
Première partie de nos rendez-vous Tête-àtête* pour les élections régionales des 14 et 21 mars prochain avec Philippe Hervieu et Claire Rocher. L'un est tête de liste pour Europe Écologie Bourgogne, l'autre pour Lutte Ouvrière. Ils se sont prêtés au jeu des questions/réponses..
* Philippe Hervieu, tête de liste Europe Écologie Bourgogne
Après six ans de vice-présidence, quel bilan tracez-vous du mandat de François Patriat ?
"Il est difficile de retenir quelques mesures et de faire un classement. Ce qui me vient en tête, c'est ce que l'on a fait sur la gratuité des manuels scolaires - une demande forte de la part des Verts, les investissements sur les TER, le plan Climat Énergie que l'on a mis en œuvre à la région à la force du poignet. Le bilan, c'est aussi des mesures concrètes comme le prêt à taux 0, les bâtiments basse énergie, la convention avec les structures d'éducation populaire. Des petites choses aussi comme le plan bocage, qui a permis de replanter une centaine de kilomètres de haies ou, plus globalement, l'ensemble des actions dans le cadre de l'Économie Sociale et Solidaire (ESS) : la structure Bourgogne Active, qui aide les structures de l'ESS à se créer par exemple, la maison des coopératives ou encore l'Envol, une couveuse sous forme là aussi coopérative, pour mettre le pied à l'étrier de jeunes acteurs.
Il y a bien sûr l'école de la deuxième chance dans la Nièvre, un dispositif intéressant puisqu'il s'adresse au public de 18-25, complètement sorti du système. Il s'agit d'une réintégration par alternance : le matin, les gamins définissent des projets avec des pédagogies adaptées à leur situation et l'après-midi, ils sont en alternance en entreprises, ce qui leur permet de décrocher un diplôme et souvent un emploi. Nous avons donc fait du bon boulot dans le domaine des transports, de l'ESS, de l'environnement, de la formation. Mais la politique globale qui a été conduite n'est pas celle que nous aurions conduit, nous autre d'Europe Écologie Bourgogne. Nous avons une autre vision des choses, une autre vision de l'économie et de ce que doit être la Bourgogne.
D'où votre départ en solitaire pour les prochaines échéances ?
Tout à fait car nous pensons que si l'on prend un mauvais tournant, on risque de le payer et nous ne voulons pas aller droit dans le mur en klaxonnant et en criant "Youpi !". Nous ne sommes pas en train d'adapter la Bourgogne au 21ème siècle. Les divergences les plus criantes portent sur l'aéroport Dijon/Bourgogne ou sur le circuit automobile Nevers/Magny-Cours, où la région investit 3 à 4 millions d'euros par an, soit 55 millions sur 6 ans. C'est dire que l'on peut en faire des choses, tout ça pour promouvoir la voiture qui n'est pas celle de demain, qui fait du bruit, qui est énergivore. La voiture de demain sera confortable, sûre, silencieuse, peu énergivore et c'est elle que l'on doit promouvoir. On aurait pu jouer sur un pôle de coopération inter-régionale avec Belfort et Montbéliard ou sur les nombreux sous-traitants de l'automobile en Côte d' Or. La vision n'est pas bonne.
Une bonne vision qui, selon vous, passe par une écologie verte... Concrètement, comment cela se traduirait-il en matière d'emploi en Bourgogne ?
Non seulement, cette vision est possible mais elle est même indispensable. Que ce soit le libéralisme, le communisme ou le socialisme, ces modèles sont été faits au 19ème siècle, au moment où la planète ne comptait pas ou peu, et où l'on comptait sur des ressources inépuisables. En aucun cas, ces ressources et la planète n'étaient considérées comme fragiles et l'on ne se pensait pas interdépendance de la biodiversité. Cette écologie scientifique s'est transformée en écologie politique avec l'objectif de créer un nouveau mode de développement pour rendre compatible écologie et économie.
En Bourgogne, on va aussi devoir forcément y aller, sinon c'est l'histoire du Titanic. Soit on choisit d'anticiper ce changement obligatoire pour faire prendre une autre voie au paquebot, soit on fait comme ce qu'ont décidé nos gouverneurs : on tape dans l'iceberg, on coule et on en construit un autre, ce qui est politiquement plus correct. Mais chez Europe Écologie, nous souhaitons que ce changement se fasse avec le moins de casse possible en terme environnemental et social, et nous voulons trouver dès maintenant les nouveaux systèmes pour réduire son empreinte écologique, utiliser de nouvelles énergies.
Ce changement se traduit par des emplois dans les éco-filières, qui existent à foison comme la gestion durable de la forêt... Ici, nous ne faisons rien pour la forêt, dans le Morvan notamment. Pire : elle se dévalue ! On pourrait faire de la méthanisation par exemple, alors que les techniques sont simples et parfaitement au point. Avec nos 119 lycées dans la région (dont 63 publics), nous pourrions lancer un diagnostic thermique pour proposer des solutions en termes d'isolation ou de chauffage à bois, ce qui nous permettrait de devenir autonomes et de maitriser l'ensemble de la filière (coupe, transport, installation, maintenance,...). Une opération sur 15 ans qui, additionnée aux autres travaux d'économies d'énergie, permettrait de créer 12.000 emplois en Bourgogne. Une industrie d'avenir pour pallier les départs, que je disais prévisible, d'usines comme Dim, Kodak ou Thomson.
Autre vecteur d'emploi et d'attractivité en Bourgogne : le Pôle Nucléaire. Très controversé, vous y êtes toujours autant opposé ?
En Allemagne, l'écologie crée dix fois plus d'emplois que le nucléaire. Mais nous restons optimistes : les socialistes nous ont toujours rejoints avec 5 ou 10 ans de retard... A un moment où un autre, ils nous rejoindront donc. Il faut savoir que nous n'avons donné que 300 ou 400.000 euros à ce PNB sur les 749 millions du budget. Le nucléaire, c'est une véritable bêtise, qui a été choisie de façon anti-démocratique et qui est dangereuse, surtout lorsqu'elle devient une solution planétaire et que l'on ne sait pas quoi faire des déchets qui restent radioactifs pendant 40.000 ans... On fait prendre des risques multiples à la planète au lieu de consacrer notre intelligence à des choses moins dangereuses. En Bourgogne, nous pensons que c'est aussi une bêtise économique car s'il advenait un nouveau Tchernobyl, 10.000 personnes seraient instantanément sur le tapis. Il faudrait plutôt faire un pôle de l'excellence métallurgique et chercher des clients ailleurs pour diversifier les activités. Dans ce cas, j'apporterai une aide pour permettre la diversification et la recherche de nouveaux clients.
Et demain, quelle image la Bourgogne doit et peut véhiculer ?
La Bourgogne est endormie et doit être secouée un peu. Tout comme Dijon, la région à une image qualitative or je vois le 21ème siècle comme un siècle qualitatif et intelligent, qui doit marier écologie et économie. La Bourgogne, elle, peut le faire de par son territoire et son industrie variés. Elle représente la patrie du bien vivre et de la gastronomie, de la truculence, du vin, un système complètement écolo compatible. La Bourgogne a une richesse patrimoniale, historique, gastronomique, qu'il faut faire découvrir. Il faut utiliser les moyens du 21ème siècle, autres que des Américains que l'on dépose à Longvic. Le tourisme durable, c'est un éco-tourisme pour découvrir en profondeur la région. Il faut faire bouger ce paquebot
Entre Paris et Lyon, ce paquebot peut-il encore trouver une place ?
Le modèle d'aménagement du territoire auquel nous croyons est original, destiné à sortir d'un système de compétition entre les territoires. Nous ne voulons pas croire que pour avoir une région forte, il faut une capitale forte et donc la doter d'une équipe de foot, une piscine olympique, un aéroport et une ligne TGV. Au 21ème siècle, une capitale régionale est évidemment importante mais l'aménagement du territoire doit être plus diffus, le maillage des réseaux de transport doit être plus puissant. Il faut aujourd'hui 2h30 pour aller à Nevers ; ce n'est pas normal, d'autant plus que sur cette ligne, les TER fonctionnent au fioul. Il faut électrifier la ligne, ce qui mettra Nevers à 1h45 de Dijon : voilà qui est beaucoup plus important qu'une LGV entre Dijon et Montbard, ce qui représente un investissement 2 milliards d'euros pour gagner 6 minutes... Il faut peser le pour et le contre ; moi les 2 milliards, je les verrais bien autre part.
Pourquoi pas dans un Grand Canal, solution plus écologique qu'une autoroute mais qui ne recueille pas votre faveur ?
En quelque sorte, il y a le rail, une solution pratique qui permet de transporter des matériaux lourds. On y met des camions dessus et ce type de transport revient 10 fois moins cher qu'un grand canal, sans parler de l'impact sur la biodiversité. Faire un Grand Canal, ça a un avantage économique mais c'est une bêtise. Il faut prendre en compte les contraintes énergétiques, les contraintes de pollution, de climat, qui font que l'on doit redéfinir de nouveaux modes de transport et réaménager l'existant, en favorisant l'inter-modalité : un tram, des bus, des vélos, de l'auto-partage, partout où l'on peut.
Dernière question, une idée sur la stratégie à suivre au second tour ?
Le premier cas de figure, que je ne souhaite pas, c'est moins de 10%... Dans ce cas, nous aurons beaucoup moins d'outils de négociation. A l'inverse, si nous sommes en capacité de nous maintenir, nous avons l'argument de pouvoir faire perdre et la discussion portera alors sur une convergence programmatique sur un certain nombre de points qui nous paraitrons importants à soutenir..."
* Claire Rocher, tête de liste Lutte Ouvrière
Déjà présente dans la course aux régionales en 2004, vous n'avez pas pu siéger. Après 6 ans, quel bilan pour la mandature passée?
"La situation est essentiellement marquée par la crise ; le conseil régional n'y est pas et n'y peut pas grand-chose. Les vrais responsables sont les grands actionnaires, les spéculateurs, les grands groupes et la situation que subissent les travailleurs. Ils font payer la crise aux classes populaires et ça, ce n'est pas un conseil régional ni un élu quelconque qui peut s'y opposer. Je me présente donc pour dire aux travailleurs que ce n'est pas une fatalité mais une guerre qui est menée contre eux, face à laquelle ils peuvent se défendre mais il ne faut pas compter sur les élections pour changer la situation. Sur le bilan de la mandature passée, il n'y a pas eu un seul emploi de sauvé par les conseils régionaux dirigés par le parti socialiste, bien que chacun se soit vanté que ça allait être un contre-pouvoir au gouvernement.
En désaccord avec l'actuelle majorité, vous avez fait le choix de partir seule. Les listes à gauche se multipliant, ce choix ne sera-t-il pas contre-productif ?
Chez Lutte Ouvrière, nous disons des choses que nous sommes les seuls à dire avec donc la même légitimité que les grands partis. Nous avons un programme à défendre et nous devons nous présenter pour faire entendre ce que nous avons à dire. L'idée est avant tout de s'exprimer, de faire passer notre message : nous pensons que ce n'est pas aux travailleurs de payer la crise et la seule chose utile qu'ils peuvent faire dans ces élections, c'est pousser un cri de colère. Notre programme est donc celui des luttes futures pour interdire les licenciements, partager le travail entre tous, prendre sur les profits et les fortunes personnelles des grands actionnaires. Ce n'est pas en nous élisant au Conseil régional que l'on parviendra à appliquer ce programme mais c'est en passant par des bagarres. Notre candidature sert à l'affirmer tout ceci.
Vous parlez à ce propos dans votre programme "d'explosion sociale". Pour moi, électeur lambda, qu'est-ce que l'explosion sociale?
Au sein même de la Bourgogne, l'explosion sociale n'a pas de sens. Selon nous, il faut que les luttes s'unissent : que ce soit chez Total actuellement, les travailleurs de Jtekt récemment à Dijon, la bagarre d'Amora, les luttes, il y en a à chaque instant. Maintenant, nous pensons que les luttes doivent s'unir pour changer le rapport de force et imposer une autre politique pour que ce soient les vrais responsables de la crise qui la payent et pas nous à leur place. L'économie tourne grâce aux travailleurs et un jour, il faudra revendiquer le fait que les richesses que nous créons doivent servir à un emploi et un salaire corrects. Tout l'argent passe dans la poche des riches, qui mènent une guerre aux pauvres en quelque sorte.
La région est donc un prétexte pour faire passer un message à envergure nationale?
Dans un sens, oui. Mon message est un message de lutte. Maintenant, qu'y a-t-il de plus régional que ce dont je parle ? Jtekt qui licencie, les bagarres qu'on essaye de mener pour garder nos emplois et avoir des salaires corrects. Il n'y a pas plus local que ça. Le Conseil Régional peut ne pas donner de l'argent à fond perdu à des entreprises qui licencient quand même et qui s'en servent juste pour augmenter leurs profits et distribuer des dividendes à leurs actionnaires. Cet argent pourrait être affecté pour éviter de supprimer 16.000 postes dans les lycées, pour maintenir des services publics... Maintenant, le Conseil régional n'est pas en capacité de mettre en œuvre ces politiques, d'interdire de licencier.
Dans l'hypothèse de votre arrivé à la tête de la région, un certain constat d'impuissance ?
Si j'arrive à la tête de la région, c'est qu'il y aura eu un puissant mouvement social derrière moi et la situation sera complètement différente : les gens pourront allez voir directement dans les comptes de ces entreprises sans demander la permission. Je pense que vous avez des illusions, notamment en matière de chômage. Le seul moyen de limiter cette hausse est d'interdire à des entreprises comme Total de dire : "On fait 7 milliards de profit cette année, 14 l'année dernière mais on vous met dehors". A partir du moment où les gens sont dehors, c'est trop tard pour lutter contre le chômage. Il faut interdire au patron de licencier.
Infirmière de profession, ressentez-vous aussi ce malaise dans la profession tout comme l'expansion des déserts médicaux ?
On dépense des millions pour rembourser des banques et construire un bâtiment de prestige pendant qu'on nous dit que l'on ne peut pas embaucher, que l'on entasse les gens dans les couloirs. De l'argent va même être donné pour organiser des départs volontaires. L'hôpital de Dijon est aujourd'hui le plus gros employeur de la région et ceux qui ferment ne font que dégrader la situation sanitaire. Chacun se renvoie la balle sous prétexte de ne pas disposer d'argent. Or, des moyens, il y en a : il n'y a qu'à voir la somme engagée pour la vaccination contre la grippe A, c'est l'équivalent des déficits de l'ensemble des CHU de France. Cet argent, que l'on n'avait soi-disant pas, on l'a trouvé pour grossir les bénéfices de Sanofi. Dans ce cas, les déserts médicaux, selon moi, ne sont qu'une volonté politique de concentrer les bénéfices dans des grosses usines comme à Dijon. Une politique similaire, que ce soit dans le secteur de la santé, de l'éducation ou du social, consiste à retirer le maximum d'argent dans ce qui est utile à la population. Ce n'est pas une fatalité, comme vous semblez le penser, mais bien une volonté de ne pas mettre un centime dans ce qui est utile au pauvre.
Autre domaine, surement moins polémique, celui des transports. Plutôt LiNo, aéroport, grand canal ou LGV ?
N'importe quoi, pourvu qu'il y en ait suffisamment et que les gens puissent circuler correctement. Personnellement, j'ai des amis qui travaillent à la SNCF : la politique est actuellement de fermer les petites lignes, de désertifier, une nouvelle fois, les transports en commun, de réduire les sommes engagées. Alors bien sûr, je suis pour le rail mais sur des voies entretenues, ce qui n'est pas le cas actuellement, à force de supprimer des emplois. Et je n'accepte pas qu'ils puissent risquer leur peau car ils sont de moins en moins nombreux pour effectuer des travaux sur les voies. Mais ceci n'est pas réellement une urgence.
Parler de développement durable est une arnaque car les décideurs ne parlent de cela qu'en fonction de ce que ça peut leur rapporter le lendemain, au point de s'en foutre de faire sauter la planète quatre fois, le principal étant d'être les derniers à empocher le "pactole", quitte à faire mourir de faim la moitié de la planète et à faire un trou dans la couche d'ozone. Il faut s'attaquer à la main mise que ces gens ont sur l'économie. Bien sûr que je souhaite laisser une planète en bon état à nos enfants mais l'urgence est que les gens aient un emploi et de quoi manger.
Vous avez dit au Bien Public : "Je ne suis pas le ramasse voix du PS". Aujourd'hui, votre position est toujours aussi ferme ? Qu'en adviendra-t-il au soir du premier tour ?
Je confirme et j'assume cette phrase : je n'envisage aucune alliance. Mon problème, c'est le premier tour car c'est ici que l'on peut exprimer ses idées, le second tour étant celui du partage des sièges. Le seul vote utile est celui pour le premier tour avec un programme que l'on assume haut et fort."
* Têtes-à-têtes : La Rédaction entre dans le cœur des Régionales et organise un face-à-face entre chaque tête de liste régionale et deux journalistes de dijOnscOpe. Objectif ? Les confronter aux questions directes du journal sur les thèmes d’actualité et surtout, aux exemples concrets impliquant l’action du Conseil Régional.
