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Billet de blog 26 janvier 2010

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Vote des immigrés en France : où est-ce que ça coince?

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Alors que la Grèce s'apprête à accorder le droit de vote aux élections locales à tous les étrangers, et pas seulement à ceux de l'Union européenne, la même question revient sur le devant de la scène en France. Martine Aubry annonçait en effet la semaine dernière le dépôt d'une proposition de loi socialiste à l'Assemblée nationale visant à accorder le droit de vote aux immigrés, qui concerne près de 5 millions de personnes*. La première secrétaire du Parti socialiste a ainsi pris au mot le ministre de l'Immigration Eric Besson, qui s'y est récemment déclaré favorable à long terme. A deux mois des élections régionales, pourquoi la question ressurgit-elle brusquement ? Éléments de réponse avec Michel Neugnot, vice-président du Conseil régional de Bourgogne et secrétaire fédéral de Côte d'Or du parti socialiste, et Danielle Juban, conseillère municipale de la ville de Dijon et suppléante du député UMP Bernard Depierre...

Un serpent de mer vieux de trente ans...


Aucun gouvernement, de gauche comme de droite, n'a jamais pris le temps de faire voter une loi permettant aux étrangers en situation régulière de voter aux élections locales. Et pourtant, la question n'a cessé de faire parler d'elle dans la vie politique française... Déjà en 1981, François Mitterrand en faisait l'une de ses 110 propositions pour la présidentielle. Mais une fois au pouvoir, le président socialiste avait jugé que le pays n'était pas prêt à cette réforme. En 2000, une proposition de loi constitutionnelle en ce sens, déposée par les Verts à l'Assemblée nationale, est adoptée par la gauche et quelques centristes. Or le Premier ministre Lionel Jospin n'inscrit finalement pas le texte à l'ordre du jour du Sénat, considérant qu'il n'a aucune chance de passer devant la Haute Assemblée tenue par la droite. Il mettra tout de même le sujet dans son programme lors de la présidentielle de 2002. Depuis, des personnalités de droite telles qu'Yves Jégo, Philippe Séguin, Françoise de Panafieu, Nicolas Sarkozy et désormais Éric Besson, semblent s'être déclarées favorables à une telle réforme.


Pourquoi la question n'a-t-elle pas été réglée depuis trente ans ? "On peut faire le reproche au parti socialiste de ne pas l'avoir fait aboutir en cinq ans (1997-2002), remarque Michel Neugnot, secrétaire fédéral de Côte d'Or du parti socialiste. Mais il s'agissait là d'une période de cohabitation. Or, pour ce type de loi, il faut nécessairement être en accord avec le président de la République et Jacques Chirac n'y était favorable". Dans ce cas, la période actuelle semble encore moins propice à faire une telle réforme... "On peut estimer qu'en tant que ministre, Eric Besson porte la parole du gouvernement. Là il dit qu'il est pour le vote des immigrés aux élections locales donc nous en profitons pour relancer le débat", ajoute le vice-président du Conseil régional de Bourgogne.

Manœuvres politiques en pleine tempête


Si le ministre de l'Immigration s'est déclaré favorable à la question, il a depuis précisé qu'il valait mieux attendre encore un peu, évoquant une dizaine d'années peut-être. Il faut dire que sa prise de position a plutôt été mal perçue dans les rangs de l'UMP, sans franchement être reniée selon Michel Neugnot : "Quand Rama Yade dit quelque chose qui ne convient pas, elle se fait tacler rapidement. Là, François Fillon a simplement dit qu'il n'y aura pas de loi en ce sens et non pas qu'ils étaient contre. C'est une nuance importante". Côté UMP, on accuse la gauche de ressortir "les vieilles ficelles électorales qui ont fait le succès de Mitterrand" dans le but de faire monter le vote Front National aux régionales, dans deux mois. Danielle Juban, conseillère municipale d'opposition à la mairie de Dijon, considère pour sa part qu'il s'agit d'un "argument de campagne du PS qui s'adresse ainsi à la gauche-gauche".


Alors, simple argument de campagne ou vrai débat de fond ? "Nous savons très bien qu'une telle loi ne passera pas, reconnaît le secrétaire fédéral de Côte d'Or du parti socialiste. Mais simplement, cela démontre que le débat sur l'identité national est pipé d'avance afin d'attirer les électeurs Front national. Nicolas Sarkozy recommence ce qu'il avait déjà fait avant de se faire élire". Les deux débats semblent en effet liés l'un à l'autre, comme pour mieux se répondre...

"Deux étrangers sont sur un bateau... "


"Les étrangers européens peuvent voter depuis 1992. Cela veut donc bien dire que nous avons accepté l'idée que des étrangers s'expriment pour des élections. Pour quelle raison limiter cela à la communauté européenne ? Puisqu'il n'y a pas de nation européenne, ce qui différencie un étranger européen d'un non européen, c'est la religion, son histoire... Alors au nom de quel genre de principe met-on à l'écart ceux qui en sont extérieurs à l'Europe ?", s'interroge Michel Neugnot.


Cette différence de traitement entre Européen et non-Européen interpelle également Danielle Juban, mais pour d'autres raisons : "Un Roumain ou un Bulgare (je prends leur exemple car ils viennent d'entrer dans l'Union européenne) pourraient voter aux élections locales alors qu'un Marocain ne pourrait pas ? Je ne trouve pas cela logique : au bout d'un an, les premiers ne connaissent pas mieux la France que le second. Alors que le Marocain qui est là depuis dix ans, qui a fait sa vie ici, je pense qu'il devrait pouvoir voter aux élections municipales, dans un souci de cohésion de la cité. Mais aux vues de la polémique du débat sur l'identité nationale, je crois que ce sont des sujets complexes qui sont mal placés. En période d'élection et en pleine crise économique, je ne sais pas si c'est le bon moment pour sortir ce sujet. Il faudrait attendre un moment plus apaisé ".

Flux et reflux nationaux


Pour le secrétaire fédéral de Côte d'Or du PS, les deux débats se rejoignent d'autant plus qu'il s'agit de discuter du même type de fondement idéologique : "Il existe deux notions de l'identité : celle de la permanence de cette dernière à travers le temps, qui reste ainsi identique, et celle de l'identité par rapport au moi. C'est-à-dire une identité qui est la même depuis la naissance jusqu'à la mort sauf que son apparence change. Les mouvements d'extrême droite ont toujours conçu la première notion en la ramenant à une nation qui ne changerait donc pas. Or il y a un risque de dérapage d'imaginer que la France sera toujours la même, comme a l'air de le laisser penser le débat sur l'identité nationale tel qu'il a été posé. Le fait de vouloir enseigner moins d'histoire est lié au même corps idéologique".

"Pourquoi ne pas faire un référendum sur le vote des étrangers ?, propose Danielle Juban. Au moins après on saura...". Avec 55% des Français qui y sont favorables, la question aura peut-être plus de chance d'aboutir entre leurs mains qu'entre celles des politiques...


* Selon les enquêtes annuelles de recensement 2004 et 2005 de l'Insee.
* Selon un sondage CSA pour le Parisien-Aujourd'hui en France.

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