Mercredi 21 avril 2010, l'association Libertés-Culture de Dijon organisait une conférence-débat sur le thème de la démocratie, de la laïcité et du féminisme dans le monde arabe*. A cette occasion, l'association a invité Nadia Chaabane, franco-tunisienne née en Tunisie, enseignante en communication et membre fondatrice du Conseil National des Droits des Femmes et du Manifeste des Libertés en Tunisie. Cette dernière a tenté de prouver que la laïcité et la démocratie sont des concepts occidentaux exportables dans le monde musulman. L'enjeu de cette conférence? Tordre le cou aux idées reçues, aux préjugés et aux clichés de toute sortes...
Un féminisme actif mais invisible
Nadia Chaabane démontre d'abord historiquement que le débat sur la laïcité, la séparation du politique et du religieux, existe depuis plus d'un siècle et demi dans le monde musulman. "La laïcisation est un préalable à formuler. On ne peut pas séparer le combat des laïcs et celui des femmes. Il est à débattre en dehors du cadre religieux stricte! ", souligne-t-elle. Dans l'histoire du monde musulman, l'Égypte et la Tunisie ont joué un rôle moteur dans le mouvement réformateur. C'est dans ces deux pays qu'ont été posé la question des droits des femmes et de séparation du pouvoir du religieux: "L'union des femmes d'Égypte" dans les années 1920 et "l’union des femmes de Tunisie" dans les années 1940 et 1950. Leurs revendications étaient déjà très claires : droit au divorce, abolition de la polygamie et exigence d’une égalité des droits entre hommes et femmes. Toutefois, à l’inverse de "l'individualisation" dans les pays européens, la famille, dans le monde musulman, est à la base de la société. La structure familiale est organisée autour d’un système patriarcal : le pater familias dispose de tous les droits sur tous les membres de sa famille et la femme doit jouer le rôle de l’épouse. Cette différence majeure rend donc plus difficile le combat émancipateur des femmes.
Stigmatisation et ignorance
L'invitée de Liberté-Culture fustige par exemple la demande de moratoire sur la lapidation de l'intellectuel musulman suisse d'origine égyptienne Tariq Ramadan, car la réalité est tout autre : "80% des musulmans ne pratiquent plus les châtiments corporels! Il s’agit de lever le voile sur des réalités méconnues du monde musulman et ne pas être otage et prisonnier d’un état d’esprit archaïque". Concernant la France, elle condamne les amalgames permanents des politiques, de droite comme de gauche. Elle s'agace de la posture d'une "gauche néo-coloniale, incapable et irresponsable", qui voudrait "accompagner vers l'émancipation ces jeunes femmes, comme si elles ne pouvaient pas se prendre en main elles-mêmes". La droite ne trouve pas plus grâce à son cœur: "En plein milieu d’une crise économique majeure, on nous sert en guise d’os à ronger, des débats sur l'identité nationale et la burqa", s’insurge t-elle. C’est contre ces débats "imposés et stigmatisants" qu'elle en appelle au boycott et à un véritable "acte de résistance" citoyen.
"Faire confiance à nos enfants"
Nadia Chabaane dénonce également un discours anti-jeunes en France : "La société française n’aime pas ses enfants!" Linguiste de formation, elle ironise sur le glissement sémantique de certaines appellations. On désigne les jeunes des cités par le mot "racailles" et les enfants de bonnes familles par celui d'"adolescents", deux poids deux mesures selon elle. Contre ce qu’elle nomme la "culture zapping, qui dresse et formate", elle encourage les jeunes filles, par le biais du savoir, de la pédagogie et de l’éducation, à acquérir un esprit critique et distancié afin qu’elles deviennent autonomes et mieux armées pour lutter contre toute forme d’obscurantisme. Citant l’exemple des nouvelles technologies avec internet : "La plupart des jeunes femmes voilées s’initient désormais via des sites religieux, premier pas vers l’endoctrinement" . Malgré cela et sans se positionner en donneurs de leçons immédiats, les parents doivent aussi savoir faire confiance à leurs enfants, "loin de baigner dans l’ignorance qu’on leur prête injustement" .
"Lever le voile"
Finalement, le voile est double. Il est d'abord politique, conséquence d’un endoctrinement où les jeunes filles sont victimes de groupuscules comparables à des sectes. Il est aussi lié à l’identification ; on l’endosse par solidarité. Comme le religieux est partout, il dicte une forme de religiosité. Elle cite ces filles, les "beurettes" comme on les appelait dans les années 1980, qui portent le voile car il leur donne cette place dans la société, ce pouvoir d’exister là où l’intégration a échoué pour elles. Elle cite l’exemple qu’on ne cite jamais: celui des enfants voulant endosser le voile contre la volonté de leurs parents. Ces derniers, désemparés, ne voient parfois qu'une seule solution: envoyer leur fille en Tunisie, pays où le port du voile est interdit ! Nadia Chabaane rappelle alors le discours du féministe égyptien Qasim Amin dans son livre l’Émancipation de la femme (1897), contre le port du voile dans le monde musulman: "C’est quand même étonnant ! Pourquoi ne demande-t-on pas aux hommes de porter le voile ou de dérober leurs visages aux regards des femmes, s’ils craignaient tant de les séduire ? La volonté masculine serait-elle inférieure à celle des femmes ? ". Elle cite aussi le théologien, Tahar Haddad qui a, quant à lui, comparé dans son livre Notre femme, la législation islamique et la société (1930), le hidjab (le voile) à "la muselière qu’on met aux chiens pour les empêcher de mordre. "
Qu'elles soient individuelles ou collectives, toutes ces voix, progressistes et modernistes, sont ignorées et interdites de droit de cité dans la sphère publique. Une censure systématique est opérée. A cause de ce manque de visibilité, la méconnaissance du monde arabe est totale et propage aux yeux du monde, la fausse idée "d’un monde musulman figé dans le temps et l’espace". "Le premier acte majeur pour les soutenir est d'en parler, sinon ces hommes et ces femmes qui combattent pour la liberté et l'égalité n'existent plus ; ils sont morts", conclut ainsi Nadia Chabaane.
*A noter que cette conférence s'est tenue dans le cadre du lancement par l'association Libertés-Culture d'un comité de soutien aux mouvements laïcs, féministes et démocrates dans le monde arabe. Ce comité de soutien aura deux objectifs: "l'information sur ces mouvements et la solidarité avec la société civile arabe, qui se dresse courageusement contre les dictatures et les obscurantismes".
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