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Billet de blog 29 avril 2010

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Vatican : de la communication zéro au 2.0

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États-Unis, Irlande, Autriche, Allemagne... Un peu partout dans le monde, les affaires de pédophilie éclatent au sein de l'Église catholique. Impossible d'échapper au scandale pour le Vatican, d'autant plus qu'il semble avoir du mal à gérer la crise en terme de communication. Aux quatre coins du monde, les déclarations de cardinaux ou de prêtres s'enchaînent en effet comme des bourdes et risquent de mettre en péril un peu plus chaque jour la foi des croyants. Comment l'Église peut-elle redorer son image ? Éléments de réponse avec des spécialistes de la question...

Le diable ou les gays ?


"Le diable tente tout le monde, dans la politique, dans l'économie, dans le sport. Et bien sûr, il tente plus que tout le monde les leaders religieux, et il ne faut pas s'étonner si le diable tente ceux du Vatican. C'est son boulot," a affirmé Gabriele Amorth sur la chaîne américaine CNN, ajoutant que "les pédophiles ne sont pas possédés, ils sont tentés par le diable". Pour l'exorciste en chef du Vatican, l'explication est donc simple : les scandales sexuels seraient dû à l'œuvre du malin...
Quant au numéro deux du Vatican, le cardinal Tarcisio Bertone, il a carrément lié la pédophilie à l'homosexualité (voir l'article "Nouveau dérapage au Vatican"): "Nombre de psychologues, psychiatres ont démontré qu'il n'y a pas de relation entre célibat et pédophilie, mais beaucoup d'autres ont démontré, et m'ont dit récemment, qu'il y a une relation entre homosexualité et pédophilie. C'est la vérité, c'est le problème", a-t-il déclaré au cours d'une visite officielle au Chili mi-avril 2010. La réaction en chaîne n'a pas traîné dans le monde politique, médical et surtout croyant... Le mouvement homosexuel chrétien David & Jonathan s'est en effet dit "révulsé" par "l'amalgame" opéré par Mgr Bertone (voir notre article "Cato-gays: Comment vivre sa foi quand on est homosexuel(le)?"). L'Église semble donc s'embourber dans les scandales et même empirer son cas. Pourquoi une entité aussi puissante ne réussit-elle pas à gérer cette crise au même titre qu'une grosse entreprise ?

Se donner les moyens de la Vérité


"L'Église catholique n’a jamais été très forte en communication, affirme Bernard Lecomte, président du Club des Écrivains de Bourgogne et auteur du livre Pourquoi le pape a mauvaise presse (Desclée de Brouwer, 2009). Même si le très médiatique Jean-Paul II a fait illusion, l’Église est héritière d’une "révélation" évidemment immuable. Loin des modes et des tendances, elle a toujours préféré la "vérité" à la "communication". Elle ne s’est jamais donné les moyens de s’adresser aux médias du monde entier comme le ferait un État ou une entreprise multinationale.


Qui peut croire que la totalité de l’administration du Vatican, à Rome, représente 1/25ème de l’administration de la Mairie de Paris, et que la Salla Stampa, son service d’information, est composé d’une quinzaine de salariés ? Cette toute petite équipe, animée par le directeur de Radio Vatican, le père Fédérico Lombardi, n’a aucunement les moyens de coordonner toutes les prises de paroles des responsables de l’Eglise universelle, notamment des cardinaux entourant le pape, qui sont parfois aussi maladroits que foncièrement hostiles aux journalistes!"

Des médias féroces ?


Pour Bernard Lecomte, le Vatican n'est pas seul responsable de son image assez négative ses derniers temps ; les médias seraient également de mauvaise foi dans leur approche de l'Église catholique (voir notre article "Religion : les médias incultes?). "Les médias modernes ont connu récemment de profondes mutations qui les rendent imperméables aux sujets religieux : mondialisation, immédiateté, sécularisation, inculture religieuse, laïcisme, hyper-individualisme... Je vous renvoie, là-dessus, à mon livre ! Le pape et les cardinaux de la Curie, qui sont souvent de vieux messieurs très conservateurs, sont incapables de s’adapter à des médias devenus simplistes, binaires, peu réceptifs à la complexité et à la nuance, et traitant toute institution, en particulier quand elle a un message moral, par la dérision".


Et d'ajouter : "Le message de l’Eglise ne passe plus. On le mesure à cette injustice qui fait de Benoît XVI un quasi complice des pédophiles, alors qu’il est justement le premier pape de l’histoire à avoir fait cesser l’omerta, la confusion et la lâcheté qui entouraient ces affaires ! L’Eglise est inaudible quand les journalistes mélangent allégrement pédophilie et célibat des prêtres, alors qu’il n’y a aucun rapport entre les deux. Elle est inaudible quand elle explique que la grande majorité des cas d’agressions sexuelles sur les mineurs portent sur des adolescents, pas sur des petits enfants, et ne sont donc pas des cas de "pédophilie" à proprement parler. Elle est inaudible quand les mêmes médias, à propos des États-Unis, citent aveuglément des chiffres faramineux en confondant les plaintes contre des prêtres (4.400 entre 1950 et 2002) et les condamnations pour pédophilie avérée (54 sur la même période)".

Perte de contrôle


Selon des étudiantes* de Master de Stratégies de communication Internationale (MASCI) à l'Université de Bourgogne, l'Église, en gardant le silence trop longtemps, aurait perdu le contrôle de son image : "Certains religieux ont qualifié ces histoires de "commérages" et de "médisances du moment pour nuire à la communauté des croyants". Ils ont également dénoncé "une campagne de discrédit visant à salir le pape"...".


Timothy Dolan, l'archevêque de New York, a par exemple accusé le New York Times de "participer à une campagne bien huilée contre le pape". "Cette réaction peut se comprendre : l'Église a longtemps été intouchable et imagine que c'est encore le cas. Il y a une différence d'approche temporelle entre elle et la société et donc les médias. Mais ces derniers attendent en réalité des réponses qui tardent à venir... Les conséquences de cette mauvaise gestion de l'information pourraient être dramatiques".

Réactions ad hoc


Comment l'Église devrait-elle réagir à cette crise ? "Il faudrait d'abord arrêter de faire un amalgame entre pédophilie et homosexualité...", annonce clairement Tiphaine Vasse, directrice de Cerise Noire, une agence de design et de communication basée à Dijon et Lyon. L'experte avance d'autres points : pour rassurer, il faudrait communiquer en exposant des chiffres et des faits concrets. "Le discours n'est pas suffisant. Pour être crédible, il faut mettre en place des outils entourant la problématique de la pédophilie. Sinon, l'opinion publique risquerait de penser : "Vous n'avez rien fait pour que cela change". Il ne faut pas non plus mentir parce que les gens finissent toujours par s'en rendre compte. Mais si l'Église changeait vraiment, elle pourrait même récupérer de nouveaux croyants ; c'est un moment clé'".


"Le Vatican a trois choix possibles : le déni, le silence, la reconnaissance, expliquent les étudiantes en master. Nous, nous conseillerions la reconnaissance ; la "lettre aux parents" (voir lien ci-dessous) destinée à être lue dans toutes les paroisses d’Irlande montre d'ailleurs le désir de reconnaissance du Pape. Il s'y dit "vraiment désolé", et évoque "la honte", c'est un bon début. Mais la première chose à faire serait d’auditer tous les fidèles et le grand public pour une évaluation exacte des dégâts occasionnés par le scandale, afin d’en ressortir une stratégie et un plan d’actions ad hoc. De plus, il ne faudrait pas sombrer dans des dérives où la parole religieuse passerait pour propagandiste. D’où une communication locales dans les petites paroisses où les prêtres eux aussi reviendraient sur les faits."


A cela pourrait s'ajouter une présence plus marquée de l'Église sur Internet et ses réseaux sociaux avec des prises de parole plus fréquentes. "D'autre part, il ne faudrait plus que le pape se positionne en martyr mais comme un homme responsable, le représentant de l'église, qui assume les frasques des prêtres inculpés et les rumeurs, qui affronte les médias et qui du coup redonne foi aux fidèles. Il ne faut jamais que les médias s’emparent de la situation ou aient l’air plus au courant que le sujet de la crise lui-même."

L'église sur la bonne voie ?


"Cela dit, je sens que quelque chose change à Rome, reconnaît Bernard Lecomte. Submergés par la vague d’émotion et d’indignation suscitée par cette affaire sordide, Benoît XVI et son entourage semblent avoir enfin compris qu’ils ne pouvaient continuer comme cela. Depuis trois semaines environ, j’observe que la communication du Vatican s’affine, s’accélère, se modernise. Des équipes se sont constituées, sous la houlette du p. Lombardi. L’Osservatore Romano fait flèche de tout bois. Les communiqués de presse sont rapides, concis et efficaces. Une vraie révolution ! Ce sera la conséquence la plus inattendue de cette crise terrible...".


L'Union catholique britannique a même annoncé, lundi 26 avril à Rome, qu'elle formait 25 porte-paroles préparés à répondre aux médias sur les sujets sensibles de l'Église, dont la pédophilie, dans la perspective de la visite du pape Benoît XVI au Royaume Uni du 16 au 19 septembre 2010. Les porte-parole "sont des laïcs, hommes, femmes" qui seront prêts à affronter briefings et interviews. "Ce n'est pas un défi aux médias, c'est seulement un moyen d'aller à la rencontre des moyens de communication en parlant clairement de quelques questions de base", a déclaré Jack Valero, l'un des initiateurs du projet.

* Charlotte Cochaud, Clémence Chanoinat, Claire Le Strat, Laura Mauri, Héléne Kieffer en Master de Stratégies de communication Internationale (MASCI) à l'Université de Bourgogne, ont notamment réalisé les deux visuels de la campagne publicitaire 2010 de Vélodi à Dijon.

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