Plus tard, si le vent tourne à leur avantage, les défenseurs du dispositif "Envie d'agir" se souviendront de cette journée de résistance du mardi 12 octobre 2010, qui s'est déroulée à Dijon : le jour où le combat a réellement commencé ! Une conférence de presse était en effet organisée pour dénoncer la suspension - perçue comme une suppression, du programme d'État "Envie d'agir", qui existe pourtant depuis un quart de siècle : plusieurs élus de gauche, notamment Thomas Scuderi, adjoint au maire de Metz, Laurent Grandguillaume, adjoint au maire de Dijon, et Nisrine Zaïbi, vice-présidente du conseil régional de Bourgogne, se sont rassemblés pour ne pas laisser le dispositif "disparaître dans le silence". Pétition, groupe facebook, livre d'or adressé aux parlementaires... et même lobbying auprès d'artistes connus : voici quelques éléments sur le plan d'actions imaginé pour sauver une mesure, dont votre journal en ligne régional préféré a eu la chance de bénéficier en 2009....
1.900 projets soutenus en 2009... dont celui de dijOnscOpe!
"Le concours Défi jeunes n'a pas conditionné la création de dijOnscOpe puisque j'avais déjà lancé l'entreprise quand je suis devenue lauréate à l'automne 2009, raconte Sabine Torres, fondatrice et directrice de dijOnscOpe. Mais les avantages ont été énormes : j'ai fait une rencontre déterminante avec mon parrain, qui a choisi de m'encourager et qui m'accompagne depuis avec une bienveillance, un professionnalisme et une foi inégalée. Et bien sûr, l'apport de fond était très intéressant puisque j'ai obtenu le maximum : 6.000 euros considérés comme de l'apport en fonds propres, non remboursables. Enfin, il ne faut pas oublier l'impact de l'image positive de l'entreprise lauréate, d'autant plus que dijOnscOpe a également obtenu la mention "Coup de cœur du jury".
Voilà résumé en quelques lignes l'esprit du dispositif Défi jeunes, qui fait partie d'Envie d'agir. Ce dernier est "un programme national de soutien aux initiatives des jeunes", informe le site qui lui est dédié : "Ce programme du ministère de la Jeunesse et des solidarités actives, soutenu par le Crédit agricole, encourage, soutient et valorise la capacité d’initiative des jeunes de 11 à 30 ans, dans tous les domaines : de la solidarité internationale ou de proximité, l’animation sociale et culturelle, le développement durable à la création d’entreprise... Il fédère ainsi deux dispositifs complémentaires pour aider les jeunes à passer de l’idée au projet et répondre à la diversité de leurs besoins". Le premier est Projets jeunes : "Dispositif départemental qui s’adresse aux 11-30 ans, et soutient les premiers projets, individuels ou collectifs, présentant un caractère d’intérêt général, d’utilité sociale, d’animation locale... La bourse peut atteindre 1.000 euros". Le second dispositif est donc Défi jeunes : "Dispositif régional destiné aux 18-30 ans, qui vise à aider tous les projets qui présentent un caractère de défi personnel ou professionnalisant et qui ont un impact sur le projet de vie des jeunes. La bourse peut atteindre 6.000 euros".
En 2009, plus de 1.990 projets ont été soutenus, avec 3,6 millions d’euros consacrés au financement du programme par le ministère chargé de la jeunesse, 4,16 millions d’euros de soutiens financiers et matériels trouvés par les jeunes au plan local, 8.540 jeunes bénéficiaires directs, 11% de jeunes lauréats ayant moins de 18 ans , 47% de jeunes femmes chefs de projets, 43% des projets ayant une finalité professionnelle dont 361 créations d’activité économique. Des résultats qui semblent satisfaisants et qui, pourtant, seront peut-être balayés demain...
Suspension ou suppression ?
"Les prémices d'Envie d'agir remontent à 1986 officiellement : c'est l'un des dispositifs les plus vieux en matière de jeunesse !", fait remarquer Thomas Scuderi, adjoint au maire de Metz (Moselle) en charge de la Jeunesse et ancien lauréat Envie d'agir. Mais le quart de siècle du programme pourrait bel et bien en rester là : selon l'élu, "le 12 août 2010, alors même que le ministre en charge de la Jeunesse, Marc-Philippe Daubresse, inaugurait l'année internationale de la Jeunesse proclamée par l'ONU, il signait une circulaire ministérielle non divulguée mais envoyée dans tous les services déconcentrés de l'Etat pour annoncer la suspension prochaine du dispositif Envie d'agir. La circulaire annonce cette suspension pour le 1er janvier 2011 mais précise en plus que le jury national 2010, qui désigne les lauréats des plus beaux projets, est annulé". Et d'ajouter : "A titre gouvernemental, lorsqu'on parle de suspension, il s'agit bien souvent de suppression !".
Le ministère de la Jeunesse n'a pas pris le temps de répondre à nos questions sur cette éventuelle suspension du dispositif mais plusieurs éléments éclairent néanmoins la situation. Pour commencer, le ministre lui-même, en visite à Beaune le 13 septembre 2010 afin de débattre du RSA Jeunes, avait fait une petite déclaration à ce sujet, repris dans l'un de nos articles : "Pourquoi le dispositif Envie d'agir, qui permet de débloquer des fonds étatiques pour soutenir le projet d'un jeune, est amené à disparaître à l'horizon 2011 ?", demande Marie, étudiante en BTS Tourisme. "Je vois parfaitement de quelle source vous tirez cette information", note Marc-Philippe Daubresse, en référence à la page Facebook intitulée Sauvons Envie d'agir... "Il n'est pas question de supprimer ce dispositif mais simplement de lui donner une autre forme, à laquelle nous sommes en train de réfléchir" (Lire ici notre article). En attendant de trouver cette "autre forme", le ministère développe surtout un autre dispositif : le service civique.
Service civique: le challenger
Ce nouveau dispositif est-il en train de prendre toute la place de la politique jeunesse en France ? C'est en tout cas ce que redoutent les élus réunis le 12 octobre. Il faut dire que le dossier de presse relatif au budget 2011 du ministère va dans ce sens : pas une ligne n'évoque les termes d'Envie d'agir, Défi jeunes ou encore Flaij... En revanche, le dossier de presse évoque largement un "zoom sur le service civique, qui connaît un fort développement en 2010, et poursuivra sa progression de manière soutenue. La loi instituant le service civique est entrée en vigueur le 12 mai 2010, avec l’installation de l’Agence du service civique".
Le Projet de loi de finances 2011 (PLF) présente ainsi deux budgets distincts pour le ministère de la Jeunesse, dont celui relatif à la jeunesse, la vie associative et l'éducation populaire. Pour 2011, "le montant total des crédits consacrés au soutien des initiatives des jeunes est de 111 millions d’euros, en hausse de 67%". Les actions du ministère en matière de soutien aux initiatives des jeunes regrouperont notamment "les crédits destinés à la montée en puissance du service civique, qui permettent de rémunérer les jeunes volontaires" : soit 97 millions d'euros en 2011 (sur 111 millions des crédits consacrés au soutien des initiatives des jeunes), puis 134 millions d'euros prévus pour 2012!
Côté communication du dispositif, même constat : le service civique est particulièrement mis en avant. Quinze jours après la visite du ministre à Dijon, une journée de communication sur le service civique était en effet organisée par la préfecture de Côte-d'Or, le 28 septembre 2010 : "Le service civique a été créé pour répondre au désir d’engagement de la jeunesse et aux besoins exprimés par la société. Il permet à tous ceux qui le souhaitent de s’engager pour une durée déterminée dans une mission au service de la collectivité et de l’intérêt général", indiquait le communiqué de presse relatif à l'événement (Lire ici notre article).
Envie d'agir: l'ousider...
Concrètement, le service civique est basé sur le volontariat et permet à toute personne âgée de plus de 16 ans d’œuvrer pour la collectivité dans le domaine de son choix : développement international et action humanitaire, solidarité, environnement, culture et sports, interventions d’urgence en cas de crise, etc. Pour cette mission d'intérêt général d'une durée de six mois à un an, le volontaire bénéficie d'une indemnité de 440 euros par mois financée par l'Etat... Le service civique n'a clairement rien à voir avec Envie d'agir et il est difficile de l'imaginer en "remplaçant".
Selon le communiqué de presse de la préfecture, cet après-midi de découverte a rempli son objectif "de promouvoir le service civique, auprès des volontaires et des structures susceptibles de les accueillir"... Et la communication fonctionne : au 25 septembre 2010, il était comptabilisé "plus de 6.100 missions agrées au plan national, 3.500 volontaires recrutés et 10.500 jeunes inscrits sur le site web pour demander des missions. A terme, le service civique a vocation à couvrir 10% d’une classe d’âge" (Consulter le dossier de presse du ministère de la Jeunesse ici).
La résistance s'organise...
Voyant la suppression d'Envie d'agir en cours, certains ont néanmoins "Envie de résister"... C'est notamment le cas à l'Est et la conférence organisée dans la capitale des Ducs pourrait bien être le point de départ d'une campagne pro-Envie d'agir : "A Dijon, nous avons lancé une pétition pour laquelle nous avons d'ores et déjà réuni 1.300 signatures. Nous irons les apporter à monsieur le Préfet pour montrer que les jeunes sont mobilisés", a annoncé Laurent Grandguillaume, adjoint à la Jeunesse à la ville de Dijon (Lire ici la pétition). Ce dernier a par ailleurs excusé Najat Vallaud Belkacem, adjointe au maire de Lyon, pour son absence : "Elle s'excuse de ne pas pouvoir être là mais elle nous a adressé une vidéo qui montre qu'à Lyon aussi, ils se mobilisent" (Consulter ici la vidéo).
Quant au plus actif défenseur du programme, Thomas Scuderi, il raconte "qu'au départ, les gens n'y croyaient pas... Via mon site, j'ai fait un appel à contribution en demandant aux gens qui veulent sauver le dispositif de dire pourquoi Envie d'agir est essentiel. J'ai reçu plus de 150 réactions et j'ai réalisé un livre d'or qu'on a appelé 100 contributions pour sauver Envie d'agir. Une phrase à mon sens résume très bien l'ensemble du livre : "Je crois en cette jeunesse qui ne demande qu'un coup de pouce pour changer le monde" (Madjid Yahiaoui de Paris).
Ratisser large
"J'ai par ailleurs fait parvenir ce livret au ministre de la Jeunesse, au Premier ministre et au président de la République... J'attends toujours leur retour. Seul François Fillon m'a répondu, le 16 septembre, qu'il entendait bien les préoccupations et qu'il porterait beaucoup d'attention à tout ça mais que c'était bien monsieur Daubresse qui allait suivre ce dossier... Sur l'ensemble des parlementaires de ma région (Lorraine) que j'ai interpellés, j'ai reçu une dizaine de courriers d'élus de tous bords : UMP, PS, Modem... Je crois qu'il s'agit vraiment d'un combat républicain. Il faut d'ailleurs se rappeler que ce dispositif a existé sous des majorités de droite et des majorités de gauche, qui l'ont tour à tour soutenu et développé. Ce n'est donc pas une question de gauche contre la droite. Nous ne devons pas tomber dans la politisation. Tout cela va se jouer à l'Assemblée nationale et au Sénat, au moment du vote du budget 2011. C'est pour cela qu'il faut mobiliser tous les élus".
Localement, le sénateur-maire de Dijon se serait engagé selon Laurent Grandguillaume : "Nous étions juste avant avec François Rebsamen, qui va saisir le gouvernement sur cette question au Sénat". Quant à François Patriat, président du conseil régional de Bourgogne et sénateur de Côte-d'Or, il serait l'un des rares élus "au courant" de la situation selon Nisrine Zaïbi, vice-présidente des questions jeunesse au conseil régional de Bourgogne : "C'est vrai que beaucoup d'élus ne savent pas ce qu'il est en train de se passer ; il faut donc communiquer. Au conseil régional de Bourgogne, nous allons voter un voeu lors de la session plénière du 18 octobre 2010, concernant cette suspension du dispositif".
Plan de communication et argumentation en construction
Communiquer est donc le maître-mot. A ce jour, 2.325 personnes sont d'ores et déjà membres du groupe "Sauvons Envie d'agir" initié par l'élu de Metz. Mais pour nationaliser la campagne, Cédric Tarteret, directeur général de l'agence de communication et d'événementiels Dans ta face promotion, a une autre idée que le simple groupe facebook : "J'ai beaucoup réfléchi ces derniers jours et je me suis permis de contacter un certain nombre d'artistes. Qu'ils soient connus ou non, ils ont forcément tous été sur des festivals, concerts et scènes qui ont été aidés par Envie d'agir... J'ai donc contacté des artistes comme Soprano, Kenza Farah, Tunisiano, Diam's et d'autres, un peu moins connus. La plupart m'ont déjà répondu ou m'ont appelé. J'ai vu Tunisiano et d'autres artistes qui sont prêts à faire des vidéos pour soutenir le projet, prêts à s'investir médiatiquement et à faire des émissions de télé pour en parler. Je pense à Laurent Ruquier ou encore à un journaliste de RMC qui s'est déjà montré intéressé.... Je pense qu'il faut aller sur l'échelle nationale pour communiquer".
Dans tous les cas, Thomas Scuderi se veut optimiste : "Je crois qu'il est difficile de supprimer un tel dispositif qui a passé toutes les majorités gouvernementales. C'est le seul dispositif qui reconnait les jeunes dans ce qu'ils sont et dans ce qu'ils font, qui les accompagne dans leurs propres initiatives. On ne peut pas imaginer meilleur dispositif pour pousser les jeunes à prendre leur place dans la société. Dans notre monde complexe, Envie d'agir est une véritable bouffée d'oxygène. Le meilleur moyen d'une possible prise d'autonomie pour un jeune, et bien c'est de monter soi-même son propre projet, d'être acteur finalement de sa vie. L'État ne peut pas du jour au lendemain dire qu'il ne reconnaît plus l'initiative des jeunes... Il faut être optimiste, le dispositif n'est pas encore enterré".