"Le perv" ! La presse américaine n'aura pas mâché ses mots envers Dominique Strauss-Kahn, l'accablant du surnom de "pervers" en Une des différents tabloïds. Pourtant, mardi 23 août 2011, le juge de la Cour suprême de New-York, Michael Obus, a entériné la recommandation du procureur de Manhattan, Cyrus Vance. L'ancien patron du Fonds monétaire international (FMI) est désormais libre, les accusations d'agression sexuelle ayant été abandonnées. Chronique d'une fin annoncée, celle d'un feuilleton judiciaire qui aura fait couler beaucoup d'encre, ici comme au États-Unis. Or DSK aurait-il connu le même sort si l'affaire avait été jugée en France ?. Éléments de réponse avec Arnaud Brultet, bâtonnier de l'ordre des avocats de Dijon...

Retour sur 100 jours de procédure
Les images ont fait le tour du monde. Elles montrent un homme aux traits tirés, mal rasé, se présentant devant la justice américaine. La veille au soir, le 15 mai 2011, il était arrêté par la police de New-York, accusé d'agression sexuelle, de tentative de viol et de séquestration sur Nafissatou Diallo, une femme de chambre de l'hôtel Sofitel où il résidait. L'annonce fait l'effet d'une bombe en France. Car cet homme n'est autre que Dominique Strauss-Kahn (DSK), le favori des sondages pour les primaires du Parti socialiste, qui doivent permettre de désigner un candidat pour la Présidentielle de 2012. Cible de sept chefs d'accusation et encourant une peine de quinze à soixante-quinze ans de prison, DSK s'entoure de deux ténors du barreau : Benjamin Brafman et William Taylor. En attendant le verdict, il reçoit son matricule pour passer quatre nuits dans la prison de Rikers Island, sans doute l'une des plus sordides des États-Unis. L'inculpant officiellement, le juge de la Cour suprême de New-York, Michael Obus, le soumet à une assignation à résidence et réclame une caution de cinq millions de dollars.
L'ex-futur présidentiable se voit donc contraint de rester confiné dans son appartement avec bracelet électronique au pied et sous surveillance d'un gardien 24h sur 24. Pourtant, le vent commence à tourner le 30 juin 2011, quand le journal The New-York Times affirme que les accusations portées contre DSK sont sur le point de s'effondrer. En effet, Nafissatou Diallo aurait avoué au procureur avoir menti sur sa vie et sur les conditions de l’agression, le tout sous serment. Si les charges ne sont pas abandonnées, l'ancien patron du FMI retrouve tout de même sa liberté. Le 08 août, la plaignante porte l'affaire devant le tribunal du Bronx pour obtenir des dommages et intérêts. Débute alors une nouvelle affaire... qui prend fin mardi 23 août 2011, un non-lieu étant déclaré. DSK se verra remettre son passeport sous trente jours.
Un système accusatoire
En sortant libre du tribunal, DSK - qui n'a pas dit un mot depuis quatre mois - a souhaité remercier via un communiqué ceux qui l'on soutenu pendant "ce cauchemar", et en particulier "sa femme et sa famille qui ont traversé les épreuves avec lui" (Lire le communiqué joint ci-dessous, en anglais). En outre, il a ajouté vouloir "retrouver une vie normale" et avoir hâte de rentrer en France. Pour la petite histoire, son avocat Benjamin Brafman avait opté pour une veste bleue, une chemise blanche et une cravate rouge - un clin d'œil à la France, dont le système judiciaire "n'est pas si mauvais que ça", selon Arnaud Brultet, bâtonnier de l'ordre des avocats du Barreau de Dijon. "En France, la décision de classement des poursuites aurait été susceptible d'appel. Ce qui est singulier dans un pays comme les États-Unis, c'est que les décisions d'abandon de poursuites ne sont pas susceptibles d'une voie de recours. De fait, l'une des parties au procès n'est pas en mesure de faire valoir ses arguments devant une autre juridiction".
Dans le système français, dit inquisitoire, le juge participe à la recherche des éléments à charge et à décharge. À l'inverse, aux États-Unis, le procureur de Manhattan, en l'occurrence Cyrus Vance, cherche les éléments à charge contre l'accusé et les avocats de la défense doivent trouver les éléments à décharge. "Le système américain est donc accusatoire, poursuit Arnaud Brultet. De plus, alors qu'en France, une loi interdit de montrer de façon photographique ou télévisuelle un présumé innocent, nous avons un présumé coupable aux États-Unis, menotté entre deux policiers". En France, il est impossible de donner à la vindicte populaire une personne soupçonnée tant qu'elle n'est pas condamnée.
"Une parodie de justice !"
Selon le bâtonnier dijonnais, la presse américaine a joué un grand rôle dans la conduite de l'instruction, jusqu'à biaiser le procès : "Je pense que pour juger sereinement, il faut juger tranquillement, c’est-à-dire qu'il faut éviter les déclarations de toutes sortes dans les journaux. C'est de la mauvaise justice". Le 25 juillet, pour la première fois, la plaignante, Nafissatou Diallo, passe à l'offensive médiatique à travers le magazine Newsweek et la chaine de télévision ABC. Une sortie qui déplait sans doute à Cyrus Vance, qui convoque la femme de chambre et son avocat le 27 juillet dans son bureau. Le lendemain, une conférence de presse est organisée dans une église de la communauté afro-américaine de Brooklyn. "Quand on voit cette femme, mise sur un champ de foire alors qu'elle ne sait ni lire, ni écrire, répéter ce que son avocat lui a dit, je suis choqué d'un point de vue personnel !", ajoute Arnaud Brultet.
En France, si le procureur classait sans suite, l'avocat de la plaignante aurait pu saisir un juge d'instruction qui aurait recommencé l'instruction du dossier. La décision du non-lieu pouvait elle aussi déboucher sur un appel. "Je ne connais pas le dossier mais Nafissatou Diallo aurait pu faire valoir son argumentation devant un autre juge, un juge d'instruction et une autre juridiction, une cour d'appel. Le présumé innocent se trouve innocenté de fait." De plus, dans la culture américaine, le serment est un des points majeurs de l'audience. Ainsi, dans une première version, la femme de chambre avait dit s'être enfuie en courant le hall du 28ème étage de l'hôtel. Dans une seconde version, elle affirmait s'être rendue dans une autre chambre, histoire de finir son travail. Dans la troisième version enfin, elle expliquait s'être rendue brièvement dans une chambre pour récupérer des affaires. "En France, un mensonge aurait fragilisé la victime mais aurait été compensé par les éléments matériels de l'enquête." DSK aurait alors encouru quinze ans d'emprisonnement pour le viol tandis que les Américains cumulent les infractions.
"C'est une parodie de justice, conclut Arnaud Brultet. Ça ne se serait jamais produit en France ! Et si ceci avait été le cas, l'affaire aurait fait l'objet d'un examen par d'autres juges. Pour les Occidentaux, le traitement de cette affaire incompréhensible car le droit européen reconnait à toutes personnes le droit de porter l'affaire en appel." La procédure française aurait ainsi fait appel à une cour d'assises avec trois magistrats et neuf jurés populaires...