
Le scénario était parfaitement rodé ; le tournage a révélé les talents de chacun. Peu d'anicroches donc durant la seule et unique version dijonnaise du débat sur l'identité nationale, qui s'est tenue mercredi 16 décembre à la Préfecture de Côte d’or. Même dijOnscOpe n'a pu relever de fausse note dans cette mise en scène digne des plus belles cérémonies officielles…si ce n’est qu’en toute bonne logique, nous étions conviés à un débat. Enfin nous, pas vous.
Le synospis : Tourner rapidement.
"L'identité nationale définit la communauté nationale - Quelle place pour la communauté nationale dans la France de 2010 ?" C'est sur cette problématique, très "nationo-nationale", que le Préfet de la région Bourgogne a choisi de convier une assemblée triée sur le volet, histoire de débattre sur le thème très controversé de l'identité nationale. Le déroulé du débat local a été minutieusement orchestré : 17h : accueil ; 17h10 : première partie sur les fondements conceptuels de la nation, animée par des professeurs émérites ; 18h : seconde partie sur les éléments de comparaison avec le Maroc, l'Espagne, la Belgique et les États-Unis, présentée notamment par des consuls et autres vices-consuls. Ponctué d'échanges avec la salle, ce débat sur l’histoire, les valeurs et l’éducation françaises doit déboucher en moins de deux heures sur un cocktail, ce qui n’est pas une mince affaire pour le réalisateur. Y parviendra-t-il ?
Sur le plateau : Faites tourner la veste
Remarquablement consensuels, les intervenants ont bluffé (et perdu) leur auditoire en cours de tournage mais qu’importe, puisqu’ils ont tenu leur rôle : incarner l’histoire lumineuse de la France, son ancrage noble, son éducation édifiante (sic). Quant aux intervenants étrangers, ils ont encensé la France, disserté sur leur pays d’origine, remercié abondamment la Préfecture. A croire que la polémique ne saurait passer par Dijon, où tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
Ainsi les choses semblent claires et simples a priori, à l’image de l’intervention du député Bernard Depierre, qui donne le clap de départ avec une proposition choc : inscrire sur le fronton des mairies "Laïcité, sécurité" aux côtés de la devise trine "Liberté, égalité, fraternité". Quiproquo délibéré de la part du scénariste ? Car il distribue ensuite avec parcimonie les clés de ce débat labyrinthique : légende troyenne, philosophie des Lumières, autorité royale, "jus soli" (ndlr : latin, droit du sol), "jus sanguinis" (ndlr : latin, droit du sang), code napoléonien, conseil d’Etat, État-nation, etc. La leçon est magistrale ; le public est momifié.
Les visages reprennent légèrement vie quand la Préfecture annonce l’intervention d’invités étrangers venus échanger sur l’identité nationale de leurs pays respectifs. La prise 1 n’est pas du goût de la Préfecture, l’invité américain ayant choisi de s’éloigner de son script convivial et convenu au profit d’une digression plus impertinente : "Je suis inquiet ; comment va se terminer ce débat ? demande Alex Miles. Je n’ai qu’une chose à dire : relisez "Race et Histoire" de Lévi-Strauss, un exemple de tolérance." "Un témoignage qui décoiffe", selon l’assistante du Préfet ; heureusement que le public est acquis. Prise 2 : les représentants consulaires rejouent la scène mais nous faisons un tour en coulisses...
En coulisses : prière de tourner en rond
La tension est plus palpable tandis que nous nous aventurons en coulisses, certains invités appréciant peu la mise en scène de la Préfecture. Ainsi les représentants de la MJC Dijon Grésilles, venus à quatre par intérêt pour cette soirée : « Mais où est le débat ? Ce n’est qu’une conférence entre personnes diffusant leurs idéologies ! En quoi représentent-ils tous à quelques uns le peuple français ? On n’entend que de la théorie ou des témoignages personnels : ils sont tous déconnectés de la réalité ! »
Du côté de la scène, le tournage continue avec le consul honoraire du Royaume de la Belgique, Jean-Claude Rizzi, qui s’enflamme devant la beauté de son identité nationale : «...le Belge, sortant du tombeau, a conquis par le courage sa reine et son drapeau... » Une déclamation dithyrambique qui n’a d’égale que celle du consul général du royaume du Maroc, Soad Hammad, dont le pays est un exemple de "démocratie ouverte tant sur le code de la famille qu’en matière de droits humains, préservant la dignité des femmes, des hommes et des enfants..." Le show se termine sur des congratulations mutuelles, histoire de souligner "la richesse de ce type de rencontres et d’échanges."
Pendant ce temps, côté rue, les anti-débats dijonnais du Front de Gauche manifestent contre le débat qui n’en est pas un et s’échauffent contre quelques jeunes nationalistes catholiques, venus participer à un débat qu’ils pensaient public. Erreur de casting : les jeunes importuns dépourvus de cartons d’invitation sont refoulés hors de l’enceinte sacrée. A notre question : « Allez-vous organiser un nouveau débat à Dijon, ouvert au public cette fois-ci ? » Réponse de la Préfecture : « Le débat ouvert à tous a déjà eu lieu ; il fallait venir à Montbard le 10 décembre ! » Reste toujours le casting de repli : le débat sur internet.
Les figurants : Tournez manège !
Exemplaires de bienséance, les figurants concourent en bonne place dans la course à la palme d’or. A peine un taquin "démagogie pure" lancé par Alain David, professeur de philosophie et membre de la section dijonnaise de la Ligue Internationale Contre le Racisme et l'Antisémitisme (LICRA), au terme de la première partie : "De toute façon, il n’y a plus de patrimoine culturel commun. Preuve en est : les élèves ne savent plus qui est Racine, même dans les bonnes classes !" Tout se perd décidément. Les caméras vont-elles immortaliser un quelconque rebondissement ?
Le débat paraît s'amorcer avec l’intervention de François Benredjem, Président de l’Association Défense et Avenir des Harkis (ADAH), ces soldats d’origine algérienne qui se sont battus, entre 1957 et 1962, avec l’Armée française, contre les "rebelles" et le FLN, Front de Libération National revendiquant l’indépendance de l’Algérie, alors Française : "Quand l’Etat français va-t-il enfin reconnaître la citoyenneté pleine et entière des harkis ?" Balbutiements des côtés des intervenants universitaires ; silence du côté de la Préfecture. On continue le tournage.
Plusieurs invités présents témoignent au cours de la soirée de leur difficulté à se sentir reconnus en tant que Français du fait de leurs origines familiales étrangères, et dénoncent les lourdeurs administratives tandis que leur droit de citoyen est souvent remis en cause. Seul imprévu bousculant le protocole : le témoignage d’une femme en colère, qui ne saisit pas l’intérêt d’un débat à huis clos : "Je suis venue chercher un semblant de réponse à ce que c’est que cette fichue identité nationale (...) ; je n’entends que des leçons de morale qui me dégoutent. (...)" Heureusement, elle quitte la scène rapidement et le préfet de Côte d'Or, Christian de Lavernée, de conclure sur "l’importance de la répartition des tâches dans l’élaboration d’une cohésion sociale." Le chien aboie, le débat passe...
Bref, peu de rebondissements mitonnés dans cette intrigue et encore moins d’éléments perturbateurs enrichissant le débat, clôturé comme promis aux alentours de 19h par un beau cocktail. Morale du film : mieux vaut débattre dans le vide (conceptuel), que nager en débat trouble...
