Nombreux sont les commentateurs qui comparent déjà la disparition de la pellicule 35mm à la révolution du cinéma parlant, dans les années 1930. En réalité, ce changement ne modifiera pas en profondeur le rapport du spectateur à la technique cinématographique, si ce n'est par une nouvelle offre de films en trois dimensions - loin de concerner toutes les salles. En Côte-d'Or par exemple, le réseau des cinémas ruraux comme celui des indépendants se préoccupe surtout de savoir comment financer cette évolution technique coûteuse, imposée par une industrie cinématographique en recherche de nouveaux modèles économiques... Pour prolonger les débats tenus lors des XXe Rencontres cinématographiques de Dijon, du jeudi 21 au samedi 23 octobre 2010, dijOnscOpe a fait un tour du côté des salles obscures...
Au commencement était la loi
La transition du cinéma vers la technologie numérique a commencé du côté des réalisateurs, avec la généralisation de caméras enregistrant l'image sans pellicule. Parallèlement à cette évolution, les distributeurs - qui s'occupent de fournir aux salles les copies des films - ont vite compris les avantages économiques d'une circulation des oeuvres sur un support numérique : alors que la fabrication d'une copie pellicule peut leur coûter jusqu'à mille euros, graver un film sur une clef USB, par exemple, demande un investissement de 150 euros... Soit une économie de 850 euros par copie pour le distributeur.
Pour les exploitants au contraire, la note est très élevée. Un projecteur numérique vaut en effet entre 70 et 80.000 euros suivant les fabricants et un cinéma comme l'Eldorado, à Dijon, devra donc débourser près de 250.000 euros pour équiper ses trois salles ; un poids économique qui pourrait sembler impossible à supporter par une structure indépendante comme celle-ci... Afin de préserver le maillage du territoire en grands écrans, la loi n° 2010-1149 "relative à l'équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques" a justement été adoptée le 30 septembre 2010 par le Sénat.
Si celle-ci esquisse des solutions variées, elle répond surtout au problème financier lié à l'équipement numérique des cinémas. Pour ce faire, la loi crée un mécanisme - le Virtual print fee ou VPF - qui permettra aux salles de bénéficier directement de l'économie de 850 euros réalisée par les distributeurs sur chaque copie : ceux-ci devront en effet verser cette somme aux exploitants qui projettent les films de leur catalogue. Selon l'estimation de la loi, les salles pourront ainsi financer 75% des nouveaux équipements.
Des problématiques locales variées
En Côte-d'Or, certains cinémas comme le Cap Vert de Quetigny, l'Olympia de Dijon ou le Cap'cinéma de Beaune sont déjà équipés de projecteurs numériques. "Cette course technologique menée par les gros exploitants, les équipementiers et les distributeurs pourrait rendre nos salles obsolètes : c'est pourquoi nous devons passer la vitesse supérieure", indique Matthias Chouquer, directeur du cinéma indépendant l'Eldorado, à Dijon. Pour équiper ses salles d'une technologie numérique en terme d'image et de son, celui-ci devra investir près de 250.000 euros... "D'un côté, nous contracterons un emprunt de 190.000 euros qui sera remboursé en huit ans par le VPF. De l'autre, nous attendons que la région se positionne afin de nous aider pour les 60.000 euros restants...", ajoute-t-il. Sans cela, l'avenir de l'une des salles pourrait être compromis.
A l'Union des MJC de Côte-d'Or (UDMJC 21), qui anime un réseau de 25 salles de cinéma itinérant dans le département, la problématique est quelque peu différente. "Dans les premiers travaux menés par la profession au sujet de la transition numérique, l'équipement des réseaux itinérants était vu dans un futur très lointain", note Marlène Perraud, directrice de l'UDMJC 21. Et d'ajouter : "Avec plusieurs homologues de l'Hexagone, nous avons donc formé le Collectif national pour le passage au numérique des circuits itinérants... Dès lors, nous avons pu travailler avec le Centre national de la cinématographie (CNC), avec lequel nous avons pour l'instant établi un cahier des charges technique". En effet, les projecteurs numériques utilisés dans les salles fixes sont trop imposants pour parcourir quotidiennement les routes d'un département... Un appel d'offre a été lancé et, dès sa clotûre à la fin de l'année 2010, le CNC évaluera le volume d'appareil mobiles dont le circuit a besoin. "Cette structure pourra ensuite financer entre 70 et 90% de l'investissement : nous sommes donc confiants face à l'avenir de notre offre de cinéma en territoire rural", conclut Marlène Perraud.
Que changera le numérique?
La question financière pose naturellement celle de l'utilité d'un tel investissement. Il semble tout d'abord acquis que la qualité de l'image, inaltérable au contraire de la pellicule, soit améliorée par la technologie numérique au même titre que le confort qui en découle pour le spectateur. Il en va de même pour le son. D'un point de vue purement technique, enfin, la conservation des films sera réalisée dans de meilleures conditions puisque les supports numériques sont moins exposés aux dégradations du temps que la pellicule.
Aujourd'hui encore, dans la majorité des salles, un long métrage se présente sous la forme d'une bobine de trois kilomètres environ, pesant parfois quinze kilos. La mise en place sur le projecteur et le contrôle de la netteté de l'image à l'écran, par exemple, demandent une attention particulière du projectionniste. Ce poste est aujourd'hui menacé par l'arrivée d'une technologie qui demande peu de main d'oeuvre qualifiée... En juillet 2010, le groupe d'exploitants français UGC, qui possède plus de 600 salles à travers l'Europe, a notamment licencié 93 de ses opérateurs-projectionnistes (Lire ici l'article de Libération.fr).
Pour Matthias Chouquer, cette évolution "est la première qui, dans l'histoire du cinéma, ne change presque rien pour le spectateur !". Selon lui, elle bouleverse surtout le "geste cinématographique", puisque "le réalisateur peut aujourd'hui filmer seul, sans assistants, et retrouver ainsi le geste du photographe, de l'écrivain ou du peintre...".
Les problèmes qu'il ne résoudra pas
Samedi 23 octobre 2010, le Grand théâtre de Dijon accueillait un débat sur le thème des "Salles de cinéma à l'heure du numérique", dans le cadre des XXe Rencontres cinématographiques de Dijon. En présence d'acteurs nationaux et internationaux de la distribution, de l'exploitation et de l'accompagnement du cinéma, la discussion a porté sur des sujets aussi divers que la circulation des films en Europe, la réglementation ou encore les usages du numérique tels que le cinéma en trois dimensions.
Pourtant, malgré cette transition technologique, le cinéma se porte-t-il vraiment mieux ? "La fréquentation des salles par les 15-25 ans est en baisse depuis dix ans", relève par exemple Laurence Herszberg, directrice générale du Forum des Images de Paris. Le directeur du développement des cinémas Gaumont-Pathé, Jean-Pierre Decrette, a quant à lui acté l'échec économique des projections de rencontres sportives sur grand écran, ayant pour but initial de faire revenir les publics au cinéma. Vincent Grimond, président de la société de distribution Wild Bunch, témoignait par ailleurs avoir engrangé aux Etats-Unis autant de recettes en salles que grâce au système de vidéo à la demande sur internet, lors de la sortie du film Two lovers, de James Gray. Un moyen de dégager des bénéfices par des voies détournées, au détriment parfois de la santé économique des salles...
Pour résumer, nombre d'acteurs du secteur ont vu dans l'arrivée du numérique un nouvel eldorado mais constatent aujourd'hui que cette technique ne résoudra pas, à elle seule, le problème de la désaffection du jeune public envers le cinéma. Car, comme a pu l'indiquer Richard Patry, président adjoint de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) : "Le public s'en fout, de la technique ! Il se déplace pour voir une oeuvre !". En France, aujourd'hui, le cinéma cherche donc toujours son modèle...