
Renée et Jacques Wisniewski sont respectivement nés en 1938 et 1940 à Paris. Durant la Deuxième Guerre mondiale, comme des centaines d’enfants juifs, ils ont été cachés dans la Nièvre pour échapper à la déportation. Voici leur témoignage, simple et émouvant, sur cette enfance nivernaise, au sein d’un foyer aimant et juste...
De la traque à la cache
Renée : "Nous sommes d’origine polonaise. Notre père a été arrêté en 1941 puis interné à Beaune-la-Rolande. [ndlr : La première grande rafle date du 14 mai 1941 : "la rafle du billet vert". Plus de 6.000 juifs étrangers sont invités à venir faire un examen de leur situation dans un centre parisien. Cette convocation est en fait un piège : 3.747 hommes sont internés dans des camps avant d’être déportés.] En juillet 1942, la police française et les Allemands sont venus nous arrêter ma mère, mon frère et moi-même. Notre appartement était fermé à clé, ils n’ont pas insisté. Après leur départ, notre mère nous a emmenés chez une voisine, Clémence Grangier, qui nous a recueillis et a réussi à nous faire passer dans un petit village de la Nièvre : Verneuil, qui comptait à l’époque une centaine d’habitants. [ndlr : La rafle du Vel’ d’hiv des 16 et 17 juillet 1942 est l’une des plus importantes : en moins de 48 heures, 12.884 juifs, femmes, hommes et enfants sont arrêtés par la police française, la plupart sont placés au Vélodrome d’Hiver avant leur transfert dans des camps d’internement.]
Une enfance heureuse à la campagne
Renée : Clémence Grangier a proposé à ses amis nivernais, la famille Bompis, de nous cacher. Tous ont accepté sans hésitation. La famille était constituée de grand-père Bompis et de sa fille Francine. Cette dernière avait recueilli trois enfants. Le père de ces trois petits avait été élevé par la mère de Francine. Nous avons vécu dans ce foyer de 1942 à 1945 et avons été traités de la même façon que les autres enfants. Il y avait peut-être plus de précautions à prendre avec nous car nous étions des enfants juifs. Mon frère a plus de souvenirs de cette époque ; en 1942, j’avais seulement deux ans. La guerre, je l’ai pour ma part, vécue à l’intérieur de la maison de Melle Bompis et tous les souvenirs que j’en ai sont ceux d’une vie rustique mais d’une vie sûre et non celle d’une enfant traquée.
Jacques : J’ai quelques souvenirs de cette période. Je me souviens être arrivé à Verneuil par une chaude nuit d’été après la grande rafle du Vel d’Hiv de juillet 1942. Nous sommes d‘abord arrivés à Decize puis nous sommes allés à pied jusqu’à Verneuil qui était à environ 14 Kilomètres. Nous avons été accueillis par la famille Bompis jusqu’à la fin de la guerre. Ma mère a eu des problèmes pour retrouver un logement à la Libération, [ndlr : Durant la guerre, les biens et logements des juifs sont spoliés, de longues procédures pour retrouver leur logement sont parfois nécessaires aux survivants à la Libération], c’est pourquoi, nous sommes restés quelques temps à Verneuil, une fois la guerre finie. Avant d’arriver à Verneuil, nous ne connaissions que Paris. Je me suis rendu compte que dans l’éducation à la campagne, (ce que certains appellent "la France profonde"), se trouvent des valeurs qui font souvent défaut aujourd’hui : celles de la famille et du bon sens.
Durant mon séjour à Verneuil, j’ai été à l’école du village. J’ai appris à lire, écrire et beaucoup d’autres choses. Je me souviens avoir mangé et apprécié de la viande de lapin pour la première fois ! (dans la tradition juive on ne mange pas de lapin) Finalement, j’ai aussi appris à être un homme car si j’ai pu apprendre le travail manuel et la rigueur, c’est grâce à cette famille paysanne qui m’a enseigné les "bonnes connaissances de la paysannerie française" : le travail, l’ordre et la méthode. En dehors de la reconnaissance naturelle liée au sauvetage, je suis également reconnaissant à cette famille de m’avoir appris ce mode de conduite qui m’a permis d’élever mes propres enfants et petits enfants d’une certaine manière. Encore aujourd’hui, je me réfère à Jean-Marie Bompis avant d’agir, en songeant à ce qu’il aurait fait comme choix à ma place.
Souvenirs de guerre...
Renée : Les Allemands étaient présents au village ; ils logeaient dans les maisons voisines. La famille Bompis nous a racontés qu’un jour, ils sont entrés dans la maison et ont demandé une poulie qui était dans la cour et qui servait à faire sécher le fromage. Ils se sont servis de cette poulie pour dresser le drapeau sur la place du village. Une fois que les Allemands sont sortis de leur maison, M. Bompis a poussé un soupir de soulagement en disant : "Heureusement qu’ils n’ont pas regarde de plus près les enfants !"
Jacques : J’ai plus de souvenirs que ma sœur de cette époque car je suis un peu plus âgé. J’avais 4 ans en arrivant à Verneuil et à la fin de la guerre, j’en avais 6, j’avais donc conscience de la réalité. Je me souviens que le maquis de la région était assez important. Les gens du maquis venaient "boire un canon" (selon l’expression nivernaise) dans le village et par provocation, ils mettaient les armes en faisceau. Ensuite, les maquisards ont attaqué les Allemands, ce qui a provoqué des représailles. Le maquis a été attaqué dans le sud du département en septembre 1944. Je me souviens qu’il y a eu des fusillés à la suite de cette attaque : 6 personnes de Verneuil ont été exécutées, c’était la catastrophe du village. Les Allemands ont tué des personnes innocentes...
Notre famille connaissait les fusillés : c’était un petit village. Aujourd’hui, on trouve un monument et une plaque rappelant l’événement de ce mois de septembre dans l’église de Verneuil. Je me souviens également très bien des Allemands et surtout du jour de la Libération. Il y avait constamment des bombardements, c’était le 7 août 1944 ; nous nous sommes cachés toute la journée dans les bois. Lorsque nous sommes revenus au village, nous étions libérés. C’était une véritable Libération, il n’y avait plus d’Allemands ! Je ne comprenais pas vraiment à l’époque ce qui se passait, ni de la chance que j’avais d’être encore en vie.
Rénée : Nous pensions être les seuls petits juifs du village mais finalement ce n’était pas le cas. La sœur de Melle Bompis, Marie, élevait trois enfants, un petit rouquin, un petit blond et une petite brune frisée aux yeux noirs qui s’appelait Evelyne et avec qui je jouais souvent. Cette petite était la troisième petite juive du village ! Elle a été adoptée à la fin de la guerre par un couple d’Américains qui était venu voir leur famille au village. On ne sait pas comment l’enfant est arrivée chez elle mais traditionnellement, dans la Nièvre, on élève les enfants de l’Assistance Publique.
Des liens éternels
Jacques : De cette période, nous avons gardé des relations soudées avec la famille Bompis. De 1945 jusqu’à la mort de Francine Bompis, en 1980, nous sommes allés la voir régulièrement. Nous continuons à honorer cette famille en rendant visite au plus jeune des trois enfants qu’elle a élevé, André. Notre ancienne voisine, Clémence Grangier, nous a aidés bien après la guerre. Quand elle est devenue trop âgée, nous l’avons accueillie et à la toute fin de sa vie, nous l’avons mise dans une maison de retraite près de notre domicile.
Renée : Avant son placement en maison de retraite, elle passait 6 mois chez Jacques puis 6 mois chez moi. Nous avons associé dans le souvenir et la reconnaissance, la famille Bompis et Clémence Grangier. Nous avons fait une procédure pour qu’ils soient reconnus comme Justes parmi les nations par Yad Vashem. [ndlr : Le titre de Juste est décerné au nom de l'État d'Israël par le Mémorial de Yad Vashem. Au 1er janvier 2007, 22.765 Justes parmi les Nations de 41 pays ont été honorés.]"
