à son voisin : "J'ai entendu que les portes étaient basses pour mettre le prisonnier dans une position de soumission quand il en sort. Tu crois qu'on fait toujours la même chose dans les prisons modernes ?".

En dehors du groupe en visite, le large hall sur lequel donne la cellule semble vide. En apparence seulement. Car derrière l'une des nombreuses autres portes métalliques, fermées celles-ci, un air de rap parvient à s'échapper...


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