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Billet de blog 25 janvier 2011

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Langage, culture et pensée : Une affaire de mots ?

Alors que le journaliste Éric Zemmour est actuellement en procès pour ses propos sur les immigrés, tandis que la polémique enfle concernant les paroles "déplacées" de Michèle Alliot-Marie sur une "coopération sécuritaire" possible entre la France et la Tunisie, le livre "Chers imposteurs" de Jean Bothorel, paru en 2008, refait surface depuis l'attaque publique du député socialiste François Loncle concernant le "mauvais français" de Nicolas Sarkozy.

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Alors que le journaliste Éric Zemmour est actuellement en procès pour ses propos sur les immigrés, tandis que la polémique enfle concernant les paroles "déplacées" de Michèle Alliot-Marie sur une "coopération sécuritaire" possible entre la France et la Tunisie, le livre "Chers imposteurs" de Jean Bothorel, paru en 2008, refait surface depuis l'attaque publique du député socialiste François Loncle concernant le "mauvais français" de Nicolas Sarkozy.

De la "bourde" langagière aux propos fustigeant, il n'y a qu'un pas. Une frontière souvent difficile à saisir du fait des possibles interprétations d'un seul et même terme, d'une personne à l'autre. dijOnscOpe a donc décidé de faire la lumière sur le langage contemporain pour comprendre en quoi le vocabulaire de cette dernière décennie s'est métamorphosé pour presque disparaître...

Mutisme et conventionnalisme
"Nous sommes, sans aucun doute, beaucoup plus bêtes aujourd'hui qu'il y a cent ans. Et d'une toute autre bêtise. Celle du XIXe siècle était cartésienne... C'était une bêtise d'idées. Aujourd'hui, il n'y a plus d'idées, la bêtise est toute nue, fondée sur le vocabulaire : on dit n'importe quoi, du charabia, des choses qui n'ont pas de sens". C'est ainsi que l'écrivain français Jean Dutourd, décédé le 17 janvier 2011, résumait le XXe siècle et sa culture. Nombre "d'affaires" de mots sont effectivement les lots de ce siècle encore indéfini.
Paru en 2008, l'ouvrage de Jean Bothorel, Chers imposteurs, corrobore les propos de Jean Dutourd, en chiffrant le nombre de mots du vocabulaire utilisé par Charles De Gaulle, Jacques Chirac ou encore Nicolas Sarkozy : le chef de l'Etat actuel n'utiliserait qu'en tout et pour tout 400 mots, contre 4.000 mots pour le fondateur du Gaullisme.
"Les paroles et discours prononcés sont tellement policés, tellement formatés que plus personne n'est dupe. C'est la faillite du discours politique contemporain qui ne parle plus. Merleau-Ponty exprime d'ailleurs très bien cette idée puisqu'il parlait de la "parole parlée" par opposition à la "parole parlante" qui, elle, ne fait que dire des idées préconçues", analyse Philippe Monneret, professeur de linguistique à l'université de Bourgogne et actuellement doyen à la faculté de Lettres et Philosophie.
Langue de bois et bavardage
Récemment, les propos de Michèle Alliot-Marie parlant de "coopération sécuritaire" au sujet d'une éventuelle aide apportée à la Tunisie ont divisé un peu plus le gouvernement français. Une constante. Philippe Monneret explique ce phénomène du "politiquement correct" par une surveillance langagière systématique : "Tous les propos ou discours des personnes publiques sont retranscrits et visibles par tout à chacun. Les politiques doivent donc impérativement faire très attention à ce qu'ils disent".
Pourtant certaines personnes publiques se vantent d'une liberté de langage presque infinie. "C'est tout à fait discutable car ils sont tout de même tenus et retenus par la surveillance langagière dont ils font l'objet. La restriction du propos à cause de la vigilance de la parole politiquement correcte et le formatage par les conseillers en communication sont deux aspects qui appauvrissent beaucoup le discours actuel", explique Philippe Monneret.
Alors pourquoi cet appauvrissement de la langue française en vigueur chez ces hommes ou femmes politiques, en ce début de XXIe siècle ? Selon le député socialiste François Loncle, qui a évoqué la question du vocabulaire utilisé par Nicolas Sarkozy dans une question au gouvernement à l'Assemblée Nationale le 16 février 2010 (Lire le texte de la question ici), la maltraitance de la langue française faite par le président de la République porte "atteinte à la culture de notre pays et à sa réputation dans le monde". Réponse du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, Luc Chatel, dans un article de Médiapart.fr (Lire ici l'article de Médiapart.fr) : "Le président refuse un style amphigourique et les circonvolutions syntaxiques qui perdent l'auditeur et le citoyen". Édifiant.
Des paroles, toujours des paroles...
"Il faut se bagarrer pour le langage, il faut avoir confiance en lui, car je crois que nous pouvons rencontrer des problèmes de compréhension avec n'importe qui. Mais ce qui est important et difficile en même temps c'est d'essayer de comprendre l'autre selon la réalité à laquelle il fait référence en utilisant tel ou tel mot", conclut Philippe Monneret.
Le fait est que la langue française s'enrichit chaque année de nouveaux mots, usuels ou non selon l'époque. "La seule définition précise qu'on puisse donner du nombre de mots d'une langue est celle du nombre de mots contenus dans le dictionnaire le plus complet de cette langue. [...]; une langue crée des mots tous les jours et un dictionnaire contient toujours des mots que personne n'utilise plus. [...], l'homme se crée le vocabulaire dont il a besoin pour vivre et n'accède à un vocabulaire complètement différent que par la lecture, le voyage ou la recherche", écrivait Michel Malherbe dans son ouvrage Les langages de l'humanité : une encyclopédie des 3000 langues parlées dans le monde, paru en 1995.
Mais les mots fleurissent malgré eux. En ce début d'année 2011, le Petit Robert fait état de 150 nouveaux mots. Certains termes sont ainsi directement issus du développement technologique de ces dernières années comme geek, adulescent, réseauter ou encore buzz. D'autres émergent des nouvelles "armes" écologiques comme c'est le cas pour énergivore, bioclimatique, biogaz, écoquartier, biocombustible et fluocompact. Enfin, les plus surprenants restent les termes anglophones francisés comme smoothie, cranberry et cheese-cake. A chaque époque son vocabulaire donc. Le XXIe siècle, celui de la mort de la langue française ? Assurément celui d'une parole "parlante" plus que "parlée"...

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