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Billet de blog 29 juillet 2010

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Sahel: négociations (in)humaines dans le désert...

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L'assassinat de l'otage français Michel Germaneau par les terroristes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, annoncé le 24 juillet 2010, soulève bien des questions. Et surtout, il rappelle que le monde n'est pas un terrain de jeu mais qu'il se divise entre "zones rouges" et "zones vertes"... Le Sahel fait partie de la première catégorie. Que se passe-t-il vraiment dans cette région désertique ? Que risque-t-il de s'y passer prochainement ? Éléments de réponse avec une revue du web africaine et l'interview par dijOnscOpe de Pierre Garnier, vice-président de l'association côte-d'orienne La Croix d'Agadez, œuvrant dans l'humanitaire au Niger, et Jean-Pierre Duclos Aprico, auteur côte-d'orien et ancien conseiller du ministre du Commerce et de l'Industrie ayant vécu quatre ans au Sahel nigérien...

Au mauvais endroit, au mauvais moment...


"On se demande encore quelle mouche a bien pu les piquer pour qu’ils (Michel Germaneau et son chauffeur) empruntent cette route, d’autant plus que les enlèvements sont légion dans la zone", s'étonne un journaliste de L'Observateur Palgaa, quotidien d'information du Burkina Faso, dans un article paru le 15 juillet 2010, quelques jours avant l'exécution de l'ingénieur retraité français. Enlevé au Niger avec son chauffeur algérien le 19 avril 2010, près de la frontière avec le Mali et l'Algérie, Michel Germaneau avait pourtant pour lui quatre ans d'expérience dans ce pays. Depuis 2006, le retraité y multipliait en effet les voyages dans le but de construire une école à In-Abangharet, un village près d'Agadez au nord du Niger, pour le compte de deux petites associations, Enmilal et Tanemert.


"Je n'avais jamais entendu parler de cette association avant cette histoire mais vous savez, il en existe des centaines voire des milliers rien qu'au Niger...", précise Pierre Garnier, vice-président de l'association La Croix d'Agadez. Pour bien connaître le pays et ses règles en y œuvrant depuis de nombreuses années, les membres de l'association savent combien il est important de ne pas tenter de "désobéir" aux recommandations gouvernementales : "Cette région, depuis quelques années, est formellement déconseillée par le ministère des Affaires étrangères aux visiteurs, humanitaires... Les touristes, sous contrôle, peuvent bien aller dans le sud de l'Algérie, jusqu'à Tamanrasset. Mais pour rejoindre le Niger, la route est interdite. Les gens y vont quand même mais c'est à leurs risques et périls. Les personnes informées et responsables savent qu'il s'agit d'une zone où il ne faut pas mettre les pieds. Bien sûr, entre zone autorisée et zone interdite, il n'y a pas de barrière réelle...".

... et en mauvaise compagnie


En plus de se trouver en zone interdite, l'homme âgé de 78 ans voyageait seul, ce qui est également très déconseillé selon Pierre Garnier : "On est toujours mieux armé à plusieurs... D'autre part, mieux vaut avoir un bon tissu relationnel pour bien maîtriser toutes les contraintes que comportent ce type de mission". Et dans cette région du monde, les contraintes sont légions... Dans les dernières mises à jour de la page "Conseils aux voyageurs", en date du 24 juillet 2010, le site du ministère des Affaires étrangères fait état d'une insécurité maximum "en raison des menaces actuelles dans la zone sahélienne". En ce qui concerne l'Algérie, il est noté que "les risques d’enlèvement dans la bande frontalière avec le Mali restent élevés. Les mines, le brigandage et les grands trafics constituent une autre menace sérieuse sur l’ensemble de la zone saharienne de l’Aïr et du Ténéré".


Terrorisme et brigandage... Michel Germaneau pourrait bien avoir été victime des deux : "Selon un scénario probable, il pourrait s'agir d'une bande de brigands, nombreux dans cette zone, qui l'aurait enlevé pour le monnayer ensuite. Ces bandes vivent de la drogue, du racket, des enlèvements.... C'est une véritable zone de non-droit", raconte Pierre Garnier. Si aucun élément ne vient confirmer cette hypothèse pour le moment, il faut reconnaître que la région est connue pour ce type de méfaits... Les terroristes eux-mêmes auraient d'ailleurs fait du kidnapping un véritable gagne-pain selon un article paru sur Afrik.com le 16 décembre 2009, Al Qaeda et le business des occidentaux au Sahel : "La branche maghrébine d’Al-Qaeda a de "graves problèmes financiers. Et avec ces enlèvements, il y a une volonté de résoudre ces problèmes, confirme le professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et spécialiste d’Al-Qaeda Jean-Pierre Filiu. Et c’est justement quand elle connaît des difficultés qu’elle devient dangereuse".
La vie d'un Français = la libération de quatre terroristes


Jean-Pierre Duclos Aprico*, auteur côte-d'orien, s'interroge sur l'identité de ceux qui ont kidnappé Michel Germaneau : "Par qui s'est-il fait enlevé ? Par le groupe Aqmi lui-même, par des bandits touaregs en mal de rébellion ayant conservé leurs armes ? Nous ne sommes sûrs de rien mais toujours est-il que le groupe dirigé par Abou Zeid, déjà responsable de la mort d'un ressortissant britannique en mai 2009, en revendique la paternité".


"Al Qaeda est très présent au Maghreb, sous différentes appellations. Ces groupuscules sont issus des groupes salafistes d'Algérie (groupes islamistes armés) à l'époque où le pays était à feu et à sang... Lorsque l'Algérie a voulu se dédouaner par une lutte féroce contre ces groupes, ces derniers ont dû migrer vers le sud où ils ont créé des groupuscules, parfois sans liens entre eux mais tous reconnus par Ben Laden. Déstabiliser l'occident reste leur motivation principale. Mais pour cela, ils ont besoin d'argent : l'enlèvement d'occidentaux et la drogue sont des activités rémunératrices... Ainsi l'atteste le rocambolesque atterrissage d'un avion cargo chargé de drogue au Mali (ndlr : L’affaire du Boeing chargé de cocaïne et d’autres produits illicites qui a atterri début novembre 2009 sur une piste artisanale du nord du Mali, en provenance du Venezuela)".


"Quant aux enlèvements, ils sont désormais présents sur toute la bande sahélienne : en Mauritanie, au Mali, au Niger et dans le sud algérien. Faisons le compte : deux diplomates canadiens en décembre 2008, puis, en janvier 2009, deux Suisses, une Allemande et un Britannique (ce dernier, Edwen Dyer, a été exécuté en mai 2009). Enfin, le 26 novembre 2009, l'otage français Pierre Camatte est libéré en échange de quatre islamistes enfermés au Mali". Un article du quotidien algérien l'Expression, publié le 27 juillet 2010 (consulter l'article dans les documents liés ci-dessous), fait d'ailleurs le rapprochement entre cette négociation de libération et celle de Michel Germaneau : "Les demandes des terroristes portaient aussi sur la fin de l’incarcération des membres de leurs groupes détenus dans divers pays. En somme, les ravisseurs voulaient rééditer le coup du monnayage de l’ex-otage français, Pierre Camatte".


Pour Jean-Pierre Duclos Aprico, "Paris ne voulait pas perdre la face cette fois-ci"... et le résultat n'a pas été probant : "De même, Londres n'avait pas négocié et son ressortissant a été exécuté ! La tentative de libération par la force restait la seule solution pour les Français mais nos renseignements étaient mauvais et cela a été un échec lamentable. Dans ces conditions, la condamnation à mort de Michel Germaneau ne pouvait qu'être exécutée".


Dans l'article à la Une de L'Expression, Paris paie le prix de sa gaffe, le journaliste critique les méthodes de négociation françaises : "La France est passée outre les recommandations de l’Algérie de ne point payer de rançons aux terroristes. Et de ne point faire de pression pour la libération de terroristes recherchés par leurs pays. Outrepasser ces principes équivaut à céder devant les terroristes et renforcer leur pouvoir de chantage et leur arsenal militaire puisque avec l’argent des rançons, ils ont toute latitude pour s’acheter de nouvelles armes".
L'Afrique se prépare à la vengeance française...


En se promenant un peu sur les différents journaux africains en ligne, un constat s'impose : dès le 26 juillet 2010, à l'annonce officielle de l'exécution de Michel Germaneau, nombreux sont les articles dont le sujet principal sont les éventuelles représailles du gouvernement français. Ainsi, Al Jazeera titrait le 26 juillet : France to punish al Qaeda killers (= La France veut punir les tueurs d'al Qaeda). Et selon Angola press, dans un article paru le 27 juillet 2010, "la présidence française promet des représailles. Une intervention militaire plus musclée, à l’américaine, dans la région du Sahel, n’est pas à exclure. La France pourrait lancer la traque d’Abdelmalek Droudkel, alias Abdelouadoud, chef du groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) devenu Al Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi). (...) La France évoque le rapatriement de ses ressortissants, ce qui laisse supposer que Paris est tenté par une intrusion plus musclée dans la région du Sahel".


Au micro d'Europe 1 mardi 27 juillet, le premier ministre François Fillon confirmait de telles menaces : "Le combat contre Aqmi va se renforcer", a-t-il souligné tout en précisant que la France n'allait pas "venger" Michel Germaneau. De quoi enflammer un peu plus la zone déjà rouge sang... Pierre Garnier envisage d'ailleurs de reporter le prochain voyage de son association au Niger : "Nous avons prévu d'y aller fin septembre ou début octobre. Nous verrons bien à ce moment-là..."

* Outre sa connaissance du Sahel, où il a vécu quatre ans, et des Touaregs en particulier, Jean-Pierre Duclos-Aprico a passé dix ans en Algérie avant de regagner la faculté de droit de Dijon en 1960. Il vient de terminer, après trois années de recherches, un important manuscrit (650 pages) consacré à l'Algérie, en attente de publication : "De la Berbérie à l'Algérie", des origines à nos jours - Un pays, un peuple, pas encore une nation. Dans ce manuscrit, il s'attache entre autres à l'indépendance confisquée des Algériens par un pouvoir complice des attentats et meurtres qui ont ensanglanté le pays depuis les années 1996, parfois avec notre complicité.

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