dijOnscOpe

Abonné·e de Mediapart

Billet publié dans

Édition

Dijon / Bourgogne

Suivi par 18 abonnés

Billet de blog 26 août 2010

dijOnscOpe

Abonné·e de Mediapart

"Cleveland contre Wall street": quand le cinéma rend justice!

dijOnscOpe

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

"Le 11 janvier 2008, la ville de Cleveland (USA), assigne en justice les 21 banques qu’elle juge responsables des saisies immobilières qui dévastent leur ville. Mais les banques de Wall Street s’opposent à l’ouverture d’une procédure. Cleveland contre Wall Street raconte l’histoire d’un procès qui aurait dû avoir lieu. Un procès de cinéma, dont l’histoire, les protagonistes et leurs témoignages sont bien réels..." Tel est le synopsis du film réalisé par le Suisse Jean-Stéphane Bron, venu le présenter aux Dijonnais lors d'une projection-débat au cinéma L'Eldorado, mardi 24 août 2010. dijOnscOpe a rencontré en privé ce réalisateur exceptionnel : travail de mise en scène flirtant entre réalité et fiction, goût pour un certain cinéma qui aime que justice soit rendue, amour de la vérité qui éclate au grand jour... Il vous dit tout.

Jean-Stéphane Bron, bonjour. Cleveland contre Wall street est, pourrait-on dire, un vrai documentaire sur un faux procès. Pouvez-vous nous préciser justement ce qui est de l'ordre de la réalité et de la fiction dans ce procès fictif ?


"Nous n'avons rien scénarisé. Les règles du jeu étaient les suivantes : un faux procès aux allures de vrai procès avec de vrais avocats comme Josh Cohen, l'avocat de la ville de Cleveland et de ses habitants, les habitants jouant d'ailleurs ce rôle de trait d'union entre la réalité et ce procès imaginaire. Nous avons également de vrais témoins et un vrai jury qui prenait des notes, assistait à toutes les délibérations. Bref, un réel engagement personnel de chacun ; nous ne savions pas vraiment qui continuerait à venir chaque matin !


Une fois que les bases de ce petit "théâtre inventé" furent posées, nous avons essayé de suivre et de respecter scrupuleusement ce processus, lui-même aléatoire, à la fois vivant, captivant et également rempli de surprises : je n'ai rien prévu et rien décidé à l'avance, encore moins le verdict final ! Chacun des témoins répond aux questions des avocats le plus sincèrement du monde.


La seule chose qui était écrite, tout du moins pensée à l'avance, était l'enchaînement des témoins : comment faire rebondir et correspondre un témoignage par rapport à un autre ? J'ai essayé de faire ce film comme lorsqu'on progresse dans une enquête. Au fur et à mesure, nous découvrons des choses et commençons à comprendre ce qui se joue devant nous, les éléments du puzzle se mettent en place puis s'assemblent les uns aux autres pour composer au final une photographie complète de cette affaire.


Il demeure cependant le montage en post-production, impliquant fatalement la subjectivité du réalisateur. L'écriture du film a-t-elle finalement eu lieu lors du montage avec cet enchainement des séquences que vous évoquez ?


Tout à fait ! Il y a eu effectivement un processus de réécriture au montage. La totalité des rushes représentait quelques soixante heures pour en arriver au final à un document brut de près de cent minutes. Concernant les prises de vue, je m'étais dit qu'il était important que le public puisse comprendre au mieux tous les éléments et notions énoncés dans le film.


Pour y parvenir, lorsque l'échange entre les protagonistes était parfois trop compliqué, je demandais expressément à refaire la prise en exigeant par exemple de reposer différemment telle ou telle question, de reformuler telle ou telle réponse, toujours dans l'objectif d'être le plus clair et le plus lisible possible pour le spectateur. Le montage réécrit mais sans trahir !

Le film est étonnement simple et limpide, proposant une approche didactique et pédagogique d'un sujet pourtant relativement complexe. Était-ce un choix délibéré pour favoriser le spectateur ?


Quand la crise a débuté, je ne comprenais strictement rien à cette histoire. Je n'ai jamais lu les pages économiques d'un journal par exemple, j'avoue avoir totalement déserté le sujet. Toutefois, j'ai bien eu conscience que l'on touchait là à quelque chose d'important et de fondamental, surtout quand j'ai vu ces images à la télévision de familles expulsées de leurs maisons, vivant désormais sous les ponts ou dans leur voiture ! L'idée de départ était de relier ces effets visibles avec des causes directes ou indirectes. C'est ce que le film essaye de retranscrire : redonner du sens à ces images que tout le monde a pu voir sans vraiment en saisir tous les tenants et les aboutissants.


De plus, en amont de la préparation du métrage, être le plus compréhensible possible faisait partie de notre cahier des charges. C'est pourquoi, par exemple, à un moment donné du film, une avocate demande à un témoin de prendre le temps de définir et d'expliquer simplement le sens de ce mot barbare qu'est la "titrisation".

Cleveland contre Wall street s'inscrit dans le genre du cinéma-vérité qui bouscule les lignes, met à mal les convictions de chacun.. Bref un cinéma qui s'interroge. Pensez-vous que votre film peut finalement se substituer à la réalité et rendre justice lui-même ?


Non, bien sûr que non, il ne peut pas rendre justice ! Cependant, il donne la parole à tout le monde. Il y a une sorte d'évidence des dommages causés pour la ville de Cleveland et ses habitants mais cette évidence devait être contredite, mise à mal, bousculée, car je pense profondément que tout cela n'est pas si simple dans les faits. Le capitalisme est un système faisant subir aux gens des choses dont on ne mesure pas nécessairement tous les effets sur le moment. La preuve : cette course à l'argent avec les subprimes. Nous n'avions pas du tout mesuré les conséquences et le séisme que cela allait engendrer dans le monde entier !


Aux États-Unis, vous avez l'idée très américaine et très chrétienne de la catharsis ritualisée par l'affrontement pour faire éclater la vérité. La vérité doit être révélée sur terre et non au ciel. La justice est rendue sur terre par les hommes qui doivent se confesser et expier leurs pêchés. Cette idée que le cinéma peut être un moyen de parler des grandes questions, tout le monde en a conscience, des chauffeurs de taxi aux politiciens de Washington, tous sans exception !


Le cinéma américain est beaucoup plus politique que le cinéma français, qui lui est psychologique et bourgeois. Les Américains ont cette conscience presque "inconsciente" que le cinéma est là pour témoigner de quelque chose. Il était plus important pour tous les participants de débattre d'une problématique collective que de simplement participer à un film. C'est en soit l'attachement au principe démocratique.

En tant que citoyen, quel regard portez-vous sur cette crise immobilière et plus globalement, sur le système capitaliste de dérégulation ? La responsabilité est-elle, selon vous, uniquement imputable à ces 21 banques de Wall street ?


On parle de crise immobilière mais j'y vois une crise plus profonde. Nous sommes dans une période où il s'agit de repenser en profondeur les mécanismes et les règles dans lesquelles nous vivons et évoluons. Sans estimer que les banques n'avaient aucune limite, nous avons cependant fait cette expérience de la dérégulation. Il s'agit aujourd'hui de tendre vers une conscience plus générale.


Je pense que nous sommes tous co-responsables de ce système. Je suis contre le fait de déléguer toute la responsabilité aux politiques et de pointer du doigt systématiquement leur impuissance. Nous sommes tous un peu coupables d'ignorance. Dans l'ensemble, combien d'entre nous discutent et débattent réellement en profondeur de ces sujets? Et d'ailleurs, je suis convaincu que nous vivons dans un système qui n'a pas vraiment intérêt à ce que tout un chacun débatte de l'organisation et du fonctionnement de ladite société...

Selon vous, hormis le fait d'en débattre, que faut-il changer au sein même de la sphère boursière et financière ?


Vous savez, pour préparer ce film, j'ai rencontré des tas de professionnels de la finance qui m'expliquaient que la première leçon apprise dans les business schools était la suivante : l'économie et la finance, ce n'est ni moral ni politique. Ils sont nourris à cela même si les traders sont des gens au demeurant normaux, gentils et sensibles, qui rêvent tous sans exception de la paix dans le monde. Ils n'ont cependant absolument pas conscience de ce qu'ils font, de ce jeu sans doute très grisant de manipuler des sommes d'argent faramineuses en appuyant simplement sur des boutons toute la journée...


J'espère malgré tout que les jeunes qui ont vingt ans aujourd'hui, se destinant à la carrière de banquiers, auront intégré un certain nombre de valeurs, notamment éthiques et morales, pour ne pas répéter les erreurs de leurs aînés.

Une procédure est en cours à Cleveland, cette fois-ci pour un vrai procès. Pensez-vous honnêtement que votre film peut avoir une quelconque influence sur l'état d'avancement de cette procédure ?


Josh Cohen, l'avocat de la ville, est un grand optimiste, souvent spécialiste des causes perdues (sourire). Il pense que le film aura des conséquences positives sur la procédure en cours, au demeurant mal engagée pour la ville de Cleveland. Je l'ai joint par téléphone la semaine dernière et Josh, réalisant bien que la situation est quelque peu désespérée, m'a avoué : "Je sens que c'est mal parti alors j'ai dit au juge que le film a eu un grand écho à Cannes !". Nous verrons si cet argument peut avoir du poids..."

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.