
"D’une seule voix", c’est une histoire comme on aimerait en voir plus souvent. En 2004, Jean-Yves Labat de Rossi parvient à réunir une centaine de musiciens israéliens et palestiniens sur une même scène. Le succès est au rendez-vous. Le réalisateur décide alors de réitérer l’expérience en organisant une tournée de trois semaines en France en 2006. Comment cohabiter lorsqu’on provient de pays en conflit ? Xavier de Lauzanne a exploré les coulisses d’un tel projet. Voici l’objet de son premier long métrage, à découvrir samedi 28 novembre à Dijon...
Comment l’idée de ce documentaire vous est-elle venue ?
"En novembre 2004, une petite chaine du câble m’a envoyé filmer le concert organisé par Jean-Yves Labat de Rossi à Jérusalem. Il avait réussi à faire sortir des musiciens de la bande de Gaza pour les faire chanter en plein cœur de Jérusalem avec des Israéliens et des Palestiniens de Cisjordanie. Quelques semaines plus tard, je l’ai rencontré dans son village de la Creuse. Là, il m’a raconté son idée de tournée en France.
J'ai immédiatement été enthousiaste. Il y avait 100 musiciens, dont 26 de la bande de Gaza ; c’était extraordinaire. Cela n’avait jamais eu lieu. L’idée était la suivante : voir comment un projet hors du champ politique permet de repenser à un espoir de paix. A un moment, il faut sortir de la question politique pour être libre de se raconter.
Comment les musiciens ont-ils été choisis ?
Jean-Yves est allé leur proposer. Ilsont tous accepté de participer. Son idée était de faire vivre les différences ensemble.
Il y avait deux groupes principaux : 26 musiciens de Gaza et 26 chanteurs a cappella (chœur) de Jérusalem. Les autres musiciens étaient des adolescents d’un kibboutz juif israélien, des jeunes d’un kibboutz chrétien, des arabes israéliens (de Galilée) et un prêtre arménien. Les artistes se sont succédé sur scène.
Aucun n'a eu de réticence à participer. Les musiciens étaient surtout là pour la musique. Moi, je me suis intéressé à ce qu’il y avait derrière : le vivre ensemble pendant trois semaines. Derrière les bons sentiments, la mise en abyme du vivre ensemble a parfois été plus difficile. Des tensions, susceptibilités et sensibilités ont éclaté mais sans que cela ne soit polémique. Au cours de la tournée, des amitiés sont nées aussi. Entre les leaders des "groupes", de très beaux liens se sont tissés qui perdurent aujourd’hui.
Les conflits étaient-ils nombreux ? Sinon, des liens se sont-ils créés ?
Certains problèmes politiques ont ressurgi à cause des maladresses et susceptibilités mais cela s’est vite calmé. La passion était commune, les questions politiques étaient donc vite dépassées. Les musiciens étaient libres de parler de politique entre eux. Le fait d’échanger les a considérablement rapproché. Cette tournée a notamment créé des liens entre juifs israéliens et arabes palestiniens. D’ailleurs, pendant les bombardements de Gaza, les Palestiniens de la zone recevaient des appels inquiets de juifs israéliens.
Autre exemple de ces liens : aujourd’hui, les juifs de Jérusalem vont régulièrement chanter avec les arabes de Galilée. Ce film est universel ; il dépasse les a priori. Je ne suis pas un spécialiste du conflit mais je voulais un autre discours que le communautarisme radical. Ce qu’on voit aux actualités n’est pas représentatif de la population. Beaucoup d’Israéliens sont ouverts à la discussion, chacun veut une vie correcte.
La paix ne peut passer que par le dialogue. Il y a une propagande très forte en Israël. Un discours sécuritaire auxquels les gens cèdent même si, au fond d’eux-mêmes, ils ont un vrai désir de paix. Le film permet de se détacher de sa propre conviction et de se rapprocher de sa propre humanité. On n’est pas naïfs sur le fait que la musique pourrait engendrer une paix définitive mais elle peut déjà amorcer la préfiguration d’un désir de paix.
Quels sont vos meilleurs souvenirs ?
Le public était très enthousiaste. les musiques étaient toutes différentes : il y a eu un écho dans le public et un symbole très fort sur scène. Les gens adhérent forcément. La logistique a été assez compliquée : des moments de grandes tensions et de fatigue avaient parfois lieu mais le bilan est extrêmement positif.
J'ai un souvenir formidable, celui de la fin des concerts, quand tous les musiciens se retrouvaient sur scène pour danser ensemble. C’était un acte d’une très grande liberté qui me touchait beaucoup. C’était aussi très subversif : certains n’accepteraient pas que Palestiniens et Israéliens dansent ensemble. Il s’agissait d’un détachement par rapport à la manipulation politique qui existe aujourd’hui ; une image surprenante et subversive.
Le regard des musiciens a-t-il évolué au cours de la tournée?
Oui, avec un projet comme celui là, l’évolution des consciences est en marche. Des concerts ont lieu régulièrement. Les musiciens se revoient et ont envie de mélanger leurs répertoires. Certains, qui étaient à l’écart pendant la tournée, échangent maintenant avec les Palestiniens. Il y a tous les styles : des juifs conservateurs mais aussi des progressistes. Les conservateurs se posent maintenant des questions. Ils disent : « Je suis content de les connaitre ». Avec ce genre de tournée, une prise de conscience se crée. « Quand on chante la musique de l’autre, on ne peut plus bombarder », dit dans le film Maya Shavit, la directrice israélienne du chœur “Effroni”. Revenir à la simplicité permet d’espérer.
Et vous, ce documentaire vous a-t-il "changé" ?
Pas vraiment mais j’ai vu l’importance de l’art dans un conflit dans ce qu’il a de plus simple : le dialogue des uns et des autres. Il permet aussi de se détacher de ses convictions politiques. J’ai appris à avoir des points de vue mais à me détacher de mes convictions pour permettre la rencontre. C’est un documentaire mais il se regarde comme un film de cinéma. Il est dynamique, on rit, on sourit. C’est vivant et émouvant : très accessible.
Quelles ont été les réactions des musiciens lors du visionnage du documentaire ?
Ils ont été très touchés. Ils n’ont pas l’habitude d’être montrés autrement que par le prisme de la guerre. C’est cela qui les a le plus touchés.
Les autorités arabes et juives ont dit qu’elles avaient besoin de tels documentaires, qu’il s’agissait d’un formidable support de débat. En France, ce genre de films est regardé de manière suspecte : on prend parti. On s’ouvre difficilement à ce genre d’expérience. On est forcément dans un camp alors que ça n’amène aucune solution."
Les journées "Israël autrement, un autre regard sur Israël" se déroulent à Dijon jusqu'au 6 décembre. A cette occasion, « D’une seule voix » sera projeté samedi 28 novembre à 20h au cinéma Devosge. La séance sera suivie d'une rencontre avec le réalisateur, Xavier de Lauzanne et Charles Zrihen, directeur du Festival du film israélien de Paris (entrée : 4,50 euros).
