
Profitant de la visite organisée au Parlement européen à Strasbourg jeudi 20 mai 2010 par la section de Côte-d'Or et Saône-et-Loire du Mouvement européen France, dijOnscOpe a pu poser quelques questions à Arnaud Danjean*, député européen de la région Grand Est (groupe Parti populaire européen-PPE). Président de la sous-commission "sécurité et défense" et membre de la commission des affaires étrangères, il revient sans détour sur le rôle du Parlement européen dans la crise économique, son travail sur le terrain, le pouvoir des lobbies au sein de l'institution européenne...
Arnaud Danjean, bonjour. A l'entrée du restaurant, un groupe d'enfants chantaient tout à l'heure "l'Ode à la joie" de Beethoven, hymne européen depuis 1972... C'est un peu comme si à l'extérieur du Parlement, la crise économique n'avait pas lieu, non?
"C'est un peu une bulle, oui. C'est un petit monde en soi avec ses rituels, son fonctionnement. Il existe du folklore comme ce que vous décrivez mais cela est fait de façon positive. Le folklore, il se retrouve également à la sortie de l'hémicycle lorsque nous sommes harcelés pour signer des pétitions ou des déclarations écrites : contre la pédophilie ou pour l'instauration d'une Journée des enfants... Toutes les causes se massent, y compris la presse d'ailleurs, car tout le monde sait que tous les députés viennent à Strasbourg. Ici, mon bureau est littéralement assailli d'ailleurs : hier (ndlr : mercredi 19 mai 2010), il y avait des journalistes slovènes qui souhaitaient m'interroger au sujet d'un litige frontalier avec la Croatie. Mais il s'agit là d'une affaire intérieure slovène et donc il ne faut surtout pas intervenir ! Du coup, j'ai refusé de parler aux journalistes et ils ont fait le siège de mon bureau... Ici, il existe une activité de lobbying incroyable !
Justement, les parlementaires définissent le lobbying comme une activité visant à "influer sur l’élaboration des politiques et des processus décisionnels des institutions européennes"... Quelles sont les proportions réelles des lobbies au sein du Parlement européen?
Pour faire simple : je reçois 300 mails par jour. Là-dessus, 200 émanent de lobbies dont les deux tiers s'adressent à tous les députés. Le dernier tiers sont des mails spécifiques à mon domaine (ndlr : Arnaud Danjean préside la sous-commission "sécurité et défense") : j'ai donc toutes les industries d'armement, de sécurité... A l'inverse, j'ai tous les anti-militaristes. Comme je siège en commission des affaires étrangères, j'ai les "pros" et les "antis" qui se manifestent dès qu'il y a un conflit quelque part dans le monde. Après, c'est plus ou moins sérieux. Certains lobbies sont très bien organisés et ils sont d'ailleurs reconnus et légalisés par Bruxelles.
Ceux là, souvent des lobbies industriels qui sont des groupements d'entreprises, viennent nous voir généralement sur des points très précis : sur une législation en cours de négociation par exemple. Ils ont d'ailleurs une expertise qui est beaucoup plus développée que la notre. Aussi, lorsque j'ai préparé mon rapport sur la défense (ndlr : rapport portant sur la mise en œuvre de la Stratégie européenne de sécurité (SES) et de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC), adopté par les députés le 10 mars 2010), j'ai reçu des groupements d'industries de défense qui sont venus m'exposer leurs doléances et leurs opinions. Après, vous en tenez compte ou non mais souvent, c'est très utile et enrichissant. Ils ne viennent pas seulement vous vendre de la camelote ; beaucoup n'ont d'ailleurs rien à vendre en tant que tel. Il s'agit alors d'une discussion intellectuelle et politique.
N'ayant pas de pouvoir législatif en matière de défense, les gens ne viennent pas me voir pour amender une législation qui aurait un impact commercial pour eux. Ils viennent véritablement peser sur un débat et les grandes orientations politiques. Ce contact est important pour nous, afin de ne pas légiférer dans notre stratosphère mais d'avoir conscience de l'impact des décisions que nous prenons. Dans le domaine de la politique étrangère, c'est parfois excessif car nous sommes dans du déclaratoire et non pas dans du législatif. Nous faisons des résolutions, des avis, des rapports qui peuvent peser et influencer mais qui ne peuvent en aucun cas se substituer à ce que décide le Conseil des ministres ou le Conseil de l'Union européenne. Notre poids est donc relatif...
Quel est le rôle du Parlement européen dans la crise économique actuelle?
Le Parlement va avoir un rôle important en matière de régulation financière : toutes les grandes orientations financières qui ont été décidées ces dix-huit derniers mois au niveau du G20 sur la régulation des marchés financiers, doivent trouver une concrétisation dans des directives européennes. Ces textes, qui sont élaborés par la Commission européenne, vont devoir passer devant le Parlement. Ce dernier peut également être une force de proposition : là, il va bientôt voter un rapport préparé par un collègue français sur la régulation des hedge funds**. Nous allons d'ailleurs placer la barre assez haute en matière de régulation financière. A la commission après de voir si elle souhaite intégrer cela dans ses réflexions ou non. Mais elle a intérêt à le faire puisque ça passera devant nous ensuite pour la mise en œuvre.
Donc oui, le Parlement travaille beaucoup sur ces questions, au niveau des commissions spécialisées qui sont très actives sur la régulation des marchés. Les rapports sont prêts et vont à la fois orienter la Commission et mettre aussi la pression sur les États et isoler des positions, notamment les positions anglaises qui sont rétives à toutes formes de régulation. Cela ne veut pas dire que nous allons voter contre les Anglais mais ces rapports amènent une solution de compromis. C'est très mal vu d'être au banc d'une résolution du Parlement européen...
Les pouvoirs du Parlement européen ne cessent d'augmenter : quels sont-ils aujourd'hui?
Au niveau du budget européen, nous sommes désormais dans le régime de la co-décision, ce dernier devant passer devant le Parlement. Donc la Commission européenne et le Conseil sont obligés de tenir compte de l'avis du Parlement. C'est une grande avancée... Il y a beaucoup de domaines dans lesquels c'est à travers cette arme budgétaire que le Parlement a véritablement un grand pouvoir. Même dans un domaine plus particulier comme la défense et la sécurité, domaine de souveraineté des États, il faut savoir par exemple qu'il existe actuellement treize opérations extérieures (Somalie, Kosovo, Géorgie, etc), et il y en trois qui sont militaires : pour celles-ci, ce sont bien évidemment les États qui y contribuent, avec des moyens nationaux, en personnel et en financement. Mais les dix autres opérations, elles, sont civiles.
Pour ces opérations labellisées PESC (Politique étrangère sécurité commune), le budget est communautaire et voté par le Parlement : cela représente environ 260 millions d'euros. Et si nous ne donnons pas notre imprimature, ça ne passe pas... Le domaine le plus spectaculaire est celui de l'agriculture : avant, nous rendions des avis mais maintenant, nous allons réellement co-décider avec la Commission quant à la politique agricole commune. Nous aurons notre mot à dire. Dans certains domaines, cela restera des avis et donc la Commission pourra s'assoir dessus mais elle n'aura politiquement pas intérêt à le faire car s'il y a un vote massif du Parlement, c'est quand même mal vu d'être complètement en contradiction.
Vous travaillez quatre jours par semaine, à Bruxelles ou à Strasbourg. Vous reste-t-il du temps pour travailler dans votre circonscription?
En jour actif de travail de dossiers ou autre sur le terrain, nous n'avons que le vendredi, le reste étant déjà pris. Et si j'applique à la lettre mon mandat, j'ai un vendredi par semaine pour dix-huit départements ! Avec mes collègues (du groupe PPE), nous nous répartissons la région Grand Est : Joseph Daul prend tout ce qui est Alsace, Véronique Mathieu prend la Lorraine et moi la Bourgogne Franche-Comté. Le premier travail que nous avons à faire est un travail d'explication : dire ce que nous faisons, dire que nous existons. Mais on ne peut pas toucher tout le monde donc nous passons surtout voir les élus et les associations qui diffusent les informations à leur tour. Moi je fais beaucoup de réunions de ce type.
La deuxième chose que nous faisons mais qui n'est théoriquement pas dans notre mandat, ce sont les fonds européens. Nous les voyons passer entre la préfecture, le conseil régional, l'État et la Commission européenne. Les députés n'interviennent pas là-dessus mais dans l'esprit des gens, il y a le mot "Europe" dans fonds européens comme dans député européen. Et donc ils attendent que nous les aidions. Ils n'ont pas tort, c'est assez logique. Donc moi je passe beaucoup de temps avec des communes et des collectivités qui viennent me voir avec des projets pour savoir s'ils sont éligibles au fonds européen. Et donc j'essaye de les orienter sur le conseil régional ou sur la préfecture. J'assure d'ailleurs le suivi de certains projets et je pourrais ne faire que cela tellement je suis submergé de demandes : j'en reçoit trois par jour!".
* Arnaud Danjean a également été élu conseiller régional de Bourgogne le 21 mars 2010, dans le groupe d'opposition (UMP/Nouveau centre) Bourgogne dynamique. Son fief se situe à Louhans, en Saône-et-Loire.
** Les hedge funds sont des fonds d’investissement d’un type particulier. Il n’existe pas de définition légale, précise et formelle du terme. Le terme lui-même est trompeur. La traduction littérale en français est "fonds de couverture", c’est-à-dire se livrant à des placements de protection contre les fluctuations des marchés considérés. Une telle définition devrait les faire pencher du côté des fonds sans risque ; or, au contraire il s’agit de fonds particulièrement risqués, beaucoup plus risqués que les fonds communs de placement (OPCVM) (Source : lafinancepourtous.com).
