
Retour à la normal pour les transports SNCF jeudi 22 avril 2010, après 15 jours de grèves soutenues de la part des cheminots. Mais quelles étaient leurs revendications au fait? Pour mieux comprendre le mouvement au-delà de la colère des usagers, dijOnscOpe est allé à la rencontre de Sébastien Gasc, conducteur de train et secrétaire du secteur fédéral CGT des cheminots de la région de Dijon. Et là, surprise: les cheminots seraient le dernier bastion syndicaliste luttant en notre nom à tous contre la disparition progressive du service public....
Vous venez d'évoquer vos revendications sur l'emploi et les restructurations mais il semblerait que vous en ayez également d'ordre salarial?
"Oui. Pour résumer, nous avons des métiers qui sont soumis à pas mal de prime et d'autres moins. Mais sans rentrer dans le détail, il y a un accord qui a été proposé par la direction en début d'année et signé par la CFDT et l'Unsa mais pas par la CGT. Il n'est donc pas valable car d'après la loi sur la représentativité, il faut que les organisations syndicales signataires d'un accord représentent plus de 30% des syndiqués. Seule la CGT, qui représente 40%, peut se permettre de signer un accord toute seule. Bref, la direction a proposé 0,9% d'augmentation de salaires en 2010 alors que l'inflation est prévue à 1,2% pour l'année et qu'elle sera sans doute plus élevée que cela. Et elle fait des calculs savants qui l'amènent à dire qu'elle augmente les salaires de 3,6%, ce que nous contestons : augmenter les salaires de 0,4% en mars et 0,5% en septembre, pour eux ça revient à 0,9% sur l'année ! Mais en réalité, ce ne sont pas des augmentations sur douze mois...
Bien sûr, nous sommes en désaccord total avec ces propositions : la CGT demande 6% d'augmentation car il y a un retard cumulé depuis des années. Juste pour préciser un point là-dessus, parce qu'il existe des légendes sur les salaires des cheminots : aujourd'hui, les salaires d'embauche de certains cheminots à temps plein sont en dessous du Smic. Cela dans des métiers à pénibilité avérée, soit en terme d'horaires de nuit, soit en terme de poste de travail. Artificiellement, par des primes, on comble le décalage. Ce qui fait que durant plusieurs années, de jeunes embauchés vont toucher le même salaire alors qu'ils progressent dans l'entreprise : au fur et à mesure qu'ils évoluent en terme de grille salariale, on leur diminue leur prime. Dans certaines grandes villes, il y a des cheminots qui sont SDF car ils n'ont pas les moyens de se payer un logement, tout comme d'autres salariés au Smic.
Dans un mouvement de grève, un vrai rapport de force s'instaure entre les différentes parties. En ce qui concerne ce conflit, il semblerait que Guillaume Pepy, pdg de la SNCF, n'ait pas souhaité négocier tant que vous ne repreniez pas le travail?
C'est à peu près cela. Il avait dit que la grève allait durer 48 heures et qu'il n'y aurait pas de négociation. La grève a duré 14 jours et il y a eu l'ouverture des négociations en région, accompagnées d'échéanciers. Au bout du sixième jour, Pepy a annoncé l'ouverture d'une table ronde le 21 avril. Mais elle a été annulée et il a finalement rencontré chaque organisation syndicale séparément. On va bien bien voir ce que ça va donner... De toute façon, dire que l'on ne négocie pas pendant la grève, c'est nier le droit de grève. C'est complètement anti-constitutionnel ! C'est du jamais vu. Aucune entreprise en France ne négocie pas en période de grève : il n'y a que la SNCF qui le fait !
Vous dites vouloir 6% d'augmentation de salaires : en demandez-vous plus pour en obtenir plus ?
Non. Nous ne demandons rien d'utopique. Si le mouvement a été suivi, ce n'est pas sur des revendications farfelues. On ne se fait pas plaisir à faire grève et on n'y va pas pour rien...
Le service minimum obligatoire induit la confusion dans l'esprit des usagers : on croit qu'il y aura des trains alors qu'il n'y en a pas. En quoi cela consiste finalement ?
Les cheminots qui assurent le transport de voyageurs sont soumis à une déclaration d'intention de faire grève 48 heures avant. A partir de là, la SNCF a l'obligation de faire un plan de transport : elle doit mettre en place des bus pour palier la suppression des trains et faire des annonces en terme de pourcentage sur le nombre de trains en circulation. Ces dernières induisent d'ailleurs beaucoup de gens en erreur car les annonces, faites à l'échelle nationale, faussent la réalité. La SNCF annonce par exemple que 80% des TER vont circuler. Les usagers de la région de Dijon ont pu vérifier que c'était faux...
Cela paraît d'ailleurs improbable que 80% des trains circulent alors 60% du personnel est en grève. Nous avons fait un calcul durant le conflit, en pointant les trains sur un jour dans la région : 40% des trains circulaient seulement sur la Bourgogne, tôt le matin et en fin d'après-midi ; entre ces heures de pointe, il n'y avait rien. Et sur certaines lignes, il n'y avait carrément aucun train. Mais ça, bien sûr, ils ne le disent pas. Donc les gens arrivent en gare pour prendre un train alors que dans certaines, il n'y en a pas de la journée. Donc effectivement, cela peut paraître compliqué pour les usagers.
Avez-vous conscience d'apparaître comme l'un des derniers bastions syndicalistes en France?
On ne peut pas nier qu'il y a une culture de lutte chez les cheminots. C'est l'histoire du chemin de fer en France, avec des faits marquants comme la Résistance durant la Seconde guerre mondiale. Dans l'imaginaire collectif, évidemment que cette histoire-là existe. Les cheminots se battent pour maintenir un service public de qualité et nous n'avons pas l'impression que les usagers s'opposent à cela. Ces derniers attendent du chemin de fer la même chose que les cheminots et les usagers qui prennent régulièrement le train ont conscience que la situation ne s'améliore pas. Il y a des dysfonctionnements majeurs : par exemple, la SNCF a découvert cette année qu'il neigeait l'hiver avec notamment l'épisode de l'Eurostar bloqué sous la Manche !
Cela n'arrivait pas avant car il existait des personnels de réserve, surtout chez les agents de conduite et les contrôleurs, pour palier justement ce genre d'incidents. Idem pour les problèmes liés à la maintenance. Mais ils ont tellement supprimé d'emplois à la SNCF qu'on n'a plus ça. Nous travaillons dans l'urgence et le moindre incident a des conséquences énormes. Un train arrêté signifie que tous ceux derrière lui le sont également!
Avez-vous le sentiment d'irriter parfois les usagers et même une majorité de Français?
Là-dessus, nous prenons nos responsabilités. Nous distribuons des tracts aux usagers pour expliquer pourquoi nous faisons grève et nous n'avons pas un mauvais accueil quand nous le faisons. Notre démarche est simple : nous demandons de mettre des moyens à la hauteur des besoins de ce service public. Moins de cheminots dit à terme moins de service public, comme on peut le voir par ailleurs dans d'autres services publics. Nous, nous ne sommes pas demandeurs de ce genre de mouvements mais si on en arrive là, ce n'est pas de notre fait : c'est parce que notre direction ne négocie pas, même si on discute. Ils nous rabâchent la politique de l'entreprise, sans faire de compromis. Mais ce n'est pas cela le dialogue social."
